Ryanair, Easyjet, Transavia.., le "tout low-cost" est-il possible en Europe ?

Par Fabrice Gliszczynski  |   |  1349  mots
Les compagnies à bas coûts vont-elles rafler à l’avenir l’ensemble du transport aérien intra-européen ? C’est l’un des débats du Paris Air Forum, organisé par La Tribune le 11 juillet sur lequel débattront les PDG d’Easyjet et de Vueling. Décryptage.

Avec l'irrésistible croissance des transporteurs low-cost sur le Vieux Continent et la volonté des grandes compagnies traditionnelles de développer fortement leur filiale à bas prix, le passage au « tout low-cost » en Europe semble constituer le sens de l'Histoire pour de nombreux acteurs.

« À l'avenir, à l'exception de quelques compagnies de niche, le mode opératoire du transport aérien court et moyencourrier sera complètement low cost », estime Yan Derocles, analyste chez Oddo Securities.

« Les compagnies classiques ne savent pas comment gagner de l'argent sur les courtes distances, a récemment déclaré Carolyn McCall, la directrice générale d'EasyJet. À l'avenir, la majorité des voyages aériens en Europe sera assurée par des compagnies à bas coûts. »

40 à 45% du marché

Vingt ans après la naissance du phénomène low cost en Europe, avec la conversion à ce modèle de Ryanair en 1994, les compagnies à bas coûts vont-elles rafler la mise ? Alors qu'elles représentent entre 40 et 45% du marché intra-européen, elles pourraient détenir 60% du marché en 2020 selon les experts.

Y a-t-il une limite ? Il ne semble pas. Sur les vols de courte et moyenne distance, le transport aérien est devenu une « commodité » pour une majorité de clients dont le seul critère de choix d'une compagnie est le prix. Aux États- Unis, un marché mature, la part des compagnies à bas coûts semblent stagner autour de 40%.

Mais peut-on parler de stagnation quand les acteurs traditionnels parviennent à contenir l'offensive en employant les mêmes armes, voire en allant plus loin ? Dans les faits, le modèle low cost s'est répandu à la quasi-totalité des vols de point à point américain.

La montée en gamme des compagnies à bas coûts

L'Europe est en plein chamboulement depuis un an. Incapables de ramener leurs coûts à celui des low cost comme l'ont fait les majors américaines, les grandes compagnies classiques ont décidé de développer fortement leur filiale à bas prix. IAG, la maison mère de British Airways et Iberia, a racheté l'espagnole Vueling en 2013, tandis que Lufthansa et Air France-KLM ont décidé de faire de leurs filiales respectives, Germanwings et Transavia, le fer de lance de leur stratégie intraeuropéenne. Ce développement coïncide avec l'évolution des low cost européennes vers un modèle hybride, à mi-chemin entre celui des low cost et celui des compagnies classiques.

Un point fondamental. Car, en empruntant, comme le font EasyJet ou Vueling, des pratiques des compagnies traditionnelles (choix des grands aéroports, vols permettant des allers-retours journée, partenariats avec les agences de voyages et les GDS, tarifs et prestations spécifiques pour la clientèle professionnelle, classe affaires et vols en correspondances pour Vueling…), de nombreuses compagnies à bas coûts montent en gamme et étendent ainsi leur terrain de chasse aux voyageurs d'affaires, le gagne-pain des compagnies classiques.

Certes, ce modèle augmente les coûts d'exploitation, mais il génère des gains de recettes unitaires largement supérieurs. En témoignent, les bénéfices records d'EasyJet en 2013 au moment où ceux de Ryanair reculaient. À tel point que ce modèle hybride est devenu le modèle dominant en Europe depuis la décision l'an dernier de Ryanair, champion jusqu'ici de l'ultra low cost, de l'adopter. Le revirement stratégique de la plus grosse compagnie à bas coûts européenne constitue une étape majeure dans l'avenir du transport intra-européen, « dont beaucoup n'ont peut-être pas pris encore la mesure », déclarait récemment Emmanuel Combes, vice-président de l'autorité de la concurrence, grand spécialiste des low cost.

Transavia, l'arme d'Air France

Pour les compagnies classiques, les marges de manoeuvre sont étroites. Tôt ou tard, le transfert de leur activité court et moyen-courrier de point à point à leurs filiales low cost semble inéluctable. Fin 2012, Lufthansa a commencé la bascule en décidant de transférer l'exploitation de tous ses vols en Europe à Germanwings, à l'exception de ceux au départ et à destination de ses hubs de Francfort et Munich. Iberia fait encore assurer ses vols vers son hub de Madrid par Iberia Express, mais c'est bel et bien Vueling, au départ de Barcelone (pour l'instant), qui sera clairement la machine de guerre du groupe IAG sur le réseau court et moyen-courrier. Plus de la moitié des 220 Airbus de la famille A320 commandés l'an dernier par le groupe lui sont réservés.

Toujours en 2013, Air France-KLM, jusqu'ici en retrait par rapport à IAG et Lufthansa dans la contre-attaque low cost, a décidé de doubler la flotte de Transavia France d'ici à l'été 2016, un préalable à un développement plus important à l'avenir.

« Pour que Transavia.com devienne une grande low cost paneuropéenne de référence, comme nous en avons l'ambition, sa flotte devrait dépasser les 100 avions d'ici à sept ou huit ans, contre une cinquantaine aujourd'hui », expliquait en début d'année à La Tribune, le PDG d'Air France-KLM, Alexandre de Juniac.

« Ce développement est nécessaire si Air France ne veut pas un jour abandonner le point à point », ajoutait-il.

Pour lui, Air France restera présente sur l'alimentation du hub de Roissy et les grandes radiales. Un transfert d'activités est une décision lourde de conséquences. Pour pouvoir rivaliser avec les low cost, ces filiales de compagnies classiques sont en effet obligées de lutter avec les mêmes armes.

Les conditions de travail et de rémunération du personnel sont moins avantageuses que celles en vigueur dans la maison mère. Surtout, ces transferts d'activité sont loin d'entraîner automatiquement des transferts d'emplois. Notamment ceux de l'assistance en escale que les filiales low cost des compagnies classiques ne peuvent pas reprendre pour s'aligner sur les pratiques - et donc les coûts - des low cost. Des milliers de postes sont en jeu, en France en particulier. Un sujet explosif

L'alimentation des hubs en jeu

Si ces transferts d'activité aux filiales low cost semblent inévitables sur le point à point, vont-ils s'étendre aussi, à terme, aux vols court et moyen-courriers qui servent à alimenter en passagers les vols long-courriers au départ des hubs ? Ou bien les compagnies classiques continueront- elles à subventionner ces vols d'apport par les recettes du long-courrier ? Là aussi, le débat est ouvert.

« À terme, l'alimentation des hubs et le point à point des compagnies classiques seront opérés par leur filiales low cost », estime Yan Derocles.

S'il se confirme, le mouvement entraînera, pour les passagers « haute contribution », une rupture de qualité entre les vols long-courriers et les court-courriers. Mais, pour beaucoup, il n'y aura pas d'autres alternatives. Surtout si les low cost indépendantes nouaient, à l'avenir, des alliances avec des compagnies long-courriers non communautaires pour remplir les vols long-courriers de ces dernières. Un peu comme si l'accord entre Emirates et EasyJet sur l'utilisation des miles des passagers de la compagnie du Golfe sur le réseau de la low cost britannique s'étendait à des accords de partage de codes.

Long-courrier

Reste LA question. Les low cost européennes vont-elles se lancer sur le long-courrier ? Leur développement continu sur certaines grosses plateformes aéroportuaires leur permettra en tout cas de remplir des vols long-courriers. Pour autant, la partie est moins facile que sur le court et moyen-courrier. Compliqué en effet de faire voler beaucoup plus les avions que ne le font les compagnies classiques, affirment les experts. Pour autant, le phénomène se développe.

En Asie, plusieurs low cost long-courriers voient le jour, créées le plus souvent par des grandes compagnies traditionnelles (Singapore Airlines, Qantas) pour contrer Air Asia X, la low cost long-courrier d'Air Asia. En Europe ou aux États-Unis, le débat est plus tranché. Il n'empêche, certains tentent le coup. C'est le cas de Norwegian, tandis que Ryanair envisage des vols transatlantiques à l'horizon 2019. De quoi conforter l'idée que les low cost moyen-courrier seront obligées de trouver des leviers de croissance au long cours.

Retrouvez les analyses des intervenants du forum de l'aéronautique civil et militaire, le Paris Air Forum, qui se déroulera le 11 juillet prochain.