Faute de pilotes, Air France s'apprête à louer un B787 à un concurrent

Par Fabrice Gliszczynski  |   |  778  mots
Après avoir été contrainte de clouer au sol l'un de ses six B787 en raison d'un différend avec le SNPL sur un autre dossier, la compagnie est en discussion pour louer un appareil pour compenser le coût de son loyer mensuel.

Un avion flambant neuf qui arrive en avril pour être cloué au sol quelques semaines plus tard puis peut-être reloué au cours des prochaines semaines à une compagnie concurrente, le tout pour un manque de pilotes à cause d'un différend entre la direction et le syndicat national des pilotes de ligne (SNPL) sur un dossier qui n'a rien à voir avec cet avion : c'est l'incroyable affaire des B787 d'Air France, qui résume à elle seule la situation générale rocambolesque de la compagnie depuis le début de l'année.

A la recherche d'un locataire

Alors qu'Air France est obligée depuis le mois de mai de clouer au sol l'un des six B787 de sa flotte en raison d'un bras de fer entre la direction et le SNPL sur un sujet de sécurité des vols, la compagnie cherche, selon nos informations, à louer désormais un  appareil pour éviter de payer inutilement des loyers, évalués à un million de dollars par mois par un banquier spécialisé dans les financements d'avions. "C'est le montant pour un avion de ce type en operating lease", explique-t-il.

Discussions en cours avec Air Austral

Selon les mêmes sources, des discussions sont notamment en cours avec Air Austral, qui exploite deux B787, pour lui louer un "Dreamliner", qui pourrait ne pas être le tout dernier arrivé en avril, mais un autre exemplaire arrivé plus tôt dans la flotte. Interrogée, la compagnie réunionnaise répond qu'une inspection moteurs sera effectuée sur les moteurs Rolls Royce de son deuxième B787 le 6 juin pour déterminer si cet appareil doit être immobilisé ou pas. A la suite de problèmes rencontrés sur un modèle de compresseur, le motoriste britannique a demandé à ses clients des inspections approfondies. Sans mentionner Air France spécifiquement (dont les B787 sont équipés de moteurs General Electric), Air Austral "confirme étudier toutes les possibilités d'affrètement au cas où l'un de ses deux appareils devait être immobilisé".

Gel des qualifications type

Dans cette optique, Air France pourrait louer un B787 pour une durée de trois mois, sauf si Air Austral n'en a pas besoin (auquel cas, la compagnie se tournerait vers un autre opérateur), et sauf si le différend avec les pilotes se décantait d'ici-là. Si tel était le cas, il faudrait deux à trois mois pour le remettre en ligne, le temps de le repositionner sur les réseaux et d'enclencher à nouveau les formations des pilotes. En effet, la compagnie a, selon nos informations, décidé de geler les qualifications type pour les mois de juin, juillet et août. Elles ne reprendront qu'en septembre.

Cette situation pour le moins baroque est la conséquence du refus du SNPL de signer la prolongation de l'accord qui a pris fin le 30 avril sur la mise en ligne du B787 signé en 2016. Cette prolongation permettrait d'utiliser des instructeurs venant du secteur B777, le temps de permettre l'arrivée progressive d'instructeurs B787 appelés à terme à les remplacer, expliquaient en avril Thierry Bellot, responsable du projet 787 et Serge Vito, responsable de la formation 787, dans un courrier adressé aux pilotes que La Tribune s'est procuré. Or, sans accord, la quasi-totalité des instructeurs B787 ont été contraints de retourner sur 777 et ne peuvent donc pas former les pilotes.

Annulation de la livraison du septième appareil

Si cette situation devait s'éterniser, Air France réfléchit à annuler la prise de livraison du septième exemplaire prévu en octobre. Contrairement à ses premiers calculs, plus pessimistes, qui mettaient en avant le risque de ne pouvoir exploiter que trois B787 d'ici à la fin de l'année, Air France disposerait des équipages suffisants pour faire voler 5 avions jusqu'à la fin de l'année. Les pilotes qui ont été « lâchés » après les trois mois de qualification type, n'ont besoin en effet que de 5 jours de formation par an. Un volume moins dense qui mobilise moins d'instructeurs.

Sécurité des vols

Pour la direction d'Air France, le refus de signer l'accord est lié à un différend sur un autre sujet.

« Nous avons un débat sur les protocoles d'analyse des vols. Le SNPL voudrait que la décision du caractère acceptable ou pas d'un retour d'expérience sécurité des vols se fasse de manière paritaire entre la direction et le syndicat. Or, cela pose un problème de réglementation et d'exercice des responsabilités pour la Direction. Comme nous n'arrivons pas à signer cet accord, le SNPL dit qu'il ne signera pas l'accord de prolongation des instructeurs 787", expliquait le 20 avril à "La Tribune", Franck Terner, le directeur général d'Air France.