Sûreté nucléaire : deux parlementaires accusent l’IRSN de manquer d’indépendance

Un nouveau combat s'engage sur l’avenir de l’IRSN, l'expert technique de la sûreté nucléaire, et de l'ASN, le gendarme du secteur, après qu'en avril dernier, le gouvernement a échoué au Parlement à faire passer la fusion des deux entités en mode express, sur fond de craintes pour la transparence et l'indépendance. En effet, dans un texte rendu public mardi, un député et un sénateur recommandent de créer une instance unique regroupant contrôle et expertise, comme le souhaitait l’exécutif. Et ils remettent en cause « l’idée reçue » selon laquelle l’IRSN serait aujourd’hui indépendante de l’Etat, au grand dam de l’intersyndicale de l’institut, qui dénonce un rapport « partiel et partial ».
Marine Godelier
(Crédits : DR)

C'est un nouveau chapitre qui s'ouvre sur l'avenir de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), quelques mois après le rejet du projet de loi pour fusionner en urgence les deux entités. Et pour cause, malgré cet échec cuisant pour l'exécutif, alors salué par l'intersyndicale de l'IRSN, deux parlementaires (Jean-Luc Fugit, Renaissance et Stéphane Piednoir, LR) remettent une pièce dans la machine.

En effet, ceux-ci viennent de publier un rapport très attendu par le gouvernement, qui préconise, comme ce dernier, de remplacer l'ASN et l'IRSN par une instance unique pour « fluidifier » la prise de décision, dans un contexte de relance de l'atome sur le territoire français. « Je proposerai au président de la République (...) de s'appuyer sur le travail sérieux et approfondi » fourni par les auteurs du rapport, s'est d'ailleurs empressée de réagir la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher.

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Minimisation du rôle de « contre-pouvoir » de l'IRSN

De quoi créer une nouvelle confrontation avec l'intersyndicale de l'IRSN, inquiète d'être fondue dans l'ASN, et donc toujours frontalement opposée à un tel projet. Dans la foulée, celle-ci a ainsi dénoncé un texte « partiel et partial », davantage « politique » que « scientifique ». Ce qui n'a toutefois pas décontenancé ses deux auteurs, dont l'étude a été largement soutenue hier par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), cette structure composée de 18 députés et d'autant de sénateurs censée « informer le Parlement des conséquences des choix de caractère scientifique et technologique afin, notamment, d'éclairer ses décisions », avec seulement 2 votes contre et 1 abstention.

Lors d'une conférence de presse organisée mercredi matin, Jean-Luc Fugit et Stéphane Piednoir se sont ainsi attaqués à l'un des principaux arguments répétés par les opposants à la fusion : celui d'une perte d'indépendance qu'engendrerait la disparition d'une forme de « contre-pouvoir » sur la sûreté nucléaire, représenté par l'IRSN, expert technique en la matière.

« L'IRSN, c'est un EPIC [Établissement Public à caractère Industriel ou Commercial, ndlr] placé sous l'autorité de 5 ministères, ce n'est pas une autorité indépendante ! [...] Il dépend directement du gouvernement », a en effet assuré Jean-Luc Fugit. Contrairement à l'ASN, « juridiquement indépendante du gouvernement tel que défini dans la loi de 2006 » actant sa création, a-t-il poursuivi.

Dépendance juridique

De fait, il reste 5 ministères de tutelle à l'IRSN, ainsi qu'un commissaire du gouvernement chargé de coordonner leurs positions, Cédric Bourillet. Lequel siège au Conseil d'administration de l'institut, où l'on retrouve d'ailleurs un représentant de chaque ministère.

Cependant, cette « dépendance juridique n'est pas réelle sur le terrain », affirme à La Tribune François Jeffroy, délégué syndical CFDT à l'IRSN.

« En 20 ans d'expérience, je n'ai jamais vu passer un seul soupçon d'intervention de la puissance publique sur des dossiers techniques », assure-t-il.

Pour lui, la question de l'indépendance se joue sur « d'autres plans ». « Elle repose sur la compétence, c'est-à-dire la capacité à présenter un point de vue et une expertise affirmés, argumentés, et distincts des organes de décision », explique-t-il.

Distinguer l'expertise technique de la prise de décision

Il n'empêche, l'expertise n'est pas l'apanage de l'IRSN, a rétorqué mercredi matin Jean-Luc Fugit, alors que l'ASN dispose elle aussi déjà d'un collège d'experts. « Dans ses décisions, l'ASN s'appuie en partie sur le travail de l'IRSN, mais on oublie souvent qu'elle a aussi ses propres experts. J'insiste, car j'ai l'impression que c'est souvent oublié », a-t-il souligné.

Un argumentaire insuffisant, selon François Jeffroy. « La nature d'expertise est différente. L'ASN s'occupe de vérifier la conformité à des référentiels techniques très réglementés, mais dès qu'il faut faire tourner des calculs qui s'en éloignent, sur l'état de la cuve des réacteurs par exemple, c'est l'IRSN qui travaille », affirme-t-il.

D'autant que l'indépendance entre l'expertise et la décision reste un « principe de base de la sûreté nucléaire » et ne date pas de la création de l'IRSN (en 2001) et de l'ASN (2006), ajoute le syndicaliste. Et pour cause, ce concept a émergé en France en 1973. « Alors que la totalité de la sûreté était gérée par une division du CEA [Commissariat à l'énergie atomique, ndlr], un service central de sûreté des installations a été créé cette année-là, qui distinguait les fonctions de décision et d'expertise », rappelle-t-il.

Mais sur le sujet, les deux parlementaires se veulent rassurants : si fusion il y a, « elle s'accompagnera bien d'une séparation entre ces deux fonctions dans la même entité, comme cela peut se faire dans d'autres pays », avec un « renforcement des groupes permanents d'experts », a assuré Stéphane Piednoir.

Des questions en suspens

Reste à voir si le rapport relancera les débats parlementaires autour de l'éventuelle fusion de l'IRSN et de l'ASN. Ses auteurs, en tout cas, le voient comme un « point de départ » pour enclencher cette « nouvelle organisation », et appellent à engager des discussions en ce sens « dès la rentrée 2023 », afin d'aboutir à une réforme « fin 2024 ou début 2025 ». « J'imagine que le sujet sera évoqué au Conseil de politique nucléaire prévu la semaine prochaine, comme l'a évoqué la ministre hier », a d'ailleurs précisé mercredi Jean-Luc Fugit, alors qu'Agnès Pannier-Runacher vient d'annoncer que l'événement en question se tiendra le 17 juillet.

L'intersyndicale, elle, fait toujours bloc. Et réclame de nouveau un « diagnostic pluraliste du système existant » face à un projet de fusion qui va, selon elle, « dégrader le processus de recherche-expertise-décision, garant de la sûreté des installations nucléaires ».

« La vraie question c'est : quel est le bénéfice, alors qu'aucune réelle étude d'impact n'a été menée en termes de sûreté ? », s'interroge François Jeffroy.

D'autant que de nombreux points restent irrésolus, comme l'avenir des fonctions de l'IRSN non liées à la sûreté nucléaire et la radioprotection. « Si on sépare l'IRSN actuelle de ses experts en défense nucléaire, par exemple, quelles seront les conséquences ? On ne peut pas confier à une entité indépendante de l'Etat quelque chose qui relève de la défense nationale », illustre-t-il. Et de conclure, manifestement inquiet : « On nous demande de sauter dans le vide, et d'attendre de voir ce qu'il se passe après ».

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Marine Godelier

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Commentaires 3
à écrit le 13/07/2023 à 8:41
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Deux députés heu deux tellement proche du pouvoir que leur impartialité est plus que douteuse. Un Renaissance et l'autre LR on ne pouvait trouver mieux pour aller sans ambiguïté dans le sens de l'Elysée. Cette mascarade ne fait que confirmer que la p...

à écrit le 13/07/2023 à 5:54
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L'électricité va devenir hors de prix. Le rapace de l'Elysée a décidé d'en vendre à tous nos voisins (30% rentre à peu près dans poche de ses amis). Alors que ce soit périlleux pour le peuple c'est bien le cadet de ses soucis. Et, si les inspecteur...

à écrit le 12/07/2023 à 18:09
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Députés et encore davantage les sénateurs sont très majoritairement totalement incompétents sur le nucléaire civil, sinon ils auraient demandé un bilan financier pour les futurs EPR et refusé ce programme. L'IRSN va avoir un travail gigantesque pour...

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