De Paris à San Francisco, les sacs plastiques perdront-ils leur droit de cité ?

Par Marina Torre  |   |  1054  mots
Selon les chiffres de l'Agence de la protection de l'environnement des États-Unis, citée par le Sénat français, entre 500 et 1 000 milliards de sacs seraient utilisés chaque année dans le monde.
L’exécutif parisien espère faire interdire les sacs en plastique à usage unique, prenant ainsi les devants sur un nouveau projet de législation national. Au même moment, de l’autre côté de l’Atlantique, le gouverneur de Californie compte étendre une interdiction déjà pratiquée à San Francisco depuis sept ans.

La France, Paris en tête, adoptera-t-elle la mode des "brown bags" américains ? L'interdiction des sacs plastiques fabriqués à partir du pétrole pour cause de désastre environnemental, un "serpent de mer" qui resurgit dans l'actualité à la faveur de projets de lois et de règlementations. Partout, le but est le même: lutter contre la pollution générée par les déchets plastiques, lesquels se retrouvent dans les océans, provoquant par agglomération la constitution de "continents plastiques" ; en outre, les microparticules issues de leur désagrégation auraient des effets néfastes sur la santé. Dernière en date à prévoir un tel bannissement, la Mairie de Paris.

Anne Hidalgo a annoncé le 30 septembre son intention de faire voter une telle interdiction, qui concernerait non seulement les sacs dits "de caisse" mais également ceux distribués pour les fruits et légumes. Avant une interdiction formelle, la première étape consistera à faire figurer cette interdiction dans le cahier des charges de l'appel d'offres pour le renouvellement de la délégation de service public des marchés parisiens, qui arrive à terme à la fin de l'année.

Paris se veut "vertueuse" avant la conférence sur le Climat

L'enjeu d'une telle accélération dans la capitale ? Paris, qui doit "accueillir en 2015 la conférence sur le Climat" tient à s'engager "en amont pour lancer cette dynamique vertueuse", vante une porte-parole de la Mairie.

Si le conseil municipal, après "concertation avec les commerçants", validait une extension de cette interdiction, Paris prendrait ainsi de l'avance sur le programme prévu à l'échelle nationale, Ségolène Royal, ministre de l'Environnement, ayant fait introduire au mois de juin un amendement à la loi sur la biodiversité prévoyant une mesure similaire applicable en 2016. La loi sur la transition énergétique actuellement débattue au Palais Bourbon prévoit, elle aussi, une interdiction de ce type (article 19.bis).  Ici encore, il s'agit de faire du zèle puisque cela traduit une directive européenne qui prévoit de diviser par deux la consommation de sacs plastiques à usage unique d'ici à 2017.

A San Francisco, la question, c'est le prix

La Ville Lumière serait peut-être pionnière parmi les agglomérations françaises, mais pas dans le monde. San Francisco, régulièrement citée comme une métropole avant-gardiste en matière d'environnement, a imposé une première interdiction dès 2007, visant dans un premier temps les grandes chaînes de supermarchés et de pharmacie, qui sont également des supérettes outre-Atlantique. En 2012, le conseil municipal a étendu cette interdiction à tous les autres distributeurs. Ces derniers sont contraints de proposer des sacs réutilisables et/ou compostables vendus 1 "dime" (10 cents, soit environ 8 centimes d'euro).

Bien sûr, cette interdiction ne s'est pas faite sans heurts. Un lobby pro-plastique, Save the Plastic Bag, a par exemple lancé une action en justice fin 2013, qui a depuis échoué. Les défenseurs du plastique arguent que ce dernier serait en réalité moins nocif pour l'environnement que les sacs en papier ou les sacs compostables, si l'on considère leur impact carbone. En outre, le prix de 10 centimes de dollar pièce ne serait pas suffisamment dissuasif. Justement, l'objectif d'augmenter le tarif pour qu'il atteigne un "quarter" (25 centimes de dollar) est bien visé depuis 2011 par l'agglomération californienne ainsi que par d'autres villes de l'Etat comme San José, mais elle n'est toujours pas appliquée.

Il n'en reste pas moins que San Francisco a montré le chemin. Non seulement une centaines d'autres villes ont suivi mais, désormais, c'est toute la Californie qui s'y est mise. Le jour où Anne Hidalgo annonçait son projet, le gouverneur démocrate de l'Etat le plus peuplé du pays, Jerry Brown, signait l'extension de cette interdiction à l'ensemble de l'Etat.

 Liste des villes ayant mis en place des limitations de l'utilisation des sacs plastiques autour de la Baie de San Francisco (source: https://www.savesfbay.org/banmap)

La réplique des lobbies

Si l'association des distributeurs californiens, une institution plus que centenaire qui regroupe 6.000 points de ventes, la soutient -le distributeur Target (mais pas Wal-Mart) ayant même apposé sa signature à une pétition en sa faveur-, des lobbies s'y sont opposés. A commencer par celui de l'industrie du plastique qui met en avant le risque pour les emplois. L'American Progressive Bag Alliance a, quant à elle, obtenu suffisamment de soutiens pour que la question soit soumise à un référendum. Or celui-ci sera organisé à l'occasion de l'élection présidentielle de novembre 2016.

En attendant de vérifier si l'Etat se montre moins frileux que certaines de ses collectivités, l'exemple de San Francisco fait tâche d'huile hors des frontières de l'Amérique. Le cas du "Paris de l'Ouest" aurait ainsi compté parmi les "études comparatives menées" par l'exécutif parisien pour son projet, indique-t-on à la Mairie de Paris.

Ailleurs, toujours au niveau local, une généralisation de l'interdiction est déjà effective en Corse. Par ailleurs, de façon indépendante, des distributeurs s'y mettent qui communiquent ainsi sur leur action environnementale, sans que les effets réels soient quantifiés de façon globale et indépendante. Ainsi, E.Leclerc annonce-t-il que, depuis les mesures prises en 1996, la distribution de sacs plastiques a été divisée par 20. En outre, une étude régulièrement citée a été menée par le cabinet PwC en 2003 (et actualisée en 2005)... à la demande de Carrefour. Surtout, avec l'explosion des systèmes de drives en France, les sacs plastiques supprimés en bout des caisses ou bien devenus payant resurgissent dans les coffres des voitures. Et les projets pour les réduire restent rares. Monoprix par exemple réplique que "les sacs dédiés sont désormais fabriqués en plastique recyclé" et que "le client a la possibilité de les remettre au livreur lors d'une prochaine livraison". Encore faut-il qu'il n'oublie pas de le faire.

"Des tentatives de législations, il y en a eu beaucoup. Aucune n'a aboutit", rappelle enfin Catherine Larinier, membre de l'Agence régionale de l'environnement de Haute-Normandie qui suit le dossier depuis plusieurs années. Par exemple, ce projet de loi, qui visait une interdiction des sacs non biodégradables au 1er janvier 2010, et qui a été abandonné.