Air France, pourquoi "l'après-grève" sera plus dur que la grève

Par Fabrice Gliszczynski  |   |  849  mots
Si les pilotes gagnent leur bras de fer, les autres catégories de personnel risquent aussi de monter au créneau.
Si la grève des pilotes a des conséquences financières et commerciales désastreuses, son issue fragilise les prochaines négociations sur de nouveaux plans de compétitivité pour l'ensemble des personnels prévus dans le prochain plan stratégique 2015-2020.

Avec près de 60 millions d'euros de pertes d'exploitation enregistrées depuis le début du conflit, lundi, la grève des pilotes d'Air France pèse fortement sur les comptes de la compagnie. Une poursuite du mouvement la semaine prochaine, comme menace de le faire le syndicat national des pilotes de ligne (SNPL), majoritaire, compromettra l'objectif d'un retour à l'équilibre en fin d'année, après six années de pertes consécutives durant laquelle Air France a cumulé plus de deux milliards d'euros de pertes d'exploitation !

Nouvelles mesures de réductions des coûts

Pourtant, aussi grave soit cette grève sur le plan financier et commercial, l'"après-grève" s'annonce encore plus compliqué pour Air France. Pourquoi ? Car Air France-KLM prépare un nouveau plan stratégique 2015-2020 (Perform 2020) très ambitieux en termes de rentabilité, qui vise un retour sur capitaux employés compris entre 9 et 10% en 2017, un niveau jamais atteint dans l'histoire du groupe, même quand il était au top de sa forme entre 2004 et 2007. Or, la réusssite de ce plan passera notamment par une réduction encore très forte des coûts qu'il faudra négocier avec toutes les catégories de personnel. Et ce de manière décentralisé puisque, contrairement au plan Transform 2015 où chaque catégorie du personnel devait baisser ses coûts de 20%, Alexandre de Juniac fixera dans le prochain plan des objectifs adaptés à chaque activité.

Avant la grève, ces négociations s'annonçaient déjà compliquées puisqu'elles vont encore demander de nouveaux efforts aux salariés, après trois années de régime sec. Après la grève, elles le seront davantage. Ce conflit laissera des traces.

"Nous ne serons plus dans le même contexte qu'avant le conflit, il faudra reformuler le dialogue social", explique un dirigeant d'Air France, qui s'interroge sur la manière de renégocier avec les syndicats les plans de compétitivité. Et ce quel que soit le scénario de sortie de grève, lequel sera crucial.

Quelle sortie de grève?

S'il donne l'impression que les pilotes ont gagné leur bras de fer, les autres catégories du personnel risquent de montrer au créneau pour obtenir eux aussi des satisfactions.

"Si les revendications des pilotes sont satisfaites, ne serait-ce que partiellement, cela peut générer des tensions dans les autres syndicats, notamment ceux des personnels commerciaux qui pourraient être tentés de demander des concessions similaires", explique un syndicaliste.

En outre, dans ce scénario, il sera évidemment difficile pour la direction d'aller négocier des gains de productivité supplémentaires auprès autres catégories de personnel.

Elections professionnelles chez les pilotes

Si au contraire, la sortie de grève s'apparente à une défaite des syndicats, ce sera cette fois compliqué d'aller arracher de nouveaux accords de compétitivité avec eux. Surtout si le SNPL, majoritaire, devait sortir affaibli du conflit auprès des pilotes. En effet, en mars prochain, se tiendront les élections professionnelles.

"En cas de compromis mal ficelé pour sortir de la grève, le SNPL peut se retrouver affaibli et perdre du terrain face aux autres syndicats de pilotes. Si on se retrouve avec trois syndicats de pilotes représentatifs ce sera une catastrophe pour Air France, explique un pilote.

En raison de leur influence mais aussi de leur pouvoir de nuisance, les pilotes sont dans toutes les compagnies des acteurs majeurs de la compagnie.

Un point de vue partagé par un dirigeant.

"Si les élections sont merdiques, ce sera difficile pour nous pendant longtemps", explique cette source. La direction préfère disposer d'un interlocuteur fort. Le paysage syndical des PNC est souvent montré en exemple. Aucun des trois syndicats représentatifs ne possède les 30% des voix, nécessaires pour signer un accord d'entreprise.

Aujourd'hui le SNPL est ultra-majoritaire avec plus de 70% des voix. Réformateur au cours de la dernière décennie (accords sur la création de Transavia, sur les bases de province, sur Transform 2015), le SNPL a perdu de l'audience auprès des pilotes. Au printemps, lors des dernières élections du conseil d'administration d'Air France, le SNPL a perdu son siège au profit du SPAF, beaucoup plus radical. Certes les élections incluaient les filiales régionales dans lesquelles le poids du SNPL est moindre. Ce qui ne sera pas le cas pour les élections professionnelles. Certes, le candidat SNPL n'avait pas le meilleur profil pour représenter les pilotes moyen-courrier, les plus inquiets sur leur avenir. Il n'empêche, pour la direction, ce calendrier électoral joue énormément dans le durcissement actuel du SNPL. Pour autant, l'hypothèse d'une sortie de grève défavorable au SNPL est à nuancer compensé par la tenue d'un référendum auprès de tous les pilotes sur le scénario de sortie de crise.

Bref, "pour sortir par le haut, il ne faut pas qu'il y ait de vainqueur", explique-t-on en interne...Difficile dans un bras de fer. Pour l'heure ce dernier continue. Il pourrait s'étendre à la semaine prochaine.