Comment financer la construction des six nouveaux réacteurs nucléaires de 3ème génération (EPR) souhaités par le gouvernement, au moment-même où la dette d'EDF culmine à plus de 60 milliards d'euros et que l'exécutif entend équilibrer les finances publiques, le tout en passant sous les fourches caudines de Bruxelles, opposée à trop d'aides étatiques ? Pour résoudre cette équation épineuse, la Commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale a passé sur le gril le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, et son homologue à la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, ce mercredi soir.
Résultat : « Rien n'est arrêté » aujourd'hui, mais le « schéma de régulation et de financement devra être précisé d'ici à fin 2024, pour que l'entreprise [EDF, ndlr] puisse prendre formellement sa décision d'investissement », a précisé Bruno Le Maire face à des députés friands de réponses. Mobilisation du livret A, prêts à taux zéro, recours à la dette de l'Etat et à celle des acteurs privés, ou encore appel aux fonds propres d'EDF, malgré ses difficultés financières : « Nous n'excluons aucune option », a-t-il assuré.
Au global, il s'agit de trouver au moins 51,7 milliards d'euros d'ici à 2042, soit le montant nécessaire pour ériger 6 EPR hors coûts de financement, avec une première mise en service à l'horizon 2035, selon un rapport gouvernemental publié l'an dernier. Soit 43,1 milliards d'euros de coûts directs, et 8,6 milliards de provisions pour risques sur le démantèlement et la gestion des déchets.
L'option du livret A n'est pas écartée
« Nous devons regarder les avantages de chaque option », a ainsi précisé le ministre mercredi. Lequel n'a pas écarté le recours à l'épargne populaire, via le Livret A, dont 60% revient à la Caisse des Dépôts. De fait, l'institution financière publique est connue pour ses financements de long terme (de 30 à 80 ans), notamment dans le logement social et les infrastructures, comme les réseaux énergétiques. « Sur le Livret A, l'encours total est de 450 milliards d'euros, dont 160 utilisés pour logement social. Il reste de la marge de manœuvre ! L'avantage, c'est qu'il présente un taux stable, avec un capital garanti et un investissement de très long terme », a clarifié Bruno Le Maire. En effet, la Caisse des dépôts peut prêter de l'argent sur une très longue période à un taux bien plus faible que sur les marchés financiers.
Deuxième possibilité : les subventions étatiques. Leur atout : pas de rémunération du capital, et par là même pas de remboursement, ce qui en fait l'option « la moins chère », a souligné le ministre. Mais aussi « la plus coûteuse pour le contribuable », avec un impact « direct sur le déficit et la dette ». Or, il faut trouver une solution « acceptable » pour les citoyens français, qui soit par ailleurs conforme au régime européen sur les aides d'Etat, a-t-il averti.
De l'importance du coût du capital
Le tout, en intégrant donc un autre critère « essentiel » : le fameux « coût du capital ». Et pour cause, le prix final de l'électricité reste extrêmement sensible à ce paramètre, qui constitue la rémunération versée à ceux qui prêtent l'argent. Par exemple, avec un taux d'intérêt de 2%, le mégawattheure (MWh) sortirait à 40 euros. A 8%, le prix grimperait à plus de 90 euros le mégawattheure. A 11%, il dépasserait la barre des 120 euros le mégawattheure, précise EDF dans son dossier de maître d'ouvrage produit dans le cadre du débat public en cours sur la relance du nucléaire.
« Aujourd'hui, l'Etat emprunte à raison de 3% pour des emprunts à 10 ans. Plus vous prenez la décision d'investissement tôt, moins le coût du capital est élevé. [...] Mais si vous avez recours à de la dette privée, le taux de rémunération grimpe, de 5 à 7% par an. Enfin, si l'on s'appuie sur les fonds propres EDF, on parle de 7 à 10% par an ! », a expliqué Bruno Le Maire.
« Selon l'AMF [autorité des marchés financiers, ndlr], les coûts de financement peuvent représenter plus de 50% des coûts d'un projet ! », a complété Agnès Pannier-Runacher. « C'est pour ça que les Etats interviennent : il s'agit de diminuer [ces] coûts », afin de « trouver des acteurs privés » prêts à assumer la prise de risque, a-t-elle justifié.
Et de citer l'exemple de l'EPR britannique Hinkley Point C, financé intégralement par EDF et son co-actionnaire chinois, mais qui dispose d'un « prix de sécurité de vente » fixé à 120 euros le MWh, via un contrat pour différence signé avec les pouvoirs publics. Concrètement, au terme de ce contrat, l'électricité produite par la centrale sera vendue sur le marché de gros, et si le prix du marché est inférieur à 120 euros/MWh, l'Etat remboursera la différence à l'exploitant.
Enfin, pour diminuer ces coûts du capital et attirer les investisseurs, il faudrait « que les politiques publiques de l'UE prennent davantage en compte l'impact positif du nucléaire », n'a pas manqué de glisser Agnès Pannier-Runacher. Ce qui rejoint le fameux débat sur la taxonomie européenne, cette liste des activités « durables » établie par Bruxelles, dont l'atome civil fait finalement partie après des mois de lutte acharnée par l'Hexagone, mais sous des conditions très strictes.
Quid d'EDF ?
Une chose est sûre : « L'investissement dans le nouveau nucléaire ne pourra pas être porté par EDF seul », a clarifié Bruno Le Maire. Certes, le parc existant, avec ses 56 réacteurs, a été financé par l'entreprise grâce à l'emprunt, à l'époque où sa santé financière s'avérait « très bonne » et qu'elle bénéficiait d'une « protection de l'Etat via son statut d'EPIC [établissement public de caractère industriel et commercial, ndlr] ». Mais en quarante ans, la situation a bien changé, et l'énergéticien essuie désormais une dette colossale, avec une note de crédit dégradée par agences de notation. Par ailleurs, EDF n'évolue plus dans un cadre monopolistique, lequel lui a permis, jusqu'en 2007, de fixer un niveau de prix de vente de l'électricité lui garantissant de couvrir ses coûts.
Il n'empêche, l'entreprise, dont l'Etat a récemment acquis 100% des parts, devra être mise à contribution, a affirmé Bruno Le Maire. « Est-ce que nous attendons d'EDF qu'elle ait les résultats financiers les meilleurs possibles, avec des niveaux de rentabilité les plus élevés possibles, ou que ce soit une grande entreprise de service public qui garantisse la compétitivité économique de l'industrie française et l'accès de tous les Français à l'énergie décarbonée la plus accessible possible ? Pour moi, la meilleure option, c'est la deuxième », a-t-il clarifié.
Un débat qui renvoie à la question des prix du MWh qui sera issu des fameux EPR, que l'exécutif espère le plus bas possible. Sans surprise, le sujet a d'ailleurs fait naître des tensions entre la direction d'EDF et le gouvernement. « EDF n'est pas nationalisé, il a un actionnaire à 100% ! », a ainsi lancé le PDG du groupe, Luc Rémont, en ouverture du colloque de l'Union française de l'électricité (UFE) le 8 juin dernier. Signe que ces questions restent aujourd'hui irrésolues, malgré l'ampleur des enjeux.
Hier, les deux ministres ont relativisé l'investissement nécessaire pour construire les 6 premiers EPR, malgré une estimation impressionnante de plus de 50 milliards d'euros. « Ce montant s'étalera sur un quart de siècle, à hauteur de 2,5 milliards d'euros par an dans les prochaines années. C'est une somme à la hauteur des capacités nationales ! », a assuré Bruno Le Maire. Et d'assumer la comparaison avec l'enveloppe engagée pour financer les énergies renouvelables sur fonds privées : « De 2011 à 2019, 76 milliards d'euros ont été engagés [...] et 100 milliards sont attendus sur des fonds de distribution entre 2024 et 2040 », a-t-il souligné. D'autant qu' « 1 gigawatt de nucléaire, ça vaut 8 gigawatts de solaire en termes d'intensité de production », a affirmé Agnès Pannier-Runacher. Par ailleurs, un investissement de « 100 milliards d'euros est également attendu sur le parc existant financé par EDF », via le fameux programme du Grand Carénage qui vise à renforcer les centrales pour allonger la durée d'exploitation possible, a-t-il rappelé. « En montant annuel, [les 51,7 milliards d'euros nécessaires pour les 6 EPR], c'est moins que les investissements dans le parc nucléaire existant, moins que ceux dans les réseaux, moins que l'investissement public et privé dans les énergies renouvelables », et le tout « pour 60 ans d'exploitation », a abondé Agnès Pannier-Runacher, assaillie de questions l'EPR de Flamanville toujours en chantier, et dont le budget a bondi de 3,4 milliards d'euros à plus de 12 milliards. Une manière d'assurer que « quelque soit la nature de l'énergie produite, à chaque fois, l'unité de compte est de dizaine de milliards d'euros », alors que certains députés opposés à l'atome n'ont pas manqué de souligner le « pognon de dingue » à engager pour lancer la construction de nouveaux réacteurs.Une facture « à la hauteur des capacités nationales », relativisent les deux ministres
Sujets les + commentés