Nucléaire : autour de Penly en Normandie, de nombreuses communes veulent aussi bénéficier de la rente des EPR

DOSSIER SPÉCIAL. La construction des deux premiers EPR2 sur le site de la centrale de Penly, en Seine-Maritime, ravivent de vieux contentieux entre les collectivités autour de la répartition de la rente du nucléaire.
Mise en service au début des années 1990, la centrale de Penly devrait être la première à accueillir deux EPR 2. À cheval entre Dieppe (à 14 km à l'ouest) et Le Tréport (à 19 km à l'est), elle fait partie des trois sites français de production d'électricité nucléaire en bord de Manche (avec celle de Paluel à 30 km de Fécamp et celle de Flamanville à environ 20 km de Cherbourg comme de La Hague) .
Mise en service au début des années 1990, la centrale de Penly devrait être la première à accueillir deux EPR 2. À cheval entre Dieppe (à 14 km à l'ouest) et Le Tréport (à 19 km à l'est), elle fait partie des trois sites français de production d'électricité nucléaire en bord de Manche (avec celle de Paluel à 30 km de Fécamp et celle de Flamanville à environ 20 km de Cherbourg comme de La Hague) . (Crédits : EDF)

« Ici, vous avez tout, nous, on n'a rien. » Des phrases comme celle-ci, il en est revenu souvent aux oreilles du maire de Petit-Caux, la localité née de la fusion de 18 villages qui abrite la centrale nucléaire de Penly, aujourd'hui sous les feux des projecteurs avec la découverte de fissures sur ses réacteurs. Élu municipal depuis trois décennies, Patrice Philippe y est habitué. « À force d'avoir les tympans qui sifflent, je finis par croire que j'ai des acouphènes », ironise-t-il. L'édile le sait mieux que personne. L'opulence de sa commune suscite encore des jalousies trente ans après que la centrale a été raccordée au réseau. Il est vrai qu'ici, la rente de l'atome crève les yeux tant les infrastructures paraissent surdimensionnées.

Qu'on en juge. Dans cette petite ville forte d'à peine 10.000 habitants, la municipalité administre pas moins de 200 équipements publics (!) dont 15 de plus de 1.000 m2 - au rang desquels un stade de football digne de celui d'une ligue 1 et un centre aquatique adossé à une patinoire, sans compter une petite vingtaine de salle des fêtes, six gymnases, et autant de groupes scolaires. De quoi faire quelques envieux dans les collectivités environnantes. Pas étonnant dès lors que le projet d'EDF de construire deux nouveaux réacteurs réanime de vieux contentieux, pour ne pas dire de vieilles rancœurs.

« Certaines communes ont trop tiré la couverture. On ne veut pas revivre cela », glisse un élu à La Tribune.

« Nous ne voulons pas regarder le train passer »

Parmi les sujets inflammables, la répartition des taxes qui seront payées localement par l'énergéticien au titre des futurs EPR. Aujourd'hui, celles que verse annuellement la centrale de Penly (52 millions en 2022) échoient pour 20% au département de Seine-Maritime et pour 75% à la commune de Petit-Caux et à l'intercommunalité des Falaises du Talou à laquelle elle appartient [1]. Une injustice qu'il conviendrait de réparer aux yeux du président de la Communauté de commune (comcom) des Villes Sœurs [2] distante d'une petite vingtaine de kilomètres.

« Nous n'avons rien touché depuis trente ans. Cette fois, nous ne voulons pas regarder le train passer, grogne Eddie Facque. Je suis d'accord pour être constructif, mais nos administrés, qui partagent le risque, sont en droit d'attendre des retombées fiscales des EPR. »

Située à un gros quart d'heure de route de la centrale nucléaire, l'agglomération de Dieppe Maritime espère aussi tirer parti du « chantier du siècle ». Son président fait valoir les énormes besoins en logements, équipements de santé et autres services culturels qui seront nécessaires aux milliers d'ouvriers, techniciens et ingénieurs mobilisés sur place pendant la construction.

« Soit modifier la loi, soit s'entendre pour partager cette richesse »

« Je ne pense pas que la comcom des Falaises du Talou soit capable d'absorber cela toute seule, soutient Patrick Boulier. L'agglo participera à l'effort, sous réserve de bénéficier de retombées. Pour moi, il en va de l'acceptabilité. »

Si tout le monde réclame sa part du « gâteau » nucléaire, reste à voir qui tiendra le couteau. Dans l'état actuel de la législation fiscale, il existe peu d'alternatives, comme l'a rappelé Pascal Vion, sous-préfet de Dieppe, à l'occasion de l'une des séances du débat public.

« C'est assez simple : soit il faut modifier la loi, soit les élus s'entendent entre eux pour partager cette richesse. »

En quête d'atomes crochus

Message reçu 5 sur 5 par Patrick Boulier. Lui propose la création d'une « entente » informelle entre les collectivités concernées. « Nous sommes de grands garçons capables de nous asseoir autour d'une table », insiste-t-il. « D'autant que l'organisation en intercommunalités rend les choses plus facile que dans les années 1980. »

Son alter ego des Villes Sœurs semble accréditer l'idée.

« Si l'État n'invente pas un outil, il faut que les collectivités prennent le sujet en main. »

Encore faudra-t-il en convaincre le maire du Petit-Caux. Bien qu'il se dise prêt au dialogue, Patrice Philippe émet quelques réserves :

« D'accord pour revoir la répartition des taxes, mais qu'on répartisse aussi les charges. Ce ne sont pas mes voisins qui vont payer les parkings déportés, les logements temporaires et le remaillage de la voirie communale... sans compter les incroyables tensions sur les terres agricoles. »

Recettes fiscales en voie de volatilisation et prêts toujours à rembourser

L'édile s'inquiète également des conséquences à venir de la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (ou CVAE, un des deux composants de la contribution économique territoriale qui a succédé à la taxe professionnelle).

« Qui me dit que mes recettes ne vont pas être divisées par deux à terme ? », s'interroge-t-il tout haut.

Et l'intéressé de rappeler que la commune de Petit-Caux assume encore le remboursement de « 10 millions d'euros de prêts », un reliquat des emprunts contractés lors de la construction des deux premiers réacteurs de la centrale de Penly.

« Les gens oublient facilement qu'il n'y a pas que la cerise sur le gâteau », commente-t-il.

On le voit, la commission préparatoire, mise en place dès l'an dernier sous l'égide du préfet de Seine-Maritime et du président de la Région Normandie, ne sera pas de trop pour rapprocher les points de vue.

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NOTES

1. Les 5% restants sont alloués à l'État pour « frais de gestion » et aux chambres consulaires.

2. ou CCVS, avec trois communes au départ du projet (Eu, Mers, Le Tréport), rejointes aujourd'hui par 28 autres communes)

Lire aussiEDF veut lancer mi-2024 les travaux préparatoires aux EPR de Penly

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Commentaires 2
à écrit le 16/03/2023 à 18:35
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La jalousie est un vilain défaut. Sur le risque, il vaut mieux être à plusieurs encablures d'un réacteur nucléaire. On ne sait jamais😃. La vie vaut largement une piscine ou une salle multisports.

à écrit le 16/03/2023 à 16:23
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Est-ce raisonnable toutes ces dépenses au motif qu'une usine de production s'installe..

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