Perturbateurs endocriniens : pourquoi Delphine Batho et Isabelle Autissier (WWF) en ont plein la tête

Par Giulietta Gamberini  |   |  854  mots
La date de la publication de l'enquête par l'ONG n'est pas due au hasard. Le 28 février, le Comité permanent de l'Union européenne sur les plantes, les animaux et l'alimentation (Standing Committee on Plants, Animals, Food and Feed, SCOPAFF) doit en effet se pencher sur une proposition de la Commission européenne sur les critères définissant les perturbateurs endocriniens.
Une enquête de l'ONG Générations futures vient de révéler la présence de quatre familles de perturbateurs dans les cheveux de neuf personnalités écologistes. La preuve selon l'association que la Commission européenne doit adopter une approche davantage protectrice.

Faire attention à son style de vie ne garantit pas d'éviter les effets néfastes des perturbateurs endocriniens : c'est l'enseignement principal d'une enquête publiée jeudi 23 février par l'ONG Générations futures. La présence de ces substances a en effet été détectée, en quantités parfois significatives, dans les cheveux de neuf personnalités qui, en raison de leur engagement écologique, auraient pu se croire à l'abri : Yann Arthus-Bertrand, Isabelle Autissier, Delphine Batho, José Bové, Nicolas Hulot, Yannick Jadot et Marie-Monique Robin. Elles ont toutes trouvé dans leur corps chacune des quatre familles des 200 produits analysés : 150 pesticides, utilisés en agriculture et dans la maison; 3 bisphénols, entrant dans la composition du plastique dure ; 13 phtalates, composants des plastiques souples ; et 32 congénères de PCBs, utilisés jusqu'en 1987 dans les transformateurs électriques.

La marque des parcours de vie

Malgré les longs mois passés chaque année en haute mer, Isabelle Autissier, navigatrice et présidente du WWF-France, est la personne la plus contaminée de la liste, en nombre comme en quantités de perturbateurs. Pourtant, tout au long de l'année, "je mange bio, je fais mon ménage au vinaigre et je prête attention aux cosmétiques que j'utilise", a-t-elle témoigné lors de conférence de presse de présentation de l'étude. Seule explication, à ses yeux, l'ensemble de son parcours de vie : "Pendant 15 ans, j'ai traîné dans des chantiers de construction de bateaux et manipulé des solvants ou autres produits dangereux", se remémore-t-elle.

Des molécules interdites depuis des décennies, comme le DDT, ont en effet aussi été décelées dans l'organisme des personnalités examinées. "Les cheveux permettent de détecter ce qui a transité dans le sang pendant les derniers mois. Mais le sang contient deux types de polluants : ceux auxquels on a été exposés dernièrement et ceux qui, fixés dans le corps, y sont toujours relâchés", explique François Veillerette, président de Générations futures. Avec un effet paradoxal sur l'environnement, où ces substances continuent donc doucement de filtrer. Alors que les sources de perturbateurs ou soupçonnés tels toujours autorisés sont de toutes sortes: au-delà des produits phytosanitaires, les insecticides et les peintures domestiques, mais aussi la literie et les meubles, les poissons gras etc. sont concernés.

De petites quantités tout aussi dangereuses

A l'autre bout du "classement" Delphine Batho, députée et ex-ministre de l'Ecologie, apparaît comme la personne la moins touchée par les perturbateurs. Sans que pourtant cela la rassure :

"En la matière, il ne faut pas négliger l'"effet faible dose", observe-t-elle: "Leur impact, notamment sur les femmes enceintes et les enfants, n'est pas du tout proportionnel à leur quantité, qui même si minime peut être préjudiciable."

François Veillerette met également l'accent sur l'"effet cocktail" entre les nombreux perturbateurs endocriniens détectés (de 36 à 68 par personne), "dangereux notamment en début de grossesse puisque c'est justement le système hormonal qui guide le développement du fœtus". Pourtant, le nombre de substances testées a dû être limité en raison des coûts, ajoute Générations futures.

L'importance des négociations de Bruxelles

La date de la publication de l'enquête par l'ONG n'est pas le fruit du hasard. Le 28 février, le Comité permanent de l'Union européenne sur les plantes, les animaux et l'alimentation (Standing Committee on Plants, Animals, Food and Feed, SCOPAFF) doit en effet se pencher sur une proposition de la Commission européenne sur les critères définissant les perturbateurs endocriniens : un dossier qui traîne depuis l'adoption du règlement n° 528/2012 concernant la mise à disposition sur le marché et l'utilisation des produits biocides, qui prévoyait entre autre que les produits biocides "ayant des propriétés perturbant le système endocrinien pouvant être néfastes pour l'homme" ne pouvaient pas être approuvés. Sa spécification avait été confiée à la Commission européenne. Or, selon l'ONG, l'approche finalement proposée n'est pas suffisamment protectrice, notamment en raison du "niveau de preuve extraordinairement élevé" qu'elle exige.

Si la France, le Danemark et la Suède sont prêts à voter contre, l'Angleterre et l'Allemagne se montrent plus réticents, à cause du poids de leur industrie chimique. D'autres pays peinent à prendre une position en raison d'un tiraillement interne entre ministères, explique Générations futures. Pourtant, l'adoption d'une ligne claire et ferme au niveau européen serait le seul moyen d'éviter des contentieux en matière de distorsion de la concurrence, souligne l'association.

"Si nécessaire, il ne faut toutefois pas craindre d'avancer par groupes de pays ou unilatéralement", estime Delphine Batho, pour qui "celle des perturbateurs est désormais une urgence sur laquelle nous voudrions entendre le ministère de la Santé". L'ancienne ministre demande notamment "une grande campagne de santé publique et d'information des consommateurs comme il en existe à propos de l'alcool et du tabac". "La démocratie doit être plus forte que les lobbies de l'agrochimie", insiste-t-elle.