Nucléaire : « Il faut construire l'équivalent du parc d'aujourd'hui, soit 56 réacteurs » (Pierre Gadonneix, président d'honneur d'EDF)

GRAND ENTRETIEN. PDG d'EDF entre 2004 et 2009, Pierre Gadonneix est notamment l'homme qui lancé le projet d'EPR à Flamanville en 2004, mené l'entrée en Bourse de l'électricien en 2005, puis la prise de contrôle de British Energy en 2008. Aujourd'hui Président d'honneur d'EDF, il décrypte pour La Tribune le plan de relance du nucléaire du gouvernement français et détaille les conditions qu'il faut remplir à ses yeux pour le réussir. Financement, régulation, nationalisation d'EDF, sûreté, attitudes des politiques et les nouvelles fissures découvertes sur certains réacteurs... Pierre Gadonneix porte un regard sans concession sur la situation du nucléaire tricolore.
Pierre Gadonneix, fut le PDG d'EDF entre 2004 et 2009, il est aussi celui qui a lancé le projet d'EPR à Flamanville en 2004, puis mené l'entrée en Bourse de l'électricien en 2005, et enfin, opéré la prise de contrôle de British Energy en 2008.
Pierre Gadonneix, fut le PDG d'EDF entre 2004 et 2009, il est aussi celui qui a lancé le projet d'EPR à Flamanville en 2004, puis mené l'entrée en Bourse de l'électricien en 2005, et enfin, opéré la prise de contrôle de British Energy en 2008. (Crédits : Reuters)

LA TRIBUNE - Des pays non nucléarisés manifestent aujourd'hui leur intérêt pour l'électronucléaire, d'autres comme la France accélèrent, d'autres encore prolongent la durée de vie de leurs centrales, y compris ceux qui avaient annoncé sortir de l'atome comme l'Allemagne et la Belgique. Douze ans après l'accident de Fukushima, quel regard portez-vous sur ce regain d'intérêt pour l'atome ?

PIERRE GADONNEIX - Il y a toujours eu un intérêt pour le nucléaire. Les Etats-Unis, la France, le Royaume-Uni, la Russie, la Chine...il y a toujours eu de nombreux pays qui ont fait le choix du nucléaire et d'autres qui ont été plus réticents, comme l'Allemagne même si elle a construit des centrales, et l'Autriche. A l'échelle de la planète, c'est surtout en Europe que l'impact de Fukushima sur l'opinion et certains gouvernements a été le plus fort, même s'il n'y a pas eu de victimes nucléaires et que tous les pays dans le monde ont renforcé les mesures de sûreté. Et plus particulièrement en Allemagne qui a annoncé en 2011 la sortie du nucléaire d'ici à 2022, et à un degré moindre en France avec l'annonce de François Hollande en 2015 de ramener la part du nucléaire de 75% à 50% en 2025 en arrêtant les investissements et en fermant certaines centrales. Une politique suivie par Emmanuel Macron dans son premier mandat. Cela a marqué un coup d'arrêt et a entamé une phase de déclin de la filière.

Aujourd'hui, malgré l'échec de sa politique énergétique, qui était d'ailleurs totalement prévisible, l'Allemagne n'arrive pas à remettre en cause l'arrêt de réacteurs. Il les diffère. L'opinion publique allemande est partagée. Elle est plutôt contre, mais les milieux industriels y sont favorables. En France, la crise énergétique et l'urgence climatique amènent beaucoup de responsables politiques et de personnes dans l'opinion publique qui étaient anti-nucléaires à s'interroger. A tel point qu'il y a à nouveau en France une majorité des Français favorable au nucléaire, comme c'était le cas du temps où je dirigeais EDF entre 2004 et 2009. Au sein même des écologistes, il y a des pro-nucléaires comme Jean-Marc Jancovici, qui contribue à montrer que les préoccupations environnementales sont tout à fait compatibles avec le nucléaire. Dans certains pays, comme la Finlande, les écologistes sont favorables au nucléaire.

Je constate néanmoins avec un peu d'étonnement que la bataille n'est pas achevée entre les pro et les anti-nucléaires européens. Si toute une partie de l'Europe centrale, la Suède et les Pays-Bas y sont désormais favorables, le pôle Allemagne-Autriche, mais aussi le Luxembourg, est toujours hostile. L'affrontement sur ce sujet entre la France et l'Allemagne est majeur et il est clair que l'Allemagne cherche à empêcher la relance du nucléaire français. Quant aux Etats-Unis, Fukushima n'a eu aucun impact sur l'opinion publique. Le nucléaire s'est arrêté parce que le gaz de schiste était tellement compétitif que les Américains n'avaient pas besoin de construire de nouvelles centrales. A mon avis, les États-Unis vont repartir très vite dans le nucléaire.

N'y a-t-il pas un risque que cette relance du nucléaire à l'échelle de la planète ne profite davantage à la Russie qu'aux acteurs occidentaux, sachant que de nombreux pays ne soutiennent pas les sanctions occidentales contre Moscou?

Rosatom est déjà le leader mondial. C'est un acteur très crédible sur la scène internationale, qui a réussi, après l'accident de Tchernobyl en 1986, à reconstruire un outil industriel performant. Demain il y aura les Chinois, qui sont, à mon avis, les plus menaçants pour EDF. Ils ont la compétence, il n'y a pas de doute. EDF est également crédible sur le plan technique et a un rôle à jouer, mais il ne sera plus seul comme c'était le cas il y a une vingtaine d'années quand il était ultra dominant à l'échelle de la planète. Le groupe américain Westinghouse est en train de repartir mais il n'a plus construit de centrales depuis trente ans contrairement à EDF qui en construit en Chine, en Grande-Bretagne et termine Flamanville. Après, dans l'obtention des contrats, l'aspect technique est une chose, le poids des relations politiques en est une autre. La commande de la Pologne d'une centrale nucléaire à Westinghouse en témoigne, alors qu'EDF avait de bonnes raisons d'espérer l'emporter. Les Etats-Unis sont les grands gagnants de la guerre en Ukraine. Il n'y a pas de doute non plus.

Que pensez-vous du plan français de relance du nucléaire ?

L'énergie nucléaire a été un succès extraordinaire de la France. Nous étions leaders. Aujourd'hui, si les choses n'avaient pas été gâchées, EDF devrait être comme Total et dégager d'énormes profits exporter massivement. Je parlais du succès de Rosatom, j'y vois un encouragement pour la France. Sa renaissance, malgré l'accident de Tchernobyl, montre qu'un retour au premier plan est possible. EDF n'a pas connu un tel désastre industriel, donc si la France en a la volonté, elle réussira son plan de relance du nucléaire. Comme l'a fait la Russie, la politique nucléaire nécessite un soutien et une politique publique stable et déterminée, qui ne doit surtout pas être remise en cause. C'est ce qui s'est passé en Russie. Je pense qu'Emmanuel Macron peut faire comme Valéry Giscard d'Estaing dans les années 1970. Lorsqu'il est arrivé à la présidence de la République, le plan Messmer de lancer un programme nucléaire avait été décidé un mois avant. Il l'a fait en un septennat. Et je pense qu'Emmanuel Macron peut réaliser la relance, même si cela ne va pas être facile. Avoir nommé Luc Rémont à la tête d'EDF est un bon choix. Il a toutes les compétences pour réussir. Six nouveaux réacteurs ce n'est pas rien. C'est un affichage tout à fait raisonnable.

Que pensez-vous du calendrier prévu par le gouvernement d'une mise en service des premiers réacteurs à l'horizon 2035-2037 ?

Ce calendrier ne me paraît pas très ambitieux. Il est envisagé de lancer la construction d'un réacteur tous les deux ans alors que sous le mandat de Valéry Giscard d'Estaing, cinq réacteurs ont été lancés chaque année ! Même si le volet réglementaire est moins souple aujourd'hui, la France dispose néanmoins d'une filière qui n'existait pas à l'époque et qui, je l'espère, doit permettre de se rapprocher de ce rythme de construction. Nous n'en sommes certes pas là, mais j'ai néanmoins bon espoir qu'en cours de route, une fois la crédibilité de la filière retrouvée, il sera possible d'accélérer.

De combien d'années pourrait-on anticiper le calendrier ?

En fait, le plus important, c'est de construire plus de réacteurs. La prolongation des centrales existantes comme le souhaite le gouvernement permettra en fait d'avoir des capacités suffisantes jusqu'en 2035 et de ne plus avoir le couteau sous la gorge à court terme. Il faudrait pouvoir lancer la construction d'au moins deux ou trois réacteurs par an pour éviter de se retrouver en difficulté le jour où tous les réacteurs actuels, qui ont démarré en l'espace d'une dizaine d'années, n'arrivent en fin de vie en même temps. Car, on sera incapable de construire un parc nucléaire en dix ans comme on l'avait fait à l'époque. Par conséquent, il serait opportun de ne pas prolonger toutes les centrales au-delà de 60 ans. Si certaines ont des durées de vie plus courtes, cela permettrait d'étaler le rythme de construction des nouvelles centrales. Le coût d'une telle prolongation avoisinera 50 milliards d'euros (un montant similaire à la construction des six réacteurs), c'est intéressant financièrement. Prolonger un réacteur coûte un milliard d'euros contre 7 ou 8 milliards d'euros pour la construction d'un nouveau réacteur.

Agnès Pannier-Runacher a indiqué avoir demandé aux industriels d'étudier la possibilité d'aller au-delà des 14 réacteurs (6 fermes et 8 options) prévus dans le plan de relance. Combien en faudra-t-il, selon vous ?

Il faudra reconstruire le niveau du parc actuel en volume. Les prévisions de consommation de l'électricité le justifient. Le scénario central de RTE, qui semble raisonnable parmi les cinq proposés, prévoit une hausse de 50% de la consommation d'électricité d'ici à 2050. Donc maintenir le parc existant au niveau actuel ne me paraît pas incongru. Cela signifie qu'il faut construire l'équivalent du parc d'aujourd'hui, soit 56 réacteurs. C'est énorme.

Quelles sont les conditions pour réussir cette relance du nucléaire ?

Il faut réunir trois conditions. Il faut tout d'abord revisiter toutes les réglementations, toutes les législations, les possibilités de recours, le débat public, rationaliser la gouvernance de l'autorité de sûreté (ASN), tout ce qui allonge les délais de construction des centrales. Le lancement du projet de loi relatif à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires et au fonctionnement des installations existantes (adopté au Sénat et qui sera soumis au vote de l'Assemblée du 13 au 15 mars, Ndlr) et le transfert de l'IRSN, l'organisme en charge de l'expertise du risque radiologique en France, à l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), le gendarme du nucléaire, vont dans le bon sens. Les centrales du plan Messmer ont été construites en 7 ans, aujourd'hui il faut 15 ans ! Les délais sont d'ailleurs les mêmes pour l'éolien, qui rencontre les mêmes lenteurs, à la différence près qu'ils n'ont pas d'autorité de sûreté.

En quoi le transfert de l'IRSN et l'ASN est-il « une bonne chose » sachant que, selon les syndicats de l'IRSN, la séparation de l'expertise et de la prise de décision menace la crédibilité de la sûreté nucléaire, et que le conseil d'administration de l'IRSN alerte sur le risque de départs des compétences de l'IRSN ?

Du point de vue de la sécurité, l'ASN est crédible et n'a jamais été contestée par l'opinion. C'est un atout qu'il faut conserver. Et je ne pense pas qu'il soit dans la volonté du gouvernement qu'il en soit autrement. Pour autant, il y a moyen de progresser dans tout ce qui touche à l'autorité de sûreté. Pourquoi ce projet de rapprochement est-il le bienvenu ? Parce qu'il faut absolument que l'ASN prenne davantage en compte la dimension industrielle. Comme c'est le cas dans l'aéronautique ou dans le nucléaire aux Etats-Unis, la responsabilité d'une autorité de sûreté n'est pas de faire état de tous les risques qui existent dans une opération. Mais de dire ce qui est raisonnable avec l'économie du système ; qu'il y ait un souci de l'investissement raisonnable. Parce que la sécurité à 100% n'existe pas et que l'on peut toujours introduire plus de sûreté. Il n'y pas de limite. Or, il faut à un moment procéder à une estimation de cette limite. Et l'IRSN n'a que très peu contribué à faire cela. En promulguant ses avis avant la décision de l'ASN, elle a davantage freiné l'ASN dans sa volonté de mieux prendre en compte la dimension industrielle dans ses décisions. Cette réforme portée par l'ASN est courageuse.

C'est-à-dire ?

Je vais illustrer mon propos en prenant l'exemple de la prolongation des réacteurs. La moitié de notre parc nucléaire est constitué de centrales d'une puissance de 900 mégawatts (MW). Elles sont toutes des clones au boulon près des centrales américaines de Westinghouse car elles ont été construites sous licence de l'opérateur américain. Les Etats-Unis ont prolongé leur durée de vie au-delà de 70 ans. Quand j'étais aux commandes d'EDF, nous avions commencé avec l'ASN de voir comment on pouvait les prolonger. Quinze ans après, ce n'est toujours pas fait.

L'autorité de sûreté nucléaire estime que son modèle ne permet pas d'acter rapidement la prolongation des réacteurs à 60 ans et au-delà, et veut désormais s'inspirer du modèle américain où les licences d'exploitation courent parfois jusqu'à 80 ans. En quoi le modèle américain est-il différent ?

Aux Etats-Unis la philosophie est différente de celle de l'autorité de sûreté française. Les Américains regardent dès le départ la durée de vie des centrales et s'assurent de la préservation de leur sécurité telle qu'elle avait été conçue initialement. En France, on fait le point tous les dix ans pour voir si des innovations en matière de sûreté peuvent être mises en place. Or, comme disent les responsables américains du nucléaire, si vous mettez de l'innovation, vous prenez un risque. Dans le problème de corrosion sous contrainte qui a conduit à la fermeture d'une partie du parc, je constate que le problème concerne les nouvelles centrales sur lesquelles il y a eu des innovations mises en place dans le passé avec l'accord de l'autorité de sûreté, mais pas celles sous licence Westinghouse. Ce sujet est important. Car, lorsque l'on parle de relancer un programme nucléaire, il faut au préalable prolonger la durée de vie des centrales existantes.

Que vous inspirent les nouvelles fissures découvertes la semaine dernière sur les réacteurs 1 et 2 de la centrale de Penly ?

Je ne dispose, bien entendu, d'aucune information privilégiée concernant ce dernier défaut de soudure observé à Penly. J'observe qu'il s'agit d'une centrale parmi les plus récentes, modèle P'4 de 1.300 Mégawatts. Je m' attends à ce que EDF et l'ASN adaptent le programme prévu de maintenance et de contrôle des tubulures du parc, susceptibles de présenter des défauts, avec un souci d'optimisation de la production. Je n'ai aucun doute qu'un tel programme de maintenance sera défini et mis en œuvre, il reste à établir sa répercussion sur les prévisions de production. J'ajouterai qu'un incident systémique tel que celui observé depuis un an, était un risque envisagé dès l'origine de la construction du parc. Avec le temps et surtout l'absence d'incident majeur sur le parc équivalent aux Etats-Unis, la perception de ce risque a eu tendance à s'atténuer.

Quelles en sont les conséquences ?

Dans les années 2000, quand j'étais en responsabilité, il y avait une surcapacité installée de l'ordre de 20% par rapport à la consommation d'électricité en France. Cet excédent a été réduit avec l' arrêt de nouvelles capacités nucléaires et surtout la fermeture d'unités de production, nucléaire avec Fessenheim, thermiques avec Porcheville, Gardanne, Le Havre, Saint- Avold (remise en service tout récemment). Le développement tout à fait justifié de la production renouvelable, solaire et éolien, n'a pas compensé les réductions. Ces incidents découverts sur le parc montrent qu'il faudra à l'avenir reconstituer des capacités disponibles pour répondre aux aléas de la consommation et de la production.

A noter que contrairement aux scénarios de prévisions de la consommation d'électricité réalisés dans les années 2012-2015 par RTE au moment où le gouvernement a décidé ces fermetures, la consommation d' électricité n' a pas baissé, et l'on prévoit au contraire une forte croissance dans les prochaines années. Il y a dès lors un risque que le niveau de production n'atteigne pas avant plusieurs mois, le niveau nécessaire à la satisfaction de la demande à des prix acceptables et à l'équilibre financier d' EDF. Il manque une marge de capacité disponible pour faire face aux aléas. Cette marge réduite du fait des décisions politiques, largement non étayées par aucune étude d' impact, de fermetures de capacités.

Quelles sont les deux autres conditions pour réussir la relance du nucléaire ?

La deuxième condition, c'est de réussir le financement et sortir de l'absurdité des contraintes européennes dans lesquelles la France s'est engouffrée avec la loi Nome de 2010 au moment de l'ouverture à la concurrence du marché de l'électricité. Pour rappel, pour satisfaire Bruxelles, les concurrents d'EDF devaient avoir accès à la rente d'EDF (son parc nucléaire) au nom de l'ouverture du marché de l'électricité. C'est comme cela que la France a créé ce concept absurde : l'Arenh, l'« Accès régulé à l'électricité nucléaire historique », un mécanisme qui oblige EDF de vendre à ses concurrents une partie de sa production d'électricité nucléaire à bas prix. Ce système ne permet pas de vendre l'électricité à un prix permettant de financer le maintien ou la construction de nouvelles centrales. L'Arenh est aujourd'hui à 42 euros quand le coût de développement moyen des centrales est plutôt de l'ordre de 60 euros. Le prix de revient de Flamanville est plutôt autour de 70 euros. Par conséquent, ce système ne permet pas à EDF de financer la relance du nucléaire.

Que préconisez-vous ?

Il faut s'inspirer de ce qui a été fait en Grande-Bretagne quand elle était dans l'Union européenne. Quand EDF a pris le contrôle de British Energy en 2008, nous avons signé un contrat de régulation avec l'Etat britannique d'une durée de 30 ans qui garantissait un prix de l'électricité (indexé sur l'inflation) permettant de rentabiliser l'investissement sur la construction des centrales nucléaires. La Commission européenne l'avait, contre toute attente, validé. Malheureusement, la Grande-Bretagne a quitté l'Europe et Bruxelles ne veut plus d'un tel système. Je pense néanmoins que pour le gouvernement français doit se montrer ferme avec Bruxelles et se battre pour obtenir une telle forme de garantie des prix. L'idéal serait de revenir aux tarifs régulés. Cela fonctionne bien. On le voit pour les particuliers mais ce système pourrait très bien être généralisé à l'industrie qui est demandeuse. C'est ce que j'ai connu. A mon époque, EDF se battait avec le régulateur pour un obtenir un prix permettant de financer le renouvellement du parc nucléaire. C'était plus sain qu'aujourd'hui où les tarifs montent à des sommets ou descendent très bas. Le problème du financement de la relance du nucléaire, ce n'est pas le cash, mais la garantie des prix.

La nationalisation d'EDF peut-elle aider le financement de la relance du nucléaire ?

La situation sera plus facile pour EDF car les banques considèreront que le groupe dispose d'une garantie implicite de l'Etat et accorderont des prêts plus facilement. Les dix milliards d'euros déboursés par l'Etat pour financer l'OPA sur EDF sur EDF ne servent à rien en termes d'investissement. Mais la nationalisation donne au gouvernement français plus de marge de manœuvre vis-à-vis de Bruxelles. Maintenant que l'entreprise est publique, l'Etat peut en quelque sorte faire ce qu'il veut. Il y a une garantie implicite pour les prêts, et il peut fixer des tarifs. Il y a une voie qu'il faudrait explorer : celle d'une loi de programmation pluriannuelle des besoins nucléaires à l'image de ce qui se fait dans la défense avec la loi de programmation militaire (LPM). Dans tous les cas, normalement, l'Etat français ne devrait pas mettre de l'argent dans le plan de relance nucléaire, mais assurer la gouvernance du financement.

Faut-il faire participer les clients industriels ?

Les industriels sont demandeurs de signer des contrats de 15 à 20 ans à prix fixe, qui est une manière de financer le parc nucléaire. Mais, il faut un système qui stipule que les industriels paient le prix de fixé même si le prix du marché s'écroule, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, où ceux qui achètent à l'Arenh peuvent ne pas acheter dans la mesure où ce n'est pas un contrat. Ils n'achètent pas l'Arenh quand les prix marchés sont bas, et achètent quand les prix du marché sont élevés, et c'est EDF qui paye. Cette dissymétrie ne permet pas d'assurer de la visibilité à long terme des prix de revient. Mais les industriels sont ouverts à cela. En outre, le prix de l'Arenh ne reflète pas le coût du renouvellement du parc, ce qui doit être corrigé.

Que pensez-vous de l'utilisation des fonds du Livret A ?

Cela m'a l'air d'être un gadget. Dans tous les cas, pour que ce soit acceptable, il faut une garantie. On ne peut pas se permettre de placer l'épargne des Français sur quelque chose de risqué.

Vos préconisations sont incompatibles avec les principes de concurrence de Bruxelles

J'entends souvent que la France a besoin d'un marché européen pour importer de l'électricité. Cela n'a rien à voir. Les échanges d'électricité ne sont pas liés à la réglementation tarifaire. Si les tarifs étaient régulés en France, on pourrait acheter de l'électricité à l'étranger. C'est ce qui se passait quand les tarifs étaient régulés et ça fonctionnait très bien. Il y a par ailleurs un point que l'on ne dit jamais : le marché unique européen ne conditionne pas un système de régulation unique dans tous les pays membres. Peut-on dire que les Etats-Unis ne sont pas un marché unique ? Evidemment non. Et pourtant, la régulation est différente d'un État à l'autre. La moitié des Etats américains ont des tarifs libres, l'autre moitié des tarifs régulés, et personne n'y voit une entrave au marché unique américain. La France n'est pas obligée d'avoir les mêmes systèmes de tarifs que ceux en vigueur dans le reste de l'Europe. Quand je dirigeais EDF, nous n'avions pas les mêmes tarifs que l'Allemagne, et ça fonctionnait très bien. Évidemment les Allemands étaient hostiles à ce système, notamment les industriels, car ils estimaient que l'industrie française bénéficiait ainsi d'un avantage compétitif. Notre électricité était en effet moins chère avec un prix stable alors que les prix variaient en Allemagne.

Quelle est la troisième condition pour réussir la relance du nucléaire ?

La troisième est la plus simple, l'engagement politique, déterminé, sans ambiguïté dans la durée, comme l'ont fait les Anglais. C'est ce que semble faire Emmanuel Macron, après avoir annoncé la fermeture de Fessenheim et de quinze autres centrales.

Que pensez-vous justement de l'arrêt de Fessenheim ?

Fermer une centrale nucléaire rentable dont l'autorité de sûreté venait de dire qu'elle était en ligne avec la sûreté, était inimaginable. Personne n'avait jamais fait cela nulle part dans le monde, sauf l'Allemagne.

Le projet de loi de programmation énergétique, qui devra fixer les trajectoires de la France dans chaque énergie, sera présenté en juin. La part de 50% de nucléaire dans le mix énergétique va être retirée. Quel serait le bon mix selon vous ?

Il ne faut pas fixer des parts à l'avance. Il faut regarder comment évolue la compétitivité de chaque énergie. Il n'y a aucun doute que les prix de l'éolien et du solaire ont beaucoup baissé et deviennent compétitifs. En revanche, un handicap énorme du stockage n'a pas été surmonté. Quand il n'y a ni soleil ni vent, il faut avoir capacité à produire, donc à stocker mais les progrès en stockage sont limités et le stockage augmente le coût. Il faut regarder le bilan-coût. Le problème du nucléaire est que les prix ont fortement augmenté. Il y a un moment où les courbes se croisent. Est-ce qu'on va pouvoir innover avec du nouveau nucléaire : il y a deux pistes : la miniaturisation des centrales, les SMR, et les centrales à neutrons rapides, les surgénérateurs qui restent une piste qui intéresse tout le monde. Mais ces pistes sont longues donc on ne prend pas de risques à renouveler le parc tel qui l'est.

Les petits réacteurs, les SMR pour« small modulators reactors » sont-ils pertinents dans le plan de relance ?

La France a de grandes compétences dans le nucléaire. Quand on parle de SMR, il s'agit de prendre les mini-réacteurs qui sont utilisés sur les sous-marins nucléaires qui marchent très bien pour faire du nucléaire fixe. EDF, le CEA, TechnicAtome travaillent sur ce sujet. Mais, pour l'heure, il ne semble pas possible de faire des mini centrales rentables, car le coût de revient n'est pas compétitif par rapport à celui des grandes centrales. Mais peut-être y parviendra-t-on un jour. Par ailleurs, l'intérêt d'avoir des mini centrales pour limiter les coûts de transport d'électricité et éviter de créer de nouvelles lignes à haute tension ne se pose pas en France. Pour relancer le nucléaire, nous avons la chance d'avoir déjà des centrales. Cela évite de perdre du temps pour trouver un nouveau site et de devoir créer une ligne à haute tension, comme ce fut le cas quand nous avons lancé Flamanville.

EDF a perdu près de 20 milliards d'euros et a dû fermer la moitié de son parc en raison d'un accident industriel majeur avec les problèmes de corrosion sous contrainte... Comment expliquez-vous cette descente aux enfers ?

Je pense que le changement d'attitude des pouvoirs politiques vis-à-vis du nucléaire a été désastreux. Deux événements ont massacré la situation financière d'EDF. Le premier, c'est la loi Nome de 2010, qui a introduit l'Arenh, un système comme je l'ai dit pervers qui s'est avéré être une pilule empoisonnée qui a rongé EDF de l'intérieur. Le deuxième, c'est l'annonce de François Hollande de l'arrêt des investissements dans le nucléaire. Ce fut un coup de poignard qui a arrêté tout développement et qui a démobilisé la filière. Ce qui explique le délai mis pour corriger le problème de corrosion sous contrainte qui obligé EDF à fermer un grand nombre de centrales.

Par ailleurs, la capacité perdue de toutes les centrales (à charbon, à gaz et au nucléaire), que nous avons fermées pour faire plaisir aux écologistes, avoisine 10 térawattheures. Soit, la puissance qui nous manque aujourd'hui. Si ces centrales n'avaient pas été fermées, EDF ne perdrait pas d'argent et la production aurait permis de passer la pointe de demande et d'éviter à EDF d'acheter de l'électricité en Allemagne. D'autant plus qu'il y a toujours eu, comme je l'ai dit précédemment, un risque systémique sur notre parc nucléaire. Dès lors que toutes les centrales ont été construites sur le même modèle, un problème constaté sur une centrale avait toutes les chances de se retrouver sur les autres. On savait que le risque existait. Il aurait été raisonnable de se protéger contre ce risque en gardant des capacités.

Vous avez lancé le projet EPR à Flamanville. Comment expliquez-vous les 12 ans de retard et le surcoût ?

Je m'y attendais un peu, mais pas à ce point-là.  J'ai deux réponses. La première, je m'inquiétais des pertes de compétences. Cela a été ma motivation numéro un pour faire Flamanville. La France avait arrêté de construire des centrales car nous étions en surcapacité. Et nous savions qu'il faudrait reconstituer le parc à l'horizon 2025-2030. Mon diagnostic a été qu'il fallait absolument relancer le nucléaire pour éviter de fermer la filière et perdre des compétences. Il fallait donner du travail aux personnels de Framatome qui n'avaient plus rien à faire. On allait licencier. Cette relance ne pouvait se faire qu'à l'étranger car la France n'avait pas de besoins. Pour autant, il fallait construire une centrale en France, car il aurait été difficile d'exporter sans en avoir déjà construite une sur notre sol.. J'avais donc proposé de construire une centrale tous les deux ans. J'avais dit Flamanville tout de suite et Penly deux ans plus tard, mais Penly n'a jamais commencé. Par ailleurs, l'ensemble de la filière avait lui aussi perdu toutes les compétences en nucléaire. Contrairement aux années Giscard où il y avait 30 chantiers en même temps, qui permettait de déplacer de la main-d'œuvre rapidement vers le site où un problème survenait, ce n'était pas le cas à Flamanville. On a manqué de bras. La perte de compétence, c'est cela.

Que pensez-vous de la création de la délégation interministérielle

C'est une bonne initiative. Il fallait coordonner les services de l'Etat. Je passais mon temps à avoir des interlocuteurs de partout, le ministère de l'environnement, les élus locaux, le débat public. Il fallait quelqu'un qui coordonne tout cela pour que la voix de l'Etat soit unique. Et il faut qu'on désigne clairement un maître d'ouvrage qui ne peut être qu'EDF.

On voit dans les écoles d'ingénieurs moins d'attrait pour le nucléaire.

Cela reprend. Le nucléaire revient à la mode. Il y a plein de jeunes qui s'y intéressent. Il n'y a pas de rejet. C'est en train de revenir. Depuis le changement d'attitude de Macron, il le fait et c'est essentiel qu'il le fasse. Et je l'encourage et je pense que c'est possible de gagner. De plus en plus de jeunes ingénieurs écologistes s'intéressent à nouveau au nucléaire.

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Commentaires 18
à écrit le 14/03/2023 à 22:18
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Supprimer l'IRSN avec une telle motivation est assez farce! Si l'ASN pour construire sa crédibilité se pense obligée de surenchérir sur tout avis de l'IRSN, il y a un problème à régler. S'engager dans une destruction qui coûtera politiquement et écon...

à écrit le 14/03/2023 à 21:46
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Une chose est certaine: on entend plus les écolos sur le sujet.. Il leur reste les problématiques d’évolution de la biodiversité dans les pâturages du Vercors, et je crois que tout le monde s’en f...

à écrit le 14/03/2023 à 18:56
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Bonjour, Dire cela ou ne rien dire , sa reviens au même.. L'EPR ne fonctionne toujours pas, 12 année de retards , et un prix multiplier par 4 ou plus ... Donc avant de faire des propositions, ils faut déjà trouver des solutions au problème actuell...

à écrit le 14/03/2023 à 17:44
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Le conseiller économique de François Hollande porte une lourde responsabilité dans le sabordage de l'avantage concurrentiel et de souveraineté nationale de la filière nucléaire en France. Ses prédécesseurs ne l'ont pas aidé non plus : il a bien assum...

à écrit le 14/03/2023 à 12:37
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il faut une démarche industrielle et rentable. Penser aux usages en France et un peu d'export c'est tout. Les parcs ENR doivent rester isolés et ne pas mettre la grouille sur le réseau stable qu'est le nucléaire, pour le réseau ENR ce sera Gaz et c...

à écrit le 14/03/2023 à 10:32
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Ouiiiinnn ! c'est à cause des allemands ! La ficelle est grosse ! animal à sabots ! saboteurs !

le 15/03/2023 à 12:26
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c est d autant plus vrai que l angleterre (equiuvalent en puissance industriel et population) ne prevoit que 8 reacteurs jusqu en 2050. Elle va arrete le fonctionnement de 45 reacteurs

à écrit le 14/03/2023 à 9:42
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Le nucléaire semble incompatible avec un marché concurrentiel et renforce le monopole. Au contraire des renouvelables. Il est naturel que le monopole le soutienne. D'autre part si on choisi d'investir dans le nucléaire on ne peut pas faire les cho...

le 14/03/2023 à 10:16
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Vous n'avez pas bien compris.... L'ARENH a été bien étudié pour empêcher qu'une concurrence puisse voir le jour en France contre le producteur national d'électricité ! L'ex plication du mécanisme Tient en une petite question : Pourquoi investir Et ...

le 14/03/2023 à 10:43
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@ c'est certainement son effet concret et vous avez raison qu'un prix de l'arehn si bas limite l'investissement et la concurrence. Mais EDF a tjrs demandé de relever le prix de l'arenh et donc je crois que le prix de l'arehn bas est plus une conséqu...

le 14/03/2023 à 15:45
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Les renouvelables ne sont "compatibles" avec un marché concurrentiel qu'à des conditions exorbitantes : la priorité de leur production sur les autres et surtout une production d'électricité toujours subventionnée, suivant divers mécanismes. Dans ces ...

à écrit le 14/03/2023 à 8:45
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Outre les 15% EnR déjà en ligne et les 40% à venir, il ne faut pas oublier que les parcs renouvelables de nos 3 principaux voisins vont être très sur-dimensionnés. Cela signifie que l'électricité en Europe coûtera entre 0 et 20 € MWh la moitié du tem...

le 14/03/2023 à 12:39
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tres bonne analyse. Rappelons que l argent est le moteur de la guerre. L argent viendra de l UE qui se paye une revolution verte. Le nucleaire est reconnu energie verte.La France et EDF sont avec des deficits colossaux. On utilisera l argent des autr...

le 14/03/2023 à 15:53
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Comme les mesures des productions réelle du parc installé montrent qu'en Europe 'il n'y a pratiquement pas de "foisonnement" entre ces énergies aléatoires, le prix de l'électricité sera très bas et même négatif vers midi en été et en période de forts...

à écrit le 14/03/2023 à 8:38
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N'étant pas abonné je ne puis lire complètement votre édito. Cependant quand on parle de revirement de certains pays de l'Europe de l'ouest comme vous le soulignez les pays bas la Belgique le Luxembourg l'Allemagne et la Suisse , je trouve que ces 3...

à écrit le 14/03/2023 à 8:31
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Commencer déjà par améliorer ceux qui sont en place et n'ayez pas l'intention de fournir toute l'Europe en électricité !

le 14/03/2023 à 19:03
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Pourquoi voulez-vous interdire l'exportation d'électricité ? Après tout avec leurs deux North Stream les Allemands avaient bien l'intention d'exporter du gaz russe vers l'Europe.

le 15/03/2023 à 9:17
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Les pays en voie de développement se contentent d'exporter matière première et source énergétique en délaissant aux autres la manière de l'exploiter !

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