Vague de froid : pas de blackout cette fois-ci, mais quid des prochaines années ?

Par Dominique Pialot  |   |  933  mots
Le réseau électrique devrait passer l'hiver 2018 sans encombre.
En dépit de températures polaires, il ne devrait pas y avoir de coupure due à un déséquilibre entre la production et la consommation d’électricité de ces prochains jours. Mais avec une disponibilité du parc nucléaire aléatoire et certainement plus faible à partir de l’an prochain, qu’en sera-t-il du passage de l’hiver dans les prochaines années ?

Malgré des températures de -9°C à -10°C en dessous des normales de saison ces trois prochains jours, le gestionnaire de réseau RTE  s'est montré rassurant : pas de risque de coupure électrique pour surmonter la vague de froid. Certes, le pic de consommation s'élèvera à 93.000 mégawatts (MW) mardi à 19h et 94.000 MW mercredi matin, alors que la production s'établit à quelque 90.000 MW. Mais les capacités d'interconnexion de 9.000 MW avec les pays voisins, associées aux 2.000 MW d'effacement électrique - des industriels acceptant de décaler ou stopper leur production et donc leur consommation -, seront suffisantes pour surmonter ce déficit. Il ne sera même pas nécessaire de mobiliser les quelque 2.000 MW « interruptibles » de 22 sites électro-intensifs capables de couper leur alimentation en moins de 5 secondes, ni de recourir à une baisse de tension sur le réseau, qui permet de réduire la consommation de 5%.

Consommation modérée et bonne disponibilité du parc nucléaire

Si la situation est moins tendue que certaines années précédentes, notamment l'hiver 2012, c'est que la consommation n'est pas si élevée. Elle avait dépassé 102 GW en février 2012 et 94 GW en janvier 2017. Cela serait en partie dû, observe Nicolas Goldberg, du cabinet Colombus Consulting, à une baisse tendancielle, qui se retrouve d'ailleurs dans tous les scénarios élaborés par RTE.

Par ailleurs, la production est également plus abondante, essentiellement grâce à une meilleure disponibilité du parc nucléaire. EDF indique avoir "décidé de reporter les opérations de maintenance programmée et de rechargement du combustible de deux unités de production" nucléaire en prévision du froid, et seule une dizaine de réacteurs sont actuellement à l'arrêt, contre les deux-tiers du parc en novembre dernier, par exemple.

La contribution des énergies renouvelables, notamment l'éolien, est également exceptionnellement élevée en situation anticyclonique, puisqu'on relève une production de près 9.000 MW en milieu de journée et de 6.000 MW en début de soirée, c'est-à-dire lors de la fameuse pointe de 19h. Celle-ci est une spécificité française, liée à la forte proportion de chauffage électrique, qui rend le pays particulièrement thermosensible : une baisse de la température de 1°C entraîne une hausse de la consommation électrique de 2.400 MW.

Moindre disponibilité du parc nucléaire dans les prochaines années

C'est pourquoi la crainte d'un éventuel blackout se pose chaque année au creux de l'hiver. Et rien ne dit que l'exemple de cette année laisse présager de  situations aussi rassurantes à l'avenir.

En effet, la disponibilité du parc nucléaire est difficilement prévisible. Et RTE lui-même a souligné dans ses scénarios présentés en novembre dernier qu'il était aujourd'hui impossible de prévoir avec certitude si les visites décennales des centrales ayant atteint les 40 ans, qui vont se multiplier à compter de 2019, dureraient plutôt six mois ou douze. Dans cette dernière hypothèse, elles interviendraient en période hivernale, aggravant le risque d'une baisse de production.

Sur quelles pistes miser pour éviter le blackout dans les prochaines années ? « D'ici à 2020, nous aurons une augmentation des puissances interconnectées avec l'Italie et l'Angleterre, pour un total d'environ 1.000 MW » rappelle Nicolas Goldberg. Certes, les importations des pays voisins risquent de devenir d'autant plus incertaines que certains pays traditionnellement exportateurs d'électricité - très carbonée puisque produite à partir de charbon, voire de lignite -, tels que l'Allemagne, disent craindre pour leur propre équilibre électrique d'ici quelques années. « Mais les pointes allemande et française ne correspondent pas », souligne Nicolas Goldberg. En Allemagne, c'est plutôt en milieu de journée que le pic de consommation est atteint.

Efficacité énergétique, biogaz et éolien offshore

Le consultant préconise surtout une accélération des efforts d'efficacité énergétique, notamment dans le bâtiment. « On anticipe que l'électricité continuera de représenter la majorité des moyens de chauffage, observe-t-il, mais elle sera de plus en plus efficace, par exemple grâce à des pompes à chaleur. » Des efforts ont été entrepris depuis 2012, mais le rythme demeure insuffisant.

D'importantes marges de progrès quant à la flexibilité du réseau sont également à trouver dans l'organisation du mix électrique. L'utilisation des batteries de véhicules électriques est d'ailleurs l'un des leviers évoqués par RTE dans son scénario Ampère, qui n'a de sens qu'à partir d'un volume de véhicules en circulation de plusieurs millions, et dont l'équation économique demande à être détaillée.

Pour Nicolas Goldberg, le biogaz, qui présente en France un potentiel de développement important, mais n'en est encore qu'à ses balbutiements, pourra également jouer un rôle dans l'équilibre du réseau. À condition d'opérer une bascule partielle, il deviendra intéressant de se chauffer au gaz, y compris sur un plan environnemental. Et le biogaz pourra également être utilisé pour la mobilité ainsi que pour la production d'électricité.

Autre piste prometteuse : l'éolien offshore. Avec des facteurs de charge et une prévisibilité nettement supérieurs à ceux du solaire ou de l'éolien terrestre, cette énergie pourrait jouer un rôle significatif dans le passage des pointes de consommation. À condition que le retard français finisse par être rattrapé, et que l'on puisse enfin capitaliser sur des coûts d'entrée consentis lors de l'attribution des premiers parcs il y a six ans, qui semblent aujourd'hui démesurés au regard des coûts nettement inférieurs affichés par les projets ayant remporté de récents appels d'offres en Mer du Nord.