Diriger Siemens Alstom  : le chemin de croix de Henri Poupart-Lafarge

Par Fabrice Gliszczynski  |   |  1115  mots
Henri Poupart-Lafarge, PDG d'Alstom et futur directeur général de Siemens Alstom
Appelé à diriger le nouvel ensemble qui regroupera l'ensemble des activités d'Alstom et de Siemens Mobilités, Henri Poupart Lafarge, le PDG d'Alstom, aura la lourde charge d'éviter les luttes intestines entre Français et Allemands qui ne manqueront pas de voir le jour. Les différences de cultures entre deux entreprises rivales jusqu'ici seront l'un des principaux obstacles à la réussite de ce rapprochement.

Ce sera tout sauf une partie de plaisir qui attend Henri Poupard-Lafarge, le PDG d'Alstom. Nommé pour diriger Siemens Alstom, la nouvelle entité appelée à voir le jour d'ici à fin 2018 si les négociations sur la fusion de l'ensemble des activités d'Alstom et de Siemens Mobilités aboutissent, c'est lui qui va avoir la lourde tâche de défendre les intérêts français dans ce nouvel ensemble aux accents allemands.

Avec 50,67% du capital à la clôture de l'opération - espérée en 2018 - et la possibilité d'aller au-delà d'ici à quatre ans, Siemens sera en effet majoritaire du nouvel ensemble. Certes, ce ne sera pas son rôle puisqu'en tant que directeur général de Siemens Alstom, Henri Poupart-Lafarge devra mener une stratégie pour le bien de l'ensemble du groupe. Et pourtant, ne lui en déplaise, il devra néanmoins s'y employer. A la fois pour calmer les inquiétudes légitimes des salariés d'Alstom et les cris d'orfraie poussés par de nombreux politiques français, mais aussi pour freiner la tentation qui ne manquera pas d'animer Siemens d'asseoir son emprise sur le groupe de manière plus prononcée, une attitude qui apparaîtrait tout aussi légitime côté allemand dans la mesure où c'est bel et bien le groupe allemand qui aura le pouvoir, même si le siège social sera basé en France.

"Une lecture simpliste"

Henri Poupard-Lafarge feint de ne pas comprendre cette problématique quand on lui rappelle la prédominance allemande dans la structure du groupe.

« Je ne comprends pas très bien ces critiques (sur la prise de contrôle, NDLR). Je trouve que c'est une lecture du monde un peu simpliste. Je crois que c'est un accord européen équilibré qui permet de réunir deux groupes qui ont chacun leur histoire, leurs racines, leurs expertises et de faire ensemble un groupe plus fort. C'est je crois le sens de l'histoire », a-t-il déclaré ce mercredi, en marge de la présentation du projet de rapprochement avec Siemens.

Il n'empêche, Henri Poupart-Lafarge doit se préparer à jouer malgré lui les équilibristes, voire les pompiers de service entre les intérêts des deux côtés du Rhin. La composition de son comité exécutif, les nominations aux postes clef, les conséquences des mesures industrielles ..., tout sera, du côté français, scruté analysé, interprété à l'aune du sacro-saint rapprochement « entre égaux » promis par les deux acteurs ce mercredi 27 septembre. C'est inévitable. Chacun va regarder dans l'assiette de l'autre, avec le risque de déclencher des luttes intestines sur fond de rivalités nationales. Parmi tous les exemples de rapprochement capitalistiques transfrontaliers, les cas d'Airbus ou d'Air France-KLM pour ne citer qu'eux l'ont bien montré. Et à ce jeu, les Français n'ont pas vraiment brillé dans la défense de leurs intérêts, même quand ils étaient l'acquéreur dans le cas d'Air France.

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De telles rivalités constitueront probablement le plus grand obstacle du rapprochement entre Siemens et Alstom.

« Le plus difficile sera de marier deux entreprises aux cultures différentes, dont les équipes en concurrence frontale jusqu'ici ont été animées par un sentiment de défiance réciproque », explique un vieux routier du secteur ferroviaire.

L'Etat français sort d'Alstom

Et dans ce combat, Henri Poupart-Lafarge sera seul, à la merci d'un conseil d'administration présidé et contrôlé par Siemens qui nommera 6 des 11 administrateurs dont le président. Car l'Etat français va sortir d'Alstom. Actionnaire de la société ferroviaire via des actions prêtées par Bouygues au moment de la vente de sa branche « Energie » à General Electric en 2014, l'Etat français va mettre fin à ce prêt qui lui évitera de devoir payer 3 milliards d'euros à Bouygues s'il avait au contraire décidé d'acheter ces actions comme l'accord de 2014 lui en donnait la possibilité.

Aucune fermeture de sites pendant 4 ans

Certes, pour l'instant, les engagements pris de part et d'autre se veulent rassurants.

« Aucun site ne sera fermé en France ni en Allemagne au cours des 4 prochaines années », a indiqué Henri Poupart-Lafarge, ajoutant que l'objectif était de conserver « un niveau d'emploi équivalent » à celui d'aujourd'hui. Dans l'hypothèse où des suppressions de postes devaient néanmoins avoir lieu au cours de cette période, l'engagement est pris de procéder à des départs volontaires et non à des licenciements.

Interrogé sur l'impact social que pourraient avoir l'objectif de 460 millions d'euros de synergies espérées par ce rapprochement, Henri Poupart-Lafarge a répondu que ce montant se ferait essentiellement sur les achats.

« Nous ne sommes pas dans une industrie de produits, donc tout l'enjeu industriel de ce accord sera de dégager des synergies de plateformes. Il faudra combiner les travaux menés par Alstom et Siemens depuis des années pour éviter, à chaque fois qu'un nouveau train nous sera demandé par un client, de devoir le dessiner complètement à partir de rien. En ayant à notre disposition une palette plus large de solutions, de sous-systèmes, de technologies, nous allons être meilleurs pour les combiner entre elles et concevoir des plateformes plus efficaces pour les clients. C'est l'essentiel des synergies. Car cette façon de procéder se traduit ensuite sur les achats dans la mesure où nous pourrons par exemple massifier l'achat de composants standard », a-t-il expliqué.

Outre ce travail extrêmement complexe Henri Poupart-Lafarge entend lancer, sur la base de programmes de Recherche & Développement (R&D) similaires, de nouveaux programmes de R&D qui permettront, « d'aller plus vite au lieu de développer chacun de notre côté les mêmes types de fonctions ». Enfin, ce dernier reconnaît néanmoins qu'il pourra y avoir des redondances dans « certaines fonctions de la structure ».

Henri Poupart-Lafarge devra donc jouer habilement. S'il parvient à déjouer les pièges des guerres intestines, il pourra mettre en place le projet industriel qui a du sens.

« Il va nous permettre d'être plus dynamique sur les marchés européens et les marchés export et de générer de nouveaux emplois », explique-t-il.

Un groupe solide face aux Chinois

En effet, avec la forte concurrence chinoise, la globalisation des marchés et sa digitalisation qui demande des investissements colossaux, le rapprochement avec un groupe aussi solide et innovant est plutôt une bonne chose pour Alstom. D'autant que cette opération évite de facto un rapprochement entre Siemens et Bombardier qui aurait isolé Alstom au point peut-être d'être contraint de pactiser avec l'ogre chinois CRRC comme risque du coup de le faire le Canadien.