Nucléaire : la Ville et la Métropole de Lyon s’opposent au scénario de nouveaux EPR à la centrale du Bugey dans l’Ain

En Auvergne Rhône-Alpes, la centrale du Bugey (Ain) est candidate à l'accueil de deux nouveaux EPR. Mais cette éventualité divise sur le territoire, entre les élus de l'Ain, qui préparent le terrain depuis des années et y voit une opportunité économique, et les élus lyonnais, inquiets pour la sécurité des nombreux habitants du secteur ainsi que pour la question de la ressource en eau.
La centrale nucléaire du Bugey, située en bordure du Rhône à moins de 50 km du centre-ville de Lyon, pourrait accueillir deux EPR de dernière génération. Et quelque 200 km plus au sud, le long du même fleuve, quasiment à égale distance (une trentaine de kilomètres) entre Montélimar et Orange, la centrale du Tricastin est également candidate.
La centrale nucléaire du Bugey, située en bordure du Rhône à moins de 50 km du centre-ville de Lyon, pourrait accueillir deux EPR de dernière génération. Et quelque 200 km plus au sud, le long du même fleuve, quasiment à égale distance (une trentaine de kilomètres) entre Montélimar et Orange, la centrale du Tricastin est également candidate. (Crédits : Reuters)

À Lyon, un groupe de militants anti-nucléaires était venu protester à l'entrée de la salle qui accueillait, le 2 février dernier, un débat sur la prise en compte des incertitudes climatiques et géopolitiques du nucléaire. Rapidement, ils avaient été rejoints par une dizaine d'élus régionaux, métropolitains, municipaux, et même par un sénateur.

« C'est la première fois que je vois autant d'élus en écharpe à un débat », constatait Isabelle Barthe, de la CNDP (Commission nationale du débat public), chargée d'animer le débat.

Cet événement était intervenu dans le cadre plus large d'un débat public sur la construction de nouveaux réacteurs nucléaires en France, des EPR 2 dits de dernière génération. Néanmoins, plusieurs personnes sur place fustigeaient l'inutilité de ce débat, objectant que le gouvernement avait déjà choisi, via des décisions express, d'accélérer le développement du nucléaire en France.

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De fait, dans la région lyonnaise, cette accélération du nucléaire fait débat. Si le site des deux premières paires d'EPR2 est déjà connu (Penly en Normandie et Gravelines en Hauts-de-France), celui de la troisième paire ne l'est pas. Il doit être tranché entre la centrale nucléaire du Bugey, située dans l'Ain, à une trentaine de kilomètres des faubourgs de Lyon, en amont sur le Rhône, et la centrale du Tricastin (Drôme), à quelque 180 kilomètres au sud de Lyon, toujours le long du Rhône.

En activité depuis une cinquantaine d'années, la centrale du Bugey fait déjà l'objet de controverses entre pro et anti-nucléaires quant à son maintien en production. Et l'arrivée potentielle d'une nouvelle paire d'EPR ne fait que renforcer les positions de chaque camp.

Les élus de la Métropole de Lyon opposés à l'arrivée des EPR au Bugey

En octobre 2022, Bruno Bernard, président de la Métropole de Lyon et Grégory Doucet, maire de la Ville (tous les deux Écologistes) ont co-signé un courrier destiné à Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique, pour réaffirmer leur désaccord quant à l'arrivée de nouveaux EPR à Bugey.

« Je suis contre ce projet de nouvel EPR, où qu'il soit, mais d'autant plus, ici. D'abord, parce que 90% de notre ressource en eau potable dépend du Rhône, avec une politique très forte de préservation de l'eau pour continuer à en avoir en quantité et en qualité. Il y a différentes prédictions, mais on parle globalement de -30% de débit du Rhône en 2050. Ajouter un nouvel EPR à Bugey à ces difficultés est une idée qu'on ne peut pas accepter ici », explique Bruno Bernard à La Tribune.

Problématique de l'eau

La centrale a en effet besoin du fleuve pour le refroidissement. Une baisse de son débit, couplée à une hausse de température annoncée (celle des eaux du Rhône a déjà augmenté de 2°C entre 1920 et 2010) pourrait ainsi compromettre son fonctionnement.

Aussi, lors des fortes chaleurs l'été dernier, la centrale avait été autorisée temporairement à rejeter de l'eau plus chaude que d'habitude dans le Rhône, en se limitant à maximum 3°C (en moyenne journalière) de plus que la température du fleuve avec un plafond à 30°C. Une dérogation rare, car elle n'est pas sans conséquence pour la petite faune et la flore du fleuve.

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Lors de la soirée de débat à Lyon le 2 février, Philippe Guelpa-Bonaro, vice-président de la Métropole de Lyon en charge des sujets du climat, de l'énergie et de la réduction de la publicité, présent sur place, avait également souligné le fait que « les champs captants(*) de la métropole sont à vingt kilomètres à peine en aval de la centrale du Bugey. On ne peut pas prendre le risque de laisser cette ressource avec des polluants éternels ».

Un risque dans un bassin de population très dense

« Le deuxième sujet, c'est que, dans un rayon de 30 kilomètres autour de Bugey, il y a quand même 800.000 habitants », ajoute Bruno Bernard.

La question de la gestion du risque dans un bassin de population aussi dense inquiète justement les élus.

« Que faire si ça pète ? », interrogeait Sylvain Godinot, adjoint au maire à la transition écologique et au patrimoine, en amont du débat public. « Si un nuage radioactif arrive en moins de six heures, on ne peut rien faire. Si le délai est plus long, la Préfecture distribue des comprimés d'iode sur deux sites seulement, à Lyon. Que le nuage arrive vite ou lentement, on ne sait pas gérer un accident nucléaire, donc nous nous opposons formellement à un EPR supplémentaire. »

Le slogan « ni ici ni ailleurs » revenait d'ailleurs régulièrement dans les interventions des élus et militants sur place. Fabienne Grébert, conseillère régionale écologiste et concurrente de Laurent Wauquiez lors des dernières élections, exprimait sa déception sur l'ordre de priorités du gouvernement en ces termes :

« Il y a tellement à faire avant de construire de nouveaux EPR : organiser la planification de la transition énergétique, travailler sur la sobriété, la rénovation des logements, le ferroviaire et les transports... »

Les élus de l'Ain très favorables à l'augmentation de capacité du Bugey

À une trentaine de kilomètres à l'est de Lyon, dans le département de l'Ain, les élus locaux mènent, quant à eux, la mission inverse, en travaillant depuis des années à favoriser l'implantation de ces nouveaux EPR à Bugey.

Dès le moment où EDF a annoncé son intention de créer trois paires d'EPR, la Communauté de communes de la Plaine de l'Ain (CCPA, dont le territoire inclut la centrale du Bugey) s'est positionnée pour en accueillir une.

« On nous a fait comprendre que l'acceptation éclairée du territoire était très importante pour le positionnement d'EDF », se rappelle Jean-Louis Guyader, le président de la communauté de communes de la Plaine de l'Ain.

Dès juin 2021, le syndicat mixte « Bugey-Côtière-Plaine de l'Ain » (Bucopa) a décidé qu'il allait modifier son « schéma de cohérence territoriale » (Scot). Ce nouveau « Scot Bucopa » doit donc prévoir « les conditions que le territoire entend mettre en place pour l'accueil d'une paire de réacteurs nucléaires de nouvelle génération dits EPR 2 sur une extension du site du CNPE du Bugey ».

L'enquête publique nécessaire à sa réalisation a mis en avant que 78,5% des participants (1.512 contributions) se sont déclarés favorables à cette modification. Le 6 février dernier, le syndicat mixte a donc approuvé cette modification et identifié une emprise de 150 hectares pour l'accueil des EPR.

Une manne financière

« Un EPR, en termes d'activité économique, ça nous intéresse beaucoup », ajoute Jean-Louis Guyader.

Le maire de Saint-Vulbas, la commune où est située la centrale, n'a pas donné suite à nos sollicitations. Dans la presse, il évoquait toutefois « l'harmonie » entre sa commune et la centrale.

D'après France 3, les recettes fiscales générées par la centrale « représentent 3 des 10 millions d'euros du budget annuel [de la commune] ». Concernant la CCPA, l'ordre de grandeur des recettes fiscales liées à la centrale tourne autour de 15 millions d'euros, selon son président.

Le territoire s'est toutefois préparé à l'arrêt de la centrale (ses réacteurs actuels étant anciens) en créant le parc industriel de la Plaine de l'Ain (PIPA) qui accueille aujourd'hui 188 entreprises. Le bassin est aussi riche d'équipements sportifs et culturels, directement imputables aux recettes générées par l'implantation de la centrale.

« Cette dynamique globale ne se serait jamais mise en route sans la centrale », affirme Jean-Louis Guyader.

« Je préfère deux réacteurs neufs que de prolonger les anciens »

Le président de la CCPA défend aussi une souveraineté industrielle et énergétique via ces EPR.

« Personne ne nie les problèmes relatifs à la sécurité et aux déchets, mais, jusqu'à présent, EDF a montré qu'elle les maîtrisait [...] Je préfère avoir deux réacteurs flambants neufs que de prolonger les anciens », avance Jean-Louis Guyader.

Maintenant que cette étape « d'acceptation du territoire » est passée, le président de la CCPA attend une décision officielle. Reste donc à savoir qui, entre Tricastin et Bugey, accueillera ces nouveaux EPR.

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Commentaires 3
à écrit le 23/03/2023 à 11:28
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Faisons simple : la ville et la métropole de Lyon sont dirigés par des écolos politiques, qui sont antinucléaires par principe. Comme il faut éradiquer les centrales au gaz ou au charbon, il ne leur reste que l'éolien ou le solaire, qui sont intermit...

à écrit le 22/03/2023 à 17:40
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coquille "entre les élus de l'Ain, qui préparent le terrain depuis des années et y voit une opportunité économique, " y voient

à écrit le 22/03/2023 à 8:46
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Augmenter la capacité des centrales existantes est une aberration car cela multiplie les risques pour la population locale au même titre que l'enrichissement du minérai radiactif non létal dans la nature. L'intérêt est principalement économique...

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