Ferroviaire : Europlasma met la main sur Valdunes, dernier fabricant français de roues de trains

Par latribune.fr  |   |  1574  mots
La SNCF est l'un des clients historiques de Valdunes, fabricant français de roues et d'essieux de trains, de métros et de tramways. (Crédits : Charles Platiau)
Le tribunal de commerce de Lille a validé ce mercredi la reprise de Valdunes, dernier fabricant français de roues de trains, par le groupe Europlasma. Une opération périlleuse, mais à haute valeur symbolique pour le gouvernement, qui va mettre la main au portefeuille en apportant 15 millions d'euros.

[Article publié le mercredi 20 mars 2024 à 10h13, mis à jour à 11h16] C'est fait. Dossier à haute valeur symbolique pour le gouvernement et pour Emmanuel Macron, qui s'était engagé en personne : Valdunes, dernier fabricant français de roues de trains, est repris par le groupe Europlasma. Le tribunal de commerce de Lille a en effet validé ce mercredi cette reprise par ce groupe bâti autour de la valorisation des déchets, qui a repris ces dernières années plusieurs entreprises en difficulté.

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« La proposition de reprise par Europlasma est acceptée avec une entrée en jouissance le 21 mars », a déclaré à l'AFP Guillaume Ferrand, représentant de la direction de Valdunes à la sortie de l'audience en début de matinée.

Cette validation a également été confirmée par les syndicats. « Le savoir-faire restera en France, c'est ce qu'on voulait », s'est félicité Philippe Lihouck, délégué syndical CGT.

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Le gouvernement n'a pas tardé à réagir à cette annonce, par la voix de son ministre délégué à l'Industrie. « Après plus de dix mois de mobilisation de l'ensemble des parties prenantes (...), l'activité de MG Valdunes est maintenue pour ses deux sites », s'est réjoui Roland Lescure, précisant qu'il se rendra sur place ce jeudi.

131 emplois sur le carreau

Europlasma aura été le seul candidat à avoir formulé une offre. Celle-ci devrait aboutir à 131 licenciements sur les 309 salariés des deux sites de Valdunes : la forge de Leffrinckoucke (à côté de Dunkerque) et l'usine de Trith-Saint-Léger (près de Valenciennes).

Le ministre de l'Industrie a rappelé ce mercredi qu'il se battrait pour « qu'une offre de reclassement ou de formation soit proposée à chaque salarié non repris ». Confirmant une promesse déjà formulée fin février, sur une prise en charge de ces employés par une « cellule d'accompagnement et d'appui ». Celle-ci doit « permettre à chaque salarié qui part de faire un bilan de compétences et de voir si des formations sont nécessaires » avant « une mise en relation avec les entreprises du Valenciennois et du Dunkerquois qui recrutent ».

« L'État sera à leurs côtés et leur apportera un soutien tout particulier jusqu'à ce que chacun ait retrouvé une solution », avait assuré Roland Lescure le mois dernier.

Des millions apportés par l'État

L'opération serait impossible sans le soutien du gouvernement, très impliqué dans le dossier. Et pour cause, Europlasma présente un chiffre d'affaires de 14,5 millions d'euros, contre 68,4 millions pour le fabricant historique de roues et d'essieux de trains, de métros et de tramways. Le président, Emmanuel Macron, avait promis en mai dernier dans La Voix du Nord qu'il se battrait sur un dossier érigé en symbole de la souveraineté industrielle du pays, « jusqu'au dernier quart d'heure pour Valdunes », dans un contexte de relance annoncée du ferroviaire.

Ce qui a abouti à un financement du projet d'un montant total de 35 millions d'euros, dont 30 millions d'investissements, se répartissant entre fonds publics et privés. Selon Bercy, le groupe apportera ainsi 15 millions de fonds propres sur trois ans suite à cette reprise. L'État, lui, mettra sur la table jusqu'à 15 millions sous forme de prêt et les collectivités locales jusqu'à 4 millions de financement du foncier et un million de subventions.

« Ce qui est important, ce n'est pas de savoir si David rachète Goliath, c'est de savoir si on est capable d'apporter quelque chose de suffisamment structurant pour que Goliath redevienne Goliath », a expliqué le PDG d'Europlasma, Jérôme Garnache, à la sortie d'une audience devant le tribunal de commerce fin février.

« Si on n'avait pas cette certitude d'être capable de le faire, on n'en serait pas là », a-t-il insisté.

Il a toutefois reconnu que « le retournement de Valdunes (devait) être très rapide » parce qu'Europlasma n'est pas à même de supporter « 10-12 millions de déficit chaque année ».  Le projet de reprise mise sur un quasi-équilibre en 2024, puis l'équilibre en 2025.

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Prudence chez les salariés

Europlasma entend « transformer le modèle économique » de Valdunes pour « produire, à partir d'acier vert et d'énergie verte, des roues vertes ».

« Nous serons les seuls sur le marché à proposer des roues vertes pour les trains. C'est une industrie très énergivore et très polluante. Nous allons donc miser sur des synergies énergétiques au sein de notre groupe pour atteindre nos ambitions », précise auprès de La Tribune Jérôme Garnache-Creuillot.

Le repreneur entend notamment utiliser sa technologie de torche à plasma. Pour rappel, celle-ci permet de monter jusqu'à 10.000 degrés à l'aide d'électricité uniquement. Objectif, moderniser la chaîne de production de Valdunes.

« Il faut vraiment que l'État soit là pour surveiller les investissements », prévient le secrétaire CGT du CSE, Maxime Savaux.

« Si ça se passe comme aux Forges de Tarbes (rachetées en 2021 par Europlasma, ndlr) où ils ont promis des investissements et ils ne les font apparemment pas, ça va être compliqué, mais il faut aussi laisser sa chance à Europlasma », considère-t-il.

Effectivement, Europlasma a repris les Forges de Tarbes en 2021, au moment où cette société était en grande difficulté. Mais la guerre en Ukraine a redonné (malheureusement) un second souffle à cette entité spécialisée dans la production de corps d'obus de 155 mm conformes aux standards de l'Otan.

Les Forges de Tarbes projettent de produire 160.000 corps d'obus par an dès 2025. Une ambition à laquelle n'adhère pas la CGT, principale force syndicale de l'usine, qui mène un bras de fer avec sa direction depuis plusieurs mois sur la nécessité d'une modernisation de l'outil de production. En 2021, lors de la reprise, Europlasma a promis un plan d'investissement de 12,3 millions d'euros sur trois, mais celui-ci a mis du temps à se mettre en place.

« Le plan d'investissement a été validé par la DGA en août 2023 seulement. Après cela, il a fallu établir un cahier des charges technique très exigeant, faire le design des machines et publier les appels d'offres, avant de choisir les fournisseurs, ce qui est fait désormais. Des machines sont arrivées, d'autres vont arriver et nous allons avancer. Mais transformer une usine en six mois, c'est impossible, je n'ai pas une baguette magique. Il faut avoir conscience que nous avons récupéré un outil de production complètement flingué ! », se défend le PDG, Jérôme Garnache-Creuillot, dans les colonnes de La Tribune ce mercredi matin.

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Seulement, ce dossier a donné quelques sueurs froides au gouvernement ces derniers jours, après l'annonce de l'arrêt des approvisionnements en matière première du site, la direction invoquant en partie des raisons de trésorerie. La Direction générale de l'armement s'est rendue sur place et le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, est aussi attendu sur site.

Fin de presque un an de flou

Reste que cette offre de reprise ne fait pas l'unanimité chez tous les salariés. « Avant les Chinois, c'était les Allemands : cette entreprise s'est fait piller, siphonner, pour en arriver à la situation d'aujourd'hui où on aurait un soi-disant bienfaiteur », s'agace le responsable de la CGT Métallurgie du Nord-Pas-de-Calais, Ludovic Bouvier, soulignant qu'Europlasma va toucher « plus que son chiffre d'affaires en subventions », tandis que nombre de salariés vont rester sur le carreau.

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Si Valdunes s'est retrouvé dans cette situation, c'est car son unique actionnaire - le groupe chinois MA Steel, qui l'avait repris à l'issue d'un redressement judiciaire en 2014 - a annoncé en mai dernier qu'il n'injecterait plus d'argent dans l'entreprise. Six mois plus tard, le fabricant de roues a été de nouveau placé en redressement judiciaire. Il a alors fallu chercher un repreneur pour ses deux sites, ce qui n'a pas été une mince affaire. Europlasma s'est en effet d'abord positionné uniquement sur la forge, avant de finalement faire une proposition comprenant aussi l'usine.

La CGT avait appelé de ses vœux la reprise de Valdunes par Alstom, si besoin au sein d'un consortium l'associant à la SNCF et à la RATP. Une solution rejetée par Bercy car l'entreprise devait produire au moins 80.000 roues par an pour être rentable, soit deux fois plus que les besoins du marché français. La SNCF et Alstom, deux gros clients historiques de Valdunes, se sont par contre dits prêts à « jouer leur rôle d'acheteurs responsables » mais pas à devenir actionnaires majoritaires, indiquait alors le ministère de l'Industrie. Suscitant le courroux de la CGT, qui dénonçait il y a quelques mois le fait que la SNCF ait « progressivement détourné ses commandes vers la concurrence européenne », ce qui a contribué à mettre à mal l'équipementier français. Une nouvelle ère l'attend désormais.

(Avec AFP)