Nucléaire : pourquoi l'Etat a choisi Bugey dans l’Ain pour la construction de deux nouveaux EPR2

Par latribune.fr  |   |  1670  mots
La centrale de Bugey compte 4 réacteurs (Crédits : Reuters)
Le Conseil de politique nucléaire, présidé mercredi par Emmanuel Macron, a retenu le site de Bugey (Ain) pour l'implantation de deux nouveaux réacteurs de nouvelle génération (EPR2). La centrale de Bugey l'a donc emporté sur celle de Tricastin, qui pourrait accueillir d'autres réacteurs ultérieurement.

La localisation des six premiers EPR2 est désormais connue. Après les centrales de Penly en Normandie et de Gravelines dans les Hauts-de-France, déjà choisies pour accueillir chacune une paire de ces nouveaux réacteurs nucléaires de nouvelle génération, le Conseil de politique nucléaire, présidé mercredi par Emmanuel Macron, a retenu le site de Bugey dans l'Ain pour l'implantation de la dernière paire de nouveaux réacteurs. Située à une trentaine de kilomètres des faubourgs de Lyon, en amont sur le Rhône, la centrale du Bugey l'a donc emporté sur le site de Tricastin, localisé lui aussi en Auvergne-Rhône-Alpes dans la Drôme, à moins de 200 kilomètres au sud de Lyon, toujours le long du Rhône.

Le site de Bugey a été privilégié car c'est celui qui permet de « lancer le plus rapidement la construction puisque des études complémentaires sont à réaliser sur le site de Tricastin », a précisé le cabinet d'Agnès Pannier-Runacher, la ministre de la Transition énergétique, évoquant un « choix rationnel pour tenir les calendriers dans les meilleurs délais ».

Pour autant, les études se poursuivent et le site de Tricastin pourrait accueillir ultérieurement des réacteurs supplémentaires, a indiqué la présidence française. Pour l'heure, EDF n'a pas rendu au gouvernement la liste des sites potentiels qui pourraient accueillir 8 EPR additionnels. « Les études sont encore en cours, nous sommes au tout début de ce processus mené par EDF », indique l'entourage de la ministre.

Quant à l'hypothèse d'implanter un EPR au niveau du bassin industriel de Fos-sur-Mer, évoquée par Emmanuel Macron lors de son déplacement à Marseille, cela correspond au souhait « de mettre en adéquation » l'avenir de notre parc nucléaire « avec les besoins de notre industrie », explique le cabinet d'Agnès Pannier-Runacher. C'est aussi l'expression du souhait « de regarder de manière ouverte les implantations futures pour le parc au-delà des 6 EPR », précise-t-on. Autrement dit, le gouvernement ne veut pas se priver d'étudier des sites qui ne disposent pas déjà de centrales nucléaires existantes.

Manne financière pour les communes avoisinantes

La décision du site de Bugey a été prise avec l'appui des élus du territoire, a précisé l'Elysée. En effet, les élus locaux travaillaient depuis des années à favoriser l'implantation de ces nouveaux EPR à Bugey. Dès le moment où EDF a annoncé son intention de créer trois paires d'EPR, la Communauté de communes de la Plaine de l'Ain (CCPA, dont le territoire inclut la centrale du Bugey) s'est positionnée pour en accueillir une. Pour les communes avoisinantes, les recettes fiscales générées par la centrale sont très élevées, autour de 15 millions d'euros pour la CCPA.

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Pour rappel, Emmanuel Macron a annoncé l'an dernier vouloir renouveler le parc nucléaire français, avec six nouveaux réacteurs (EPR2) pour une première mise en service à l'horizon 2035. Le coût du projet s'élève à 52 milliards d'euros selon une estimation annoncée en début d'année dernière. Une mise à jour de cette évaluation est en cours. Les conclusions de la revue de programme sur les coûts et le design des six premiers EPR2 sont attendues « pour la fin de l'été, début d'automne », précise le cabinet de la ministre de la Transition énergétique. Elles devront être remises au Parlement avant le dépôt de la loi de programmation sur l'énergie et le climat (LPEC).

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La Métropole et la Ville de Lyon sont contre

Le choix de Bugey va faire grincer des dents la Métropole de Lyon et la mairie de Lyon, toutes deux écologistes et opposées à l'implantation des EPR2 dans la centrale de l'Ain. En octobre 2022, Bruno Bernard, président de la Métropole de Lyon et Grégory Doucet, maire de la Ville avaient co-signé un courrier adressé à Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique, pour réaffirmer leur désaccord, invoquant la nécessité de préserver l'eau du Rhône et des motifs de sécurité, alors que « 800.000 habitants sont localisés dans un rayon de 30 kilomètres autour de Bugey », rappelait Bruno Bernard à La Tribune.

« 90% de notre ressource en eau potable dépend du Rhône, avec une politique très forte de préservation de l'eau pour continuer à en avoir en quantité et en qualité. Il y a différentes prédictions, mais on parle globalement de -30% de débit du Rhône en 2050. Ajouter un nouvel EPR à Bugey à ces difficultés est une idée qu'on ne peut pas accepter ici », expliquait-il en début d'année dans nos colonnes.

« La question de l'approvisionnement en eau et sa continuité dans les décennies qui viennent avec le réchauffement climatique est évidemment regardée de très près avant de choisir un site », veut rassurer, de son côté, l'entourage d'Agnès Pannier-Runacher face à ses craintes.

Baisse de la production à partir du 22 juillet

La centrale a en effet besoin du fleuve pour le refroidissement. Une baisse de son débit, couplée à une hausse de température annoncée (celle des eaux du Rhône a déjà augmenté de 2°C entre 1920 et 2010) pourrait ainsi compromettre ses capacités. EDF pourrait d'ailleurs abaisser la production à partir du 22 juillet, du fait de la température croissante des eaux du Rhône à proximité, a indiqué le groupe mercredi. Toutefois, « pour des contraintes réseau » et à la demande du gestionnaire du réseau RTE, « le site devra au minimum produire 1.800 MW ». Ces restrictions pourraient conduire à réduire la production d'un ou de plusieurs réacteurs de la centrale du Bugey, EDF précisant que « la puissance produite par le site pourra être amenée à évoluer en fonction des contraintes réseau ».

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La centrale compte 4 réacteurs de 900 MW chacun. Le week-end dernier, pour la première fois de l'été, les fortes températures ont conduit à arrêter le réacteur Bugey 3, pour des raisons cumulées de « contraintes environnementales et d'une faible demande en électricité », a appris l'AFP auprès d'un porte-parole.

L'activité des centrales, qui pompent l'eau des rivières adjacentes (ou en mer, le cas échéant) pour leur refroidissement avant de la rejeter plus chaude dans le milieu, est encadrée par des seuils d'échauffement et de débit de ces cours d'eau à ne pas dépasser. Ces seuils sont propres à chaque centrale et visent à protéger la faune et la flore.

Depuis plusieurs années, dans un contexte de réchauffement climatique, les sécheresses et canicules conduisent EDF, parfois dès juin, à ajuster sa production pour respecter les limites de rejets thermiques. A l'été 2022, deuxième plus chaud jamais mesuré après 2003, EDF avait pour la première fois bénéficié d'un régime de dérogation sur deux sites (Golfech et Le Bugey) pour continuer à produire au-delà des seuils d'échauffement.

Selon le groupe, depuis 2000, les pertes de production pour cause de température élevée et de faible débit des fleuves ont représenté en moyenne 0,3% de la production annuelle du parc nucléaire. En 2022, ces pertes "ont été limitées" à environ 0,5 TWh (moins de 0,2% de la production annuelle).

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Sûreté nucléaire: l'Elysée relance la fusion contestée de l'ASN et de l'IRSN

L'Elysée a relancé mercredi le processus contesté de fusion des deux institutions chargées de la sûreté nucléaire en France. Cette opération, annoncée par la présidence de la République trois mois après le rejet par le Parlement d'un premier projet de fusion, réunirait en une nouvelle « grande autorité indépendante » l'Institut de radioprotection et sûreté nucléaire (IRSN), expert de la sûreté, et l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), chargée des décisions sur les centrales, selon un communiqué. Cette autorité, « dont les moyens financiers et humains seraient renforcés (...) permettra d'adapter la sûreté nucléaire face aux trois défis de la relance » du nucléaire civil voulue par le président Emmanuel Macron, a ajouté l'Elysée. Ces « défis » sont « la prolongation du parc existant », la « construction de nouveaux EPR », des réacteurs de nouvelle génération, et « le développement de petits réacteurs modulaires innovants », a énuméré l'exécutif.

Pour mettre en œuvre cette réorganisation, Agnès Pannier-Runacher est chargée de préparer un projet de loi d'ici l'automne. « Il y aura un débat parlementaire ad hoc via un véhicule législatif ad hoc sur le sujet », assure l'entourage de la ministre, qui entend s'appuyer sur les recommandations du rapport présenté par l'OPECST la semaine dernière. La possibilité de passer par d'autres véhicules législatifs, comme la loi de finance ou la LPEC est donc écartée. Dans cette optique, la ministre doit engager les concertations avec les parlementaires et les parties prenantes, dont l'intersyndicale de l'IRSN, farouchement opposée à ce projet de fusion, qui entraînerait, selon elle, une perte de transparence et d'indépendance. Le cabinet de la ministre assure que la transparence sera préservée mais reconnaît que le calendrier de la publication des avis techniques sera différent que celui en vigueur actuellement. Aujourd'hui, l'avis technique issu de l'expertise de l'IRSN et sur lequel l'ASN appuie sa décision est publié avant la décision du gendarme du nucléaire. Ce ne sera plus le cas si la fusion voyait bien le jour.