Flamanville : comment EDF espère échapper au remplacement du couvercle demandé par l'ASN

Par Dominique Pialot  |   |  921  mots
L'ASN exige le remplacement du couvercle d'ici fin 2024 au plus tard
L’autorité de sûreté nucléaire autorise le démarrage de l’EPR sous réserve de contrôles de la cuve lors des visites décennales, et du changement du couvercle au plus tard fin 2024. Mais l’exploitant s’emploie à trouver dans les deux ans un moyen de procéder à des inspections en service du couvercle, qui n’existe pas aujourd'hui, afin d'éviter cette opération dont le coût est estimé à 100 millions d’euros.

« C'est une très bonne nouvelle pour Flamanville 3 », s'est félicité dans une conférence téléphonique ce mercredi 29 juin en fin de journée Laurent Thieffry, directeur du projet, qui s'est empressé de confirmer le planning actuel, à savoir une entrée en service fin 2018.

Plus tôt dans l'après-midi, l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) avait rendu publiques « sa position et les orientations qu'elle envisage de retenir pour la cuve de l'EPR ». Le fond de cuve est déclaré apte au service, sous réserve de contrôles effectués lors des visites décennales d'ores et déjà prévues. Le couvercle en revanche, qui présente les mêmes dépassements de teneur en carbone susceptibles de favoriser la propagation de fissures en cas d'accident, devra être changé, faute de moyen existant à ce jour d'en assurer un contrôle après la mise en service de l'EPR. Contrairement aux générations précédentes, le fond de cuve est constitué d'un seul bloc d'acier sans soudure, tandis que le couvercle présente désormais 107 traversées (contre 78 auparavant), ainsi que des soudures et des irrégularités, qui rendent impossible la réalisation d'inspections hors démontage complet, inenvisageable une fois l'EPR en service.

L'ASN exige le remplacement du couvercle d'ici à fin 2024

Aussi, tout en validant la possibilité d'un fonctionnement du couvercle existant «pendant quelques années», une durée qu'il n'a pas précisée, le président de l'ASN Pierre-Franck Chevet s'est montré très ferme : celui-ci devra être changé « au plus tôt » au regard de la faisabilité industrielle. Le temps de fabrication, d'introduction et d'installation d'un nouveau couvercle correspond à 7 ans, ce qui amène à compter d'aujourd'hui à la fin 2024.

"Il s'agit bien là d'une date butoir ferme et non d'une durée d'exploitation", qui s'entend donc indifféremment de la date effective d'entrée en service de Flamanville, a-t-il insisté.

Pierre-Franck Chevet a souligné que le remplacement d'un couvercle était une opération qui a déjà été réalisée à plusieurs reprises sur une partie du parc existant, suite à la découverte de problèmes de corrosion au début des années 1990.

Anticipant cette décision, EDF avait dès le mois d'avril commandé, par l'intermédiaire d'AREVA NP, un « forgé », ce bloc d'acier à partir duquel est ensuite fabriqué le couvercle. Cette pré-commande a été passée auprès d'un aciériste japonais, Japan Steel Works, « précisément pour s'affranchir du problème de ségrégation carbone » découvert sur les composants fabriqués dans l'usine Areva du Creusot, a précisé Laurent Thieffry.

Deux ans pour trouver une solution alternative

Mais l'exploitant ne renonce pas à "relever le défi" d'être en mesure sous deux ans de prouver à l'ASN sa capacité à développer un moyen de procéder à des inspections de contrôle en service sur le couvercle. Cela lui permettrait d'éviter de finaliser la fabrication du couvercle (qui présente la plus forte valeur ajoutée et doit être menée à bien par Areva NP) et, bien sûr, de procéder à son remplacement.

Comment ? En lançant un large appel à compétences internationales bien au-delà du monde du nucléaire, en s'ouvrant à des startups de tous horizons, comme il le fait déjà dans le cadre du programme d'innovation rapide de son chantier « CAP 2030 ».

A quoi correspond ce délai de deux ans ? Pas à des considérations économiques à en croire Laurent Thieffry, et il n'existerait pas de clause contractuelle permettant d'annuler purement et simplement la commande à Japan Steel Works. Mais ce délai figure dans le rapport de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) également rendu public ce jour. « C'est un délai réaliste, précise le directeur de projet. Si nous n'y parvenons pas dans les deux ans, nous n'y parviendrons jamais », affirme-t-il.

En revanche, le mandat de l'actuel président de l'ASN s'achevant en novembre 2018, le prochain pourrait se montrer plus réceptif aux solutions proposées par EDF.

Quelle décision de l'autorité de sûreté chinoise pour Taishan ?

L'exploitant s'octroie en tout état de cause ainsi un délai supplémentaire avant de se résigner au remplacement du couvercle. Mais quelles conséquences aura l'avis de l'ASN (qui ne sera définitif qu'en octobre prochain après une période de consultation publique) sur les partenaires d'EDF, à commencer par le chinois CGN ? En effet, les composants des deux réacteurs en construction à Taishan ont également été fabriqués dans l'usine du Creusot et présentent donc les mêmes anomalies. Les homologues chinois de l'ASN ayant été associés aux travaux des deux dernières années (depuis la découverte par l'ASN des anomalies à Flamanville),  tout comme les Finlandais et les Britanniques, l'autorité de sûreté chinoise dispose de toutes les informations pour prendre sa décision. Quant à l'éventuel remplacement de leurs couvercles, EDF rappelle qu'il n'est pas l'exploitant de ces EPR et qu'il revient à CGN d'en décider au vu de la position adoptée par l'autorité de sûreté.

Les milliers de tests menés ces deux dernières années à la demande de l'ASN et de l'IRSN pour motiver leur décision ont été largement financés par Areva NP,  et au-delà, Laurent Thieffry précise que l'impact financier  global de la ségrégation carbone sera traité au sein du contrat qui lie les deux entreprises dans le cadre de la reprise par EDF d'Areva NP.