Les cadres, prolétaires 2.0  ?

Par Audrey Fisne  |   |  616  mots
« Les prolétaires de l'ère industrielle n'avaient que leurs bras pour survivre, les diplômés de l'enseignement supérieur n'ont que leur cerveau. (...) Ce malaise des diplômés du supérieur porte un nom : le déclassement social », explique Jean-Laurent Cassely.
[ DOSSIER 4/4 ] La pyramide sociale des professions est-elle en train de s’inverser ? En transgressant les habituels parcours, les diplômés du supérieur offriraient une revalorisation de certaines professions. En parallèle, les fonctions quittées (support, open space, télémarketing etc.) seraient victimes d’une image dégradée.

En fuyant un open space pour créer sa startup, se lancer dans un commerce de proximité ou encore proposer ses services d'aide à la personne, les anciens cadres reconvertis quittent tout un univers pour en rejoindre un autre. Souvent surdiplômés pour leurs nouvelles missions, ils ne se contenteraient pas tout bonnement de les mener ; ils les font monter en gamme.

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Dans son ouvrage, Jean-Laurent Cassely fait l'hypothèse suivante :

« Et si, en changeant de métier, de cadre de travail et d'aspirations, ce groupe était, au contraire, en train de reclasser, voire de surclasser, des secteurs dévalorisés ? »

Le bagage acquis lors de précédentes expériences est sans nul doute utilisé. Philippe Caumont, ingénieur, ancien commercial, est aujourd'hui à la tête d'une startup qui met en lien les agriculteurs et les consommateurs, en témoigne : « L'expérience passée est primordiale, elle m'a appris énormément de choses, et si, aujourd'hui, mon quotidien est différent, il y a toujours des facettes que je retrouve : le pilotage d'activité, l'animation d'équipe, le travail sur Excel... » Ce qu'explique Jean-Laurent Cassely, dans son ouvrage :

 « C'est justement en transposant les expertises et les manières de penser propres à cet environnement qu'ils fuient, qu'ils créent de la valeur et de la différenciation lorsqu'ils prennent en main leurs nouveaux métiers. Qu'ils enfilent leur tablier ou se mettent derrière les fourneaux, la capacité de recul critique, de conceptualisation et de réflexion stratégique qui distingue les manipulateurs d'abstractions ne les quitte jamais tout à fait. »

Ces reconvertis particuliers, avec une expérience et un recul, proposent, de fait, une offre premium de leurs produits ou de leurs services.

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Le déclassement social des diplômés du supérieur

Parallèlement, avec cette revalorisation des fonctions considérées par l'opinion publique comme plus « populaires », les métiers ayant tendance à être associés à la catégorie socio-professionnelle CSP+ connaissent, eux, une chute de popularité. « Nous avons connu une période où, les métiers manuels étaient dévalorisés. Les gens s'orientaient vers des études supérieures sans pour autant comprendre le sens de leur choix », commente Paul Candiard, ex-chargé de communication devenu facteur. « Mais il faut se souvenir que ce n'est pas parce que l'on peut, que l'on doit. »

Dans son ouvrage, Jean-Laurent Cassely pousse la réflexion plus loin encore :

« En parallèle de la dégradation des tâches, le statut social, sur lequel une formation d'élite est censée déboucher, a eu tendance à perdre progressivement de son aura. » Et d'ajouter : « Les prolétaires de l'ère industrielle n'avaient que leurs bras pour survivre, les diplômés de l'enseignement supérieur n'ont que leur cerveau. (...) Ce malaise des diplômés du supérieur porte un nom : le déclassement social. »

Le sociologue Rémy Oudghiri confirme l'augmentation du sentiment de ce déclassement social ces dernières années en France. « Cette peur touche l'ensemble des milieux sociaux. Les plus jeunes sont plus pragmatiques : ils ont intégré l'idée que la carrière au sens traditionnel n'existe plus. (...) La révolte des premiers de la classe est favorisée par cette idée que, de toute façon, il n'y a plus rien à attendre d'une vie dictée par la carrière : rien n'est jamais sûr. Donc, pourquoi ne pas tenter autre chose. » C'est dit.

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