La filière de l’hydrogène à un point d’inflexion ?

Par Dominique Pialot  |   |  1036  mots
La mobilité est le segment de marché le plus porteur pour l'hydrogène
L’hydrogène sera présent sous ses différentes formes à BePOSITIVE, le salon de la performance énergétique et environnementale des bâtiments et territoires, qui se tient à Lyon jusqu’au 10 mars. L’occasion de faire le point avec le président de l’Association française de l’hydrogène et des piles à combustible (AFHYPAC) sur une énergie encore émergente.

Pour Pascal Mauberger, président du directoire de McPhy, spécialiste du stockage d'hydrogène sous forme solide, de l'électrolyse à partir de renouvelables et de stations de recharge, et président de l'AFHYPAC, la filière se situe actuellement à un point d'inflexion. Cela est dû notamment au succès inattendu remporté par l'appel à projets territoires hydrogène lancé en mai 2015, suivant une recommandation d'un rapport du Commissariat général au développement durable (CGDD) relatif à la filière hydrogène-énergie ? Celui-ci détaillait le rôle que pourrait jouer l'hydrogène dans la transition énergétique : stockage et production d'énergie (recourant à l'électrolyse) ; carburant alternatif limitant les nuisances sonores et la pollution ; régulation d'un système faisant cohabiter productions de base centralisées et productions locales intermittentes, possibilité d'injection dans le réseau gazier...

Grand succès de l'appel à projets

« L'appel à projets avait pour objectif de labelliser des territoires prêts à développer des solutions à base d'hydrogène, par exemple pour stocker les énergies renouvelables », précise Pascal Mauberger. Comme l'explique alors le ministère, sont recherchés en priorité des projets intégrant une chaîne complète de production, conditionnement, distribution et valorisation d'hydrogène dans des applications finales ; il s'agit de démontrer que le recours à l'hydrogène pour plusieurs applications peut générer un développement économique rentable et écologique sur un territoire. Sur une centaine de dossiers déposés, vingt-neuf ont été sélectionnés en novembre et bénéficieront de fonds publics.

De nombreux projets concernent des projets de mobilité, incluant un co-déploiement de véhicules et d'infrastructures. Mais on y trouve aussi des projets d'alimentation de secours pour la grande distribution, des projets adaptés à des sites insulaires ou isolés ou encore de la valorisation d'hydrogène fatal issu de process industriels.

La mobilité, segment le plus prometteur

Concernant la mobilité, probablement le segment le plus prometteur à l'échelle mondiale, « l'hydrogène est particulièrement adapté à la livraison en centre ville, avec des flottes de véhicules utilitaires », constate Pascal Mauberger.

Des stations d'alimentation commencent à apparaître, dont une située au Pont de l'Alma et destinée à alimenter une flotte de taxis Hype. Essentielle pour la visibilité de  ce nouveau carburant, elle doit aussi permettre de « démythifier » l'hydrogène, qui continue d'effrayer. Seuls 150 véhicules carburent aujourd'hui à ce gaz en France. Mais le Plan Mobilité Hydrogène France mis en oeuvre depuis 2015 prévoit 100 stations pour 1.000 véhicules en 2022 et 600 stations pour 800.000 véhicules à l'horizon 2030. D'ailleurs, la candidature Paris 2024 comporte un volet mobilité hydrogène.

A côté des utilitaires tels que ceux assemblés par Renault, apparaissent les premières berlines de Toyota, Honda, Hunday et bientôt Mercedes. En dehors du Japon, très présent sur tous les segments y compris celui du résidentiel, et de la Californie, la Corée du Sud, l'Allemagne et enfin la France sont les pays les plus avancés.

Des territoires locomotives

« Le succès de l'appel à projets traduit l'engouement des territoires », se réjouit Pascal Mauberger. Certaines régions sont particulièrement enthousiastes. Les Pays-de-Loire Vendée sont emmenés par le député de Vendée Alain Leboeuf, adepte de la première heure. La Normandie et la Manche, qui possèdent beaucoup d'électricité, trouvent là un moyen de la stocker. La toute première station a d'ailleurs été installée à Saint-Lô pour alimenter les voitures... de pompiers.

Historiquement, de nombreux acteurs, dont McPhy mais aussi le pionnier de la pile à combustible et inventeur du premier prolongateur d'autonomie pour véhicules hybrides Symbio F Cell, sont implantés en Rhône-Alpes, paradis de la houille blanche.

En Auvergne, Michelin est un acteur discret mais de plus en plus actif de la filière, notamment via sa prise de participation dans Symbio F Cell. D'autres équipementiers automobiles de rang 1, tels que Plastic Omnium ou Faurecia, se positionnent également.

Le rapport du CGDD évalue à un milliard d'euros le marché des électrolyseurs, piles et combustible et réservoirs de véhicules. « Le marché des équipements devrait atteindre trois à quatre milliards à l'horizon 2030, estime pour sa part Pascal Mauberger, précisant que les piles à combustible restent dans l'escarcelle des constructeurs automobiles.

95% de l'hydrogène mondial extrait de gaz naturel

Concernant l'hydrogène lui-même, le marché mondial pèse 60 millions de  tonnes, dont 10% sont produits en France. Il est d'abord utilisé pour raffiner et désulfurer dans le cadre de process industriels, notamment pour la finition de certains métaux ou verres. « 95% de cet hydrogène est extrait de gaz naturel », précise Pascal Mauberger. Un processus très émetteur de gaz à effet de serre. D'où la nécessité de pousser sa fabrication par électrolyse à partir d'énergies renouvelables  afin d'obtenir une chaîne de mobilité à 100% décarbonée.

En outre, les sites sont le plus souvent approvisionnés par camion, alors que le gaz pourrait être produit sur place par électrolyse, comme le fait McPhy sur le pôle d'innovation en micro et nanotechnologies Minatec à Grenoble.

Cela permet d'obtenir un coût de 5€ le kilo d'hydrogène (la fourchette allant  de 3 à 30€ le kilo par camion), soit 60€ le mégawattheure d'électricité.

Dernier signal positif en date pour la filière : l'Hydrogen Council né à Davos autour de 13 acteurs d'envergure mondiale, dont les Français Air Liquide, Engie, Alstom et Total. Cette initiative qui a pour objectif de promouvoir le rôle de l'hydrogène dans la transition énergétique, regroupe des énergéticiens, des constructeurs automobiles, des gaziers. Dotée d'une enveloppe d'investissements de 10 milliards d'euros pour les cinq prochaines années, elle devrait être active auprès des gouvernements et faire appel à des partenariats publics privés.

Reste un point qui demande à être affiné : la réglementation. Si son utilisation est largement répandue de longue date dans l'industrie, l'hydrogène devrait être bientôt « entre les mains de tout le monde ». Or l'imaginaire collectif a besoin d'être rassuré quant à son caractère inflammable et explosif. C'est d'ailleurs la vocation du film promotionnel tourné avec les pompiers de Saint-Lô, jouant sur la symbolique des soldats du feu pour contrecarrer les craintes exprimées sur les risques d'explosion.