Alibaba prend ses marques (européennes) en France

Par Marina Torre  |   |  828  mots
Par l'intermédiaire d'Ubifrance, des marques françaises ont annoncé en juin qu'elles comptaient vendre des produits sur Tmall. Le 24 février, l'entreprise française Neteven compte officisaliser son partenariat avec le groupe chinois.
Le géant chinois du e-commerce a choisi une entreprise française en guise d’entremetteuse pour courtiser les marques européennes. Son rival Jingdong Mall a lui aussi lancé un programme spécial pour s’adresser aux marques françaises. Pour tous un même défi : faire oublier les scandales de contrefaçon.

La France, sésame d'Alibaba pour ouvrir les portes de l'Europe au e-commerce chinois ? Paris en rêve. Le géant chinois fait un pas dans cette direction. Il vient en effet de confier à Neteven, entreprise française spécialiste des places de marché en ligne, le soin de rendre sa plateforme de vente Tmall accessible à des marques du Vieux Continent.

L'agence française développe principalement l'interface technique pour intégrer les catalogues des marques au portail en ligne du site chinois, notamment en les traduisant. Tmall de son côté met à disposition des équipes chargées des questions juridiques mais aussi de trouver des prestataires pour organiser stockage, transports des colis, réclamations etc.

"Les marques européennes vont pouvoir vendre en Chine directement depuis l'Europe. Cela concernera même celles qui n'ont pas leur propre réseau de sous-traitants dans le pays", affirme Greg Zemor, ancien d'eBay et fondateur de Neteven.

Ponts d'or

Ce type de ponts d'or, le rival d'Alibaba, JD (Jongdong Mall), en a lui aussi créé. Il met à disposition des entreprises étrangères souhaitant vendre leurs produits sur des places de marché un bataillon de juristes, conseillers techniques et autres spécialistes du marketing. Un service "totalement gratuit", martelaient les responsables du site venus promouvoir leur "portail France" début février à Paris.

>> Contrefaçon : la bataille des colosses de l'e-commerce chinois pour leur réputation

Convaincre des marques étrangères de vendre sur les plateformes en ligne en Chine se révèle d'autant plus crucial que leur image pâtit des scandales de contrefaçon. En particulier pour Alibaba après le carton rouge du gouvernement chinois fin janvier. Certes, sa plateforme Taobao, spécialisée dans la vente entre particuliers était surtout dans le viseur. Mais sa place de marché destinée aux professionnels, Tmall, celle qui concerne les marques étrangères, a aussi connu de tels déboires par le passé qu'elle tente depuis de rétablir son image.

"Lobbying intense"

 "Le but pour Tmall est de sélectionner des marques afin de pouvoir s'adresser à elles en direct. Les enseignes multimarques ne sont pas donc concernées, sauf éventuellement dans le cas où elles vendraient leur marque propre", explique Greg Zemor. Limiter ainsi le nombre d'intermédiaires est censé réduire les risques de contrefaçon. Cela permet surtout de restreindre le nombre de bénéficiaires de chaque vente, donc en principe d'assurer des marges plus élevées à chacun.

Cela n'exonère évidemment pas les créateurs de toute démarche en matière de propriété intellectuelle, bien au contraire. Car même si, selon une personne proche du dossier, "le processus de protection et d'enregistrement en Chine a été simplifié en 2014 grâce à un lobbying politique intense de la part d'Alibaba", le cadre juridique reste contraignant.

"Aucune marque ne peut se permettre d'exclure la Chine de ses portefeuilles de brevets" explique ainsi Paolo Beconcini, juriste spécialisé dans la propriété intellectuelle et consultant pour Interpol en Chine. En effet, en droit chinois, aucun dépôt de marque ou de design portant sur un produit déjà commercialisé ou dont les plans ont été portés à la connaissance du public, même à l'étranger, n'est recevable. Sauf si le produit a été montré dans un cadre académique ou si ce sont des tiers qui en ont publié les plans à des fins frauduleuses ou par erreur.

Déposer sa marque le plus tôt possible

Il existe en outre une prime au premier arrivant. Autrement dit, si un concurrent dépose le premier un brevet pour un produit similaire ou identique à celui d'un autre, il pourra continuer à le vendre. Et même se retourner contre son rival, "en bloquant les produits aux douanes ou en faisant fermer les usines de ses sous-traitants s'ils se trouvent également en Chine", ajoute Paolo Beconcini. Des recours sont possibles en droit de la concurrence ou des "copyrights", mais ils se révèlent très aléatoires.

En France, cela n'a visiblement pas échaudé la "dizaine de clients" britanniques, allemands et français de Neteven qui présentent déjà leur catalogue sur Tmall. Ce dernier aurait privilégié textile, puériculture ou encore sport à d'autres types de produits, culturel ou high tech, déjà très présents sur les étals des cybermarchands. Pour autant, le géant dirigé par Jack Ma s'est bien gardé de confier à la société française l'exclusivité de ses opérations en Europe. "C'est la première collaboration de cette nature avec une entreprises française BtoB", précise une porte-parole du groupe, qui ajoute : "nos collaboration sont ouvertes et il appartient entièrement à chaque marque de choisir le tiers de leur choix". L'étape suivante sera d'ouvrir la plateforme chinoise aux consommateurs européens, et pour cela d'installer un ou plusieurs entrepôts sur le continent. Les paris sont ouverts pour savoir quel pays sera le premier à l'accueillir.