L’Etat français (actionnaire d’Air France) aide la "com" d’Easyjet

Par Fabrice Gliszczynski  |   |  917  mots
La directrice générale de la compagnie low-cost Carolyn McCall a été reçue mercredi en grande pompe au ministère des transports pour "officialiser" une grosse commande d'A320 passée à Airbus, signée il y a de nombreux mois. Une manifestation dénoncée par le président de la Fédération nationale du transport aérien (Fnam), qui juge "choquant de célébrer la réussite d'une compagnie qui ne se bat pas avec les mêmes armes en termes de compétitivité alors que l'on nous refuse de nous mettre à niveau en termes de compétitivité".

Chez Easyjet, certains n'en croyaient pas leurs yeux. Il y a sept ans, les policiers débarquaient dans les bureaux de la compagnie en France dans son enquête pour travail dissimulé; une affaire qui appartient au passé, les 1.000 salariés de la compagnie en France étant soumis aux règles sociales françaises.

Ce mercredi, sa directrice générale, Carolyn McCall, était reçue en grande pompe au ministère des transports par un ministre de la République, Frédéric Cuvillier, dithyrambique sur le succès de cette compagnie à bas coûts.

Commande déjà passée depuis belle lurette

Devant un parterre de personnalités du transport aérien français, Carolyn McCall a, selon ses termes, "officialisé", aux côtés de Fabrice Brégier, le PDG d'Airbus, une méga-commande de 135 A320 (dont 35 options) d'une valeur de 12 milliards de dollars. Contrairement à la colossale commande de Lion Air signée à l'Elysée en 2013, l'annonce d'Easyjet n'en est pas une. Cette commande a, en effet, fait l'objet d'un protocole d'accord signé en juin dernier au salon aéronautique du Bourget puis d'un contrat ferme le 11 juillet. Les 135 Airbus figurent donc depuis belle lurette dans le carnet de commandes de l'avionneur. Ce qui suppose que des premiers acomptes ont déjà été versés. Un non-événement en quelque sorte.

La France, un marché prioritaire pour Easyjet

"Cette opération est beaucoup une opération de lobbying et de communication d'Easyjet qui veut se développer dans l'Hexagone", explique un observateur. En effet, la cérémonie à l'hôtel de Roquelaure est, selon nos informations, une demande de la compagnie britannique.

"La France est notre deuxième marché après le Royaume-Uni, a expliqué Carolyn McCall. C'est une priorité stratégique et nous allons développer notre présence. En 2013, nous avons transporté 14 millions de passagers en France. En 2014, nous visons 15 millions de passagers".

Easyjet est aujourd'hui le deuxième opérateur en France. Frédéric Cuvillier n'a pas été avare en compliments.

"C'est un honneur  que vous nous faites de signer au ministère des Transports. Easyjet est une belle compagnie. J'ai plaisir d'entendre que votre développement en France sera amplifié", a déclaré le ministre en s'adressant à Carolyn McCall.

 Easyjet, le principal concurrent d'Air France sur le moyen-courrier

Si l'on ne peut que féliciter l'extraordinaire réussite d'Easyjet, il est étonnant néanmoins de voir l'Etat français, actionnaire d'Air France-KLM (et d'Airbus aussi), faire la part belle au principal concurrent d'Air France sur le réseau court courrier, alors que celle-ci est en toujours en pertes, en raison notamment de ses difficultés à lutter… contre les compagnies à bas coûts. Certes, l'Etat est également actionnaire d'Airbus, mais peut être y-avait-il moyen de fêter la réussite d'Airbus avec un client moins agressif vis-à-vis d'Air France, surtout pour une commande qui avait été signée il y a plusieurs mois. 

Interrogé en aparté de la conférence de presse sur ce point, Frédéric Cuvillier parle en effet de "l'Etat qui conforte Airbus. C'est un bel événement pour la France". Cette commande va pérenniser 10.000 emplois en France et en Europe a expliqué Carolyn McCall. Toutefois, au regard de la répartition des tâches entre la France et l'Allemagne, l'essentiel de cette commande sera construit à Hambourg. Certains évoquent même les deux tiers de la commande d'Easyjet pour le site allemand.

Boycott de la Fédération nationale de l'aviation marchande

"Quand Air France passera une telle commande on fera la même chose", a par ailleurs indiqué Frédéric Cuvillier. Air France-KLM a pourtant signé l'an dernier au Salon du Bourget (au même moment qu'Easyjet) une commande ferme de 25 Airbus A350 (assemblés à Toulouse) assortie de 25 options, d'une valeur de 7,2 milliards de dollars et du double avec les options. Interrogé, Air France n'a pas fait de commentaires sur la cérémonie d'Easyjet.

 En revanche, celle-ci n'a pas été du goût de la Fédération nationale de l'aviation marchande (Fnam), la principale association professionnelle du transport aérien français, dont est membre Air France. Son président Alain Battisti a décliné "personnellement", l'invitation du ministre.

"C'est choquant de célébrer la réussite d'une compagnie étrangère qui se bat avec des armes que nous n'avons pas en termes de compétitivité, alors qu'on refuse de nous mettre à niveau en termes de compétitivité", a déclaré à La Tribune, Alain Battisti, ajoutant "ne pas comprendre pourquoi une vente d'Airbus n'était pas célébrée au ministère de l'industrie".

Il faut préciser que le ministère des Transports est le ministère de tutelle d'Airbus.

Frédéric Cuvillier a expliqué de son côté qu'Easyjet "respectait le droit français, et qu'elle était soucieuse de la sécurité et de son image". "La concurrence existe, mais il ne faut pas la fausser", a-t-il fait valoir. Pour Alain Battisti, l'application des conditions de travail françaises par le personnel français d'Easyjet ne couvre pas toute son activité en France. 

Cette polémique aurait pu être facilement évitée au regard de la pléthore de grosses commandes qu'enregistre Airbus. Celle que l'avionneur s'apprête à signer le 26 mars avec la Chine aurait été (est) une très bonne opportunité de mettre en avant le constructeur et la filière aéronautique française sans froisser certaines compagnies aériennes françaises.