Consommer, c'est plus cher au rayon "femmes" ?

Par Marina Torre  |   |  852  mots
Le collectif Georgette Sand a examiné la différence de prix pratiqué sur des produits de même catégorie entre des rayons hommes et femmes dans des magasins (Monoprix notamment) franciliens.
Une pétition dénonce en France des différences de prix entre des produits conçus pour être destinés aux femmes et ceux, de même catégorie, destinés aux hommes, ou neutres. Une idée importée d'outre-Atlantique où des études ont montré l'existence d'un écart fondé sur le genre.

Les prix ont un genre. Du moins, c'est ce qu'affirme le collectif Georgette Sand, réseau féministe qui s'est donné pour mission d'importer en France une idée ayant émergé dans les pays anglo-saxons et résumée sous le vocable "woman tax". Une prime dont la moitié des consommateurs s'acquitterait au seul prétexte qu'il s'agit... de femmes.

En clair, le marketing "genré" aboutirait à une discrimination qui se répercute dans les prix. Dans leur pétition sur le site change.org lancée fin octobre, les membres du collectif français s'offusquent par exemple:

Les femmes payent 1€80 pour 5 rasoirs jetables Monoprix. Les hommes, eux, payeront 1€72 pour 10 rasoirs Monoprix avec les mêmes caractéristiques. Quand les femmes payent 2€87 pour 200 ml de gel de rasage, les hommes ne déboursent que 2€39.

Ce 31 octobre en fin d'après-midi, 18.303 personnes ont signé cette lettre.

La loi du marché?

Bien sûr, l'enseigne se défend de pratiquer tout discrimination. Seule la segmentation du marché justifierait d'éventuels écarts. Ainsi, dans une longue réponse publiée sur le site, elle affirme, entre autres, que le différentiel de prix s'explique par une demande plus élevée pour les rasoirs plutôt destinés aux hommes. Des économies d'échelle permettant d'en réduire le prix. Tandis que les rasoirs de sa marque distributeur présents dans les rayons "femmes", tout de rose empaquetés, et dotés d'une bande lubrifiante "enrichie en vitamine E et extrait d'aloe vera", se vendraient un peu moins.

En outre, "il existe, à l'inverse, des produits moins chers dans les rayons femmes", réplique un porte-parole de Monoprix, interrogé par La Tribune. Ce dernier ajoute que "les rayons sont souvent à quelques mètres l'un de l'autre, parfois moins, la comparaison entre les prix n'est pas difficile à faire". Encore faut-il y penser...

5,5 euros de plus pour un sac à dos "femme" (violet)

D'autres produits et d'autres marques concernés par ce constat et glanés ça et là, sont répertoriés sur une page Tumblr. Par exemple, ce sac à dos de randonnée 30L chez Nature et Découvertes coûte 69,95 euros en version violette avec mention "ultra-léger femme", alors que le même en noir et ne comportant pas la mention "femme" coûte 65 euros.

Sur le site de vente en ligne, les caractéristiques de ce sac n'ont pas été mentionnées, un "oubli de notre part" regrette Sébastien Tournier, chef de produit qui s'est chargé du développement de ce sac à dos. Vérification faite en magasin il se trouve en effet que la version "femme" comporte une sangle pectorale réglable censée éviter de compresser la poitrine, des fermetures et des poches différentes. Le but, selon le chef de produit: "s'adapter à la morphologie des femmes". Tissus et façon qui font grimper le prix d'achat "de 20%" tandis que le prix final, lui "n'augmente que de 7 à 10%", affirme-t-il. "C'était une demande de nos clientes, d'avoir un produit adapté et comportant plus de poches pour mettre de l'argent, des clés, du maquillage", se défend-il. "Oui, je l'appelle 'femme', c'est peut-être maladroit" et "oui, il y a une segmentation mais c'est la résultante d'une demande", argue-t-il encore avant de rappeler que "80% des clients de Nature et découvertes sont des femmes". *

Bientôt une enquête en France?

Outre-Atlantique, ces différences ont été étudiées de près. En 2012, par exemple le groupe de réflexion  Institute for Women's Policy Research, pointait une discrimination de genre pour des contrats d'assurance-santé, les femmes étant peut-être moins sujettes aux accidents que les hommes, mais plus concernées par des actes médicaux aux tarifs élevés. Plus récemment, une enquête de l'université de Toronto s'est penchée sur les achats de voitures neuves. Lors des négociations, les femmes, étant relativement moins bien informées que les hommes, du moins les vendeurs le supposent-ils, ces derniers n'hésitent pas à proposer des prix plus élevés - qu'une grande partie des femmes acceptent. Toutefois, il semble que la situation évolue: s'il existe toujours un écart au désavantage des femmes, il s'amenuise chez les plus jeunes.

Faute d'étude indépendante et approfondie, "il nous est difficile d'affirmer" que consommer est plus cher pour les femmes, précise une porte-parole de Georgette Sand à La Tribune. "Cela dit, dans la beauté par exemple, la pression sociale étant plus forte pour qu'elles prennent soin d'elles, elles acceptent des prix plus élevés et dépensent plus", poursuit-elle.

Elle reconnaît: "Notre objectif était de sensibiliser sur les différences qui peuvent exister." C'est apparemment chose faite auprès de la secrétaire d'Etat chargée du Droit des femmes, Pascale Boistard, qui a reçu des membres de Georgette Sand le 21 octobre, et promis de combler ces écarts. Dans une interview au site Les Nouvelles News, elle a ainsi indiqué qu'elle comptait commander une évaluation. Histoire de savoir, si, vraiment, pour un produit quasi identique, les femmes paient plus que les hommes.

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(Article créé le 01/11/2014 09:04, *paragraphe ajouté le 3/11/2014