Restauration : le nouveau label, "fait maison" ou "fake maison" ?

Par Giulietta Gamberini  |   |  951  mots
Choisi car quiconque peut facilement le reproduire à la main, le nouveau logo représente une casserole au couvercle en toit de maison. (DR)
Les restaurateurs doivent désormais afficher sur leur carte un nouveau petit logo à côté des "plats cuisinés entièrement sur place à partir de produits bruts ou de produits traditionnels de cuisine". Mais la définition de ces derniers fait déjà débat.

L'objectif est louable : permettre aux clients de distinguer les plats industriels de ceux préparés sur place et valoriser ainsi ces derniers. Publié dimanche au Journal Officiel, un décret "relatif à la mention 'fait maison'" instaure dès mardi l'obligation, pour les restaurateurs et les établissements de vente à emporter concernés, d'afficher sur leurs cartes un nouveau petit logo noir et blanc, représentant une casserole au couvercle en toit de maison.

Choisi car quiconque peut facilement le reproduire à la main, il devra accompagner (selon les termes de la notice d'introduction du décret) les "plats cuisinés entièrement sur place à partir de produits bruts ou de produits traditionnels de cuisine". Seuls les traiteurs (pour réception ou sur les marchés) pourront avoir préparé le plat dans un lieu différent de celui de vente.

135.000 restaurants et traiteurs concernés

À la différence du label "Maître restaurateur" né en 2008, qui se réfère à la carte dans son ensemble et concerne 2.622 établissements, la nouvelle appellation ne pourra accompagner que certaines recettes, répondant à des critères fixés. Elle est ainsi susceptible de s'appliquer à 135.000 restaurants, traiteurs et enseignes de restauration rapide de l'Hexagone qui cuisinent au moins un plat dans leurs locaux. Logiquement, les maîtres restaurateurs pourront s'en servir "de plein droit", précise le décret.

Mettant l'accent sur "l'attractivité de notre gastronomie", la secrétaire d'État chargée de la Consommation, Carole Delga, se réjouit que la nouvelle mention, "facile à comprendre, concerne tous les restaurants, de la petite table familiale de quartier, du bistrot jusqu'au très grand restaurant"

Texte équilibré ou semant le doute?

Toutefois cette initiative, qui serait selon le gouvernement la première de ce type en Europe, ne satisfait pas tous les palais. Si le Groupement national des indépendants (GNI), qui représente 26.000 établissements, estime selon Le Parisien que le décret vise "un juste équilibre entre la valorisation de nos métiers et le désir de transparence des clients", l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (Umih), citée par le même journal, s'inquiète de la confusion que le nouveau logo peut semer :

"Le travail du professionnel ne va pas être reconnu. Une salade de tomates arrivées en tranches sous vide sera du fait-maison."

Dans les colonnes du site d'information en ligne Rue89, le restaurateur Xavier Denamur va jusqu'à appeler ses collègues à "dire non à ce fake maison".

Le surgelé et conditionné sous vide considéré comme "brut"

À l'origine de la polémique, les conditions mêmes d'utilisation du label fixées par le décret. Car si le produit brut à l'origine de l'aliment "est un produit alimentaire n'ayant subi aucune modification importante, y compris par chauffage, marinage, assemblage ou une combinaison de ces procédés", il apparaît dans le décret que :

"Peuvent entrer dans la composition d'un plat 'fait maison' les produits qui ont été réceptionnés par le professionnel :

  • épluchés, à l'exception des pommes de terre, pelés, tranchés, coupés, découpés, hachés, nettoyés, désossés, dépouillés, décortiqués, taillés, moulus ou broyés ;
  • fumés, salés ;
  • réfrigérés, congelés, surgelés, conditionnés sous vide."

En résumé, un poulet désossé surgelé assorti de légumes conditionnés sous vide (à l'exception des pommes de terre, permettant ainsi d'exclure certains fast-foods), pourvu qu'il soit cuit sur place, pourra bel et bien être considéré comme un plat "fait maison".

La pâte feuilletée industrielle consentie, celle brisée interdite

Par ailleurs d'autres produits, à l'évidence non bruts, viennent s'ajouter à la liste de ceux pouvant composer un plat valorisé par le label. Parmi ceux-ci figurent non seulement la grande partie des charcuteries, les fromages, le pain et les pâtes... ce qui peut correspondre à une certaine logique domestique. Plus surprenant, sont aussi cités la choucroute crue, la pâte feuilleté crue ainsi que, "sous réserve d'en informer par écrit le consommateur, les fonds blancs, bruns et fumets".

Ainsi, une tarte aux pommes composée de pâte feuilletée industrielle et de pommes découpées conditionnées sous vide pourra être vendue comme "maison". A contrario, la même tarte préparée avec des pommes fraîches coupées à la main et avec une pâte également industrielle mais brisée ne pourra pas être assortie du même logo.

"Fait maison"... par quelqu'un d'autre

Le décrét précise par ailleurs que même un plat non composé de l'un des produits susmentionnés "peut être présenté comme 'fait maison' dès lors que la marque du produit ou le nom du professionnel qui l'a fabriqué est expressément indiqué".

Une disposition qui, certes, peut avoir le mérite de permettre enfin aux consommateurs de découvrir les noms et le nombre des sous-traitants auxquels fait recours le restaurateur... mais qui vide aussi de leur contenu toutes les dispositions précédentes.

Jusqu'à la fin de l'année pour se conformer

Soit. Quoi que l'on puisse penser de sa cohérence et de son utilité, les professionnels ont jusqu'au 1er janvier 2015 pour se mettre en conformité avec le texte. D'ici là, ils pourront éventuellement consulter, pour y voir plus clair, le guide d'utilisation confectionné pour eux par le gouvernement.

Ensuite, l'utilisation de la mention "fait maison" sera surveillée a posteriori par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), dans le cadre de ses déjà lourdes missions habituelles de contrôle des établissements.