Il y a quelques jours, Jean-Pierre Farandou prévenait que les résultats de la SNCF seraient en baisse par rapport à la très bonne année 2022. Le PDG du groupe se montrait très mesuré à la sortie d'un épisode de grève des contrôleurs en pleine période de vacances. De quoi marquer un coup d'arrêt après la remontée en puissance amorcée depuis deux ans ou même de réviser la stratégie mise en place depuis la grande réforme ferroviaire de 2018 ? Non, bien au contraire, à en croire le patron du groupe SNCF et son directeur financier, Laurent Trevisani.
S'il est indéniable que les résultats sont moins bons qu'en 2022, ils sont loin d'être négatifs. Avec un ton qui tranche avec celui de son entretien accordé au Monde la semaine dernière, Jean-Pierre Farandou s'est félicité de cette année 2023, marquée par « deux bonnes nouvelles ». Et ce, en dépit d'un environnement macro-économique plutôt compliqué, qui conjuguait faible croissance du PIB, stagnation de la consommation des ménages et inflation encore conséquente.
« Le groupe est dans le vert pour la troisième année consécutive. Cela signifie quelque chose en matière de sérieux, de résilience, de solidité dans nos activités. Et c'est une bonne nouvelle que le groupe SNCF gagne de l'argent. Certains ne sont pas habitués, s'étonnent, mais le groupe SNCF est un groupe solide, industriel, international, varié pour la mobilité, le fret, les voyageurs et il gagne de l'argent. Et c'est une bonne nouvelle pour les Français à qui cet argent sert largement, car nous réinvestissons quasiment tout dans le ferroviaire en achetant des TGV, en construisant de nouveaux ateliers, en soutenant l'effort de modernisation et de régénération d'infrastructures, en rénovant des gares... C'est au bénéfice de tous, des Français, des territoires et de la planète », s'est réjouit le PDG du groupe SNCF.
Un bénéfice de plus d'un milliard d'euros
Dans le détail, seul le résultat net bat véritablement de l'aile. Il chute presque de moitié sous l'effet conjugué d'éléments non récurrents, comme des cessions moins importantes que l'année précédente, mais aussi de provisions pour absorber les augmentations de salaires et la hausse des taux d'intérêts. Mais, avec 1,3 milliard d'euros de bénéfice net, la SNCF réalise une performance largement supérieure à ce qu'elle pouvait connaître avant la crise.
Pour Laurent Trevisani, ce résultat n'est, avant tout, pas représentatif de la performance opérationnelle du groupe. Celle-ci apparaît comme largement favorable, avec une légère hausse du chiffre d'affaires, et surtout, plus de 6,4 milliards d'euros d'Ebitda (bénéfices avant intérêts, impôts, dépréciations et amortissements). C'est certes un léger recul - de moins de 3% - par rapport au record de 2022, mais sa marge opérationnelle est tout de même de plus de 15%. Le directeur financier du groupe souligne l'importance du plan de performances. Il a en effet généré des économies de l'ordre de 700 millions d'euros, au-delà de l'objectif prévu. Et la SNCF se plaît à rappeler que sans les grèves pour la réforme des retraites qui ont impacté le premier trimestre, elle aurait sans doute fait mieux qu'en 2022.
Dernier indicateur de poids, le flux de trésorerie disponible est non seulement largement positif à 2,5 milliards d'euros, mais aussi en forte progression : il double par rapport à 2022. Et ce, malgré des investissements repartis à la hausse après un petit fléchissement l'année précédente, et qui doivent encore s'accélérer en 2024.
Farandou valide sa stratégie et la réforme
Pour Jean-Pierre Farandou comme Laurent Trevisani, si la SNCF en est là aujourd'hui, c'est avant tout grâce à la stratégie mise en place suite à la crise sanitaire et découlant directement de la réforme ferroviaire de 2018. Cette dernière avait acté la transformation du groupe en société anonyme, avec des objectifs de rentabilité financière en échange de la reprise d'une large part de son énorme dette.
« Nous avons une performance opérationnelle 2023 tout à fait comparable à 2022. C'est pour cela que nous considérons avoir un résultat 2023 tout à fait satisfaisant. Il est bénéficiaire pour la troisième année consécutive, et c'est la démonstration que la réforme de 2018 marche », se félicite Laurent Trevisani.
Le directeur financier souligne ainsi le fait que cette réforme a établi une solidarité financière entre les différentes branches du groupe, lui permettant de jongler alternativement sur ses deux piliers : le transport de passagers d'un côté, et les filiales Keolis et Geodis de l'autre, chacune répondant à des cycles économiques différents. Le groupe y croit dans tous les cas, au point de l'inscrire au cœur de son nouveau plan stratégique, approuvé en décembre dernier et qui doit l'emmener jusqu'en 2032. Jean-Pierre Farandou s'est félicité de cet alignement entre l'actionnaire, c'est-à-dire l'Etat français, et la stratégie mise en place par la direction du groupe depuis quatre ans.
SNCF Voyageurs continue d'engranger
Dans cet exercice d'équilibriste, la grosse performance de l'année 2023 est à mettre à l'actif de l'attractivité du train : la fréquentation augmente sur tous les segments, du TER au TGV. Ce dernier a transporté 156 millions de passagers l'an dernier (dont 122 millions en France), un record. Et ce, malgré l'impact des grèves en début d'année. Avec l'effet levier de la hausse des tarifs, cela permet au chiffre d'affaires d'augmenter de plus de 10% et dépasser les 19 milliards d'euros.
Le bouclier tarifaire mis en place l'an dernier sur le TGV a tout de même limité cet effet, avec une hausse moyenne des prix des billets limitée à 5% plus faible que la hausse des coûts. D'où un niveau de rentabilité en légère baisse. Jean-Pierre Farandou ne manque pas de rappeler que c'est la « deuxième année consécutive que nous n'augmentons pas les prix à la même hauteur que la hausse des coûts », expliquant que 2022 avait été marqué par la hausse des prix de l'électricité, tandis qu'il a fallu faire face à la hausse des péages en 2023. Comme annoncé par Clément Beaune, ancien ministre chargé des Transports, avant son départ, les tarifs seront gelés en 2024 sur Ouigo et les trains d'équilibre du territoire, tandis que la hausse sera limitée à 2,6% sur TGV Inoui.
Ce bouclier n'a pas empêché SNCF Voyageurs d'engranger près de la moitié des revenus du groupe et plus du tiers de ses bénéfices opérationnels. « C'est la locomotive du groupe en 2023 », souligne Laurent Trevisani, s'excusant au passage du jeu de mots.
Retour sur terre pour Geodis
Mais si l'opérateur ferroviaire a pris une telle importance, c'est aussi parce que la deuxième jambe du groupe a ralenti. Geodis, dont les activités (par bateaux, avions et camions) ont fait les beaux jours de la SNCF pendant les années Covid, fait face à un environnement bien plus complexe aujourd'hui avec un ralentissement économique comme le pointe Laurent Trevisani. Comme pour l'ensemble du secteur de la logistique, le discours officiel fait état d'un retour à la normale après deux années exceptionnelles et au prix d'avant la crise, mais l'impact est tout de même sévère. Marquée par la baisse des volumes et la chute des prix, la filiale du groupe a vu plus de 20% de son chiffre d'affaires disparaître en un an à périmètre et change constants.
Pour autant, Geodis semble avoir plutôt bien anticipé ce retournement de conjoncture : l'entreprise a maintenu son bénéfice opérationnel, engrangeant ainsi encore plus de 1,1 milliard d'euros au passage, et par conséquent, elle a amélioré sa marge sensiblement. Elle dégage également un flux de trésorerie libre positif, indique le directeur financier.
De quoi valider la stratégie de diversification sur le plan géographique comme sur celui des activités, portée par sa PDG, Marie-Christine Lombard. Une stratégie illustrée en 2023 par le rachat de la société spécialisée dans le transport pharmaceutique Trans-o-flex en Allemagne, où Geodis était jusqu'ici peu implantée.
La situation est moins reluisante dans le fret ferroviaire avec un Rail Logistics Europe qui perd en chiffre d'affaires et surtout en rentabilité. Un recul dû en grande partie à Fret SNCF avec une situation industrielle complexe et les premiers effets de la discontinuité imposée par Bruxelles. Celle-ci va conduire au découpage de l'activité cette année, avec l'abandon de 20% de son activité au profit de la concurrence. 15 des 23 lignes concernées ont d'ores et déjà été transférées au 1er janvier, les autres suivront au 1er juillet.
Dépenses à venir
Avoir de multiples sources de profits ne sera sans doute pas de trop, au vu des défis que devra mener le groupe dans cette décennie, à commencer par la régénération et la modernisation du réseau ferré trop longtemps délaissé. La SNCF va ainsi largement contribuer à l'effort supplémentaire nécessaire pour la remise à niveau du réseau, dans le cadre du plan de 100 milliards d'euros jusqu'en 2040 décidé (mais pas financé) par le gouvernement. Elle a versé ainsi 1 milliard d'euros à cet effet au travers de son fonds de concours (en accord avec l'Etat, le groupe verse automatiquement 60% de ses bénéfices à ce fonds). Cette participation devrait atteindre 1,7 milliard d'euros l'an prochain.
Le groupe devra aussi financer sa transition écologique, l'achat de nouveaux matériels dont les TGV M ou « Inoui 2025 ». Jean-Pierre Farandou a confirmé les retards d'Alstom avec des livraisons qui ne débuteront pas avant l'été 2025, comme l'indiquait La Tribune il y a quelques mois. Il faudra aussi financer les évolutions salariales qui ne manqueront pas, même si le patron de la SNCF entend désormais les anticiper et éviter les conflits à travers la « plateforme de progrès social ».
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