"La 5e liberté" pour Emirates, l'autre menace pour les Majors européennes

Par Fabrice Gliszczynski  |   |  884  mots
(Crédits : Rafael Marchante)
En octobre, Emirates va ouvrir la ligne Milan-New-York en Boeing 777 en provenance de Dubai. Il s'agit d'un droit dit de "cinquième liberté". La compagnie étudie de nouvelles opportunités en Europe. La compagnie dispose en effet de tels droits en Grande-Bretagne, en Scandinavie, au Benelux et "potentiellement en Allemagne". Les routes Europe-Amérique du Nord sont, pour les compagnies européennes, le seul axe « origine-destination » à forts flux de trafic sur lequel Emirates est mal positionné en raison de l'éloignement du hub de Dubai.

Au regard de son énorme carnet de commandes d'avions, l'offensive d'Emirates pour la conquête du ciel mondial n'en est qu'à ses débuts. Et dans cette irrésistible ascension, il y a un scénario qui, s'il se développait massivement, serait terrible pour les compagnies classiques européennes, déjà frappées de plein fouet par les coups de boutoir de la compagnie de Dubai : que celle-ci ait le droit demain d'assurer à grande échelle des vols sans escale au départ d'Europe vers des destinations d'Amérique du Nord ou du Sud (ou autres), sans passer évidemment par son pays d'origine. Par exemple qu'Emirates exploite un Dubai-Paris-New-York avec la possibilité de commercialiser le tronçon Paris-New-York. Il s'agit d'un droit dit de « 5e liberté », lequel est inscrit dans la Convention de Chicago qui régit le transport aérien mondial depuis1944 (Lire ici: Les libertés de l'air, kézako?).

Si les droits de "5e liberté" existent donc depuis des décennies, ils ne sont attribués que de manière épisodique dans les accords bilatéraux entre Etats. En France, le cas le plus connu est celui d'Air India qui pendant des années (les vols ont été arrêtés) à pu commercialiser des vols entre Paris et New-York. En Belgique, l'autre compagnie indienne long-courrier, Jet Airways, a obtenu des droits similaires vers l'Amérique du Nord. Elle dispose même d'un « hub » à Bruxelles pour mettre à bien cette activité.

Dubai-Milan-New-York en octobre

Grosse nouveauté cette année, Emirates, qui exploite déjà plusieurs vols de ce type en Asie, va, elle aussi, lancer des vols de « cinquième liberté » en Europe. En octobre, la compagnie de Dubai va effet ouvrir la ligne Milan (Malpensa)-New-York en Boeing 777. Un coup dur pour Alitalia qui, au vu de ses difficultés, n'avait pas besoin d'une telle concurrence. Cette ligne peut en amener d'autres. Selon nos informations, Emirates étudie de près de nouvelles opportunités de « cinquième liberté » au départ d'Europe, notamment de Grande-Bretagne. Interrogé sur de tels projets vendredi 17 mai lors de son passage à Paris, Thierry Antinori vice-président exécutif, Emirates est resté prudent. « Il ne faut pas mettre la charrue avant les b?ufs, Emirates ne veut pas casser son modèle qui est de relier le monde en une escale ».

Selon lui, Emirates dispose de droits de cinquième liberté vers les Etats-Unis en Scandinavie, Grande-Bretagne, au Benelux et « potentiellement » en Allemagne. « Une présence en Italie, en Grande-Bretagne, et en Allemagne ferait déjà d'Emirates un acteur important sur l'axe transatlantique », explique un observateur. Et de pointer le danger pour les majors européennes : « les routes Europe-Amérique du Nord sont, pour les compagnies européennes, le seul axe « origine-destination » à forts flux de trafic sur lequel Emirates est mal positionné en raison de l'éloignement du hub de Dubai. Ce serait le dernier coup de jarnac d'Emirates ». En France, réputée pour sa frilosité à ouvrir le marché, il ne faut pas trop y compter. D'ailleurs, Emirates ne le demande pas, a expliqué le PDG de la compagnie Tim Clark lors de son passage à Paris en avril pour l'annonce de son partenariat avec la Fédération française de tennis pour le tournoi de Roland-Garros.

L'accord avec Easyjet appelé à s'étendre?

Certains professionnels du secteur estiment néanmoins que ces vols de cinquième liberté assurés avec des gros-porteurs sont difficiles à remplir en l'absence de vols d'apport moyen-courriers. Pour eux, les seuls marchés de point-à-point ne suffisent pas à assurer un vol quotidien, le minimul des préalables pour attirer les hommes d'affaires et rentabiliser la ligne. Pour autant, la réalité sur le terrain ne coïncide pas toujours avec les théories du tableau noir. D'autant plus si Emirates et Easyjet décidaient d'étendre leur partenariat commercial dans un accord de partage de codes pour alimenter les vols long-courriers d'Emirates, la donne pourrait changer de manière radicale.

Liberté d'établissement

Ces débats sur la 5e liberté ne risquent-ils pas de s'éteindre avec l'ouverture toujours plus grande des marchés ? Air France l'anticipe. « L'ouverture des marchés va se poursuivre car elle est en phase avec le mouvement de globalisation », a rappelé jeudi 16 mai Jean-Cyril Spinetta, le PDG d'Air France-KLM lors de l'assemblée générale des actionnaires. Dans sa vision de l'avenir du transport aérien, la liberté d'établissement (qui permettrait par exemple à Air France de se baser en Chine pour y assurer des vols intra-asiatiques) deviendra progressivement une réalité et obligera les compagnies aériennes à se déployer sur l'ensemble du globe.

Reste à voir si cette ouverture sera totale où si elle laissera de côté certaines compagnies. Car dans ses propos sur l'ouverture des marchés, Jean-Cyril Spinetta a bien précisé qu'avant d'accorder de nouveaux droits de trafic, les autorités devaient vérifier que les compagnies aériennes « partagent des règles de concurrence équitables, pas en termes de salaires ou de coût du travail, mais en termes de financement d'avions et d'accès au crédit ».

De telles règles sont néanmoins compliquées à établir. Car certaines aides (financement de la sûreté du transport aérien, fiscalité...) sont liées à la notion de souveraineté des Etats.