Le Roux tacle l'Etat-actionnaire sur sa vision du transport aérien (bataille ADP/Air France sur les redevances)

Par Fabrice Gliszczynski  |   |  1105  mots
Auteur d'un rapport pour sauver le pavillon français, Bruno Le Roux, président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, demande un pacte entre les compagnies et ADP pour baisser le montant des redevances aéroportuaires. Il a qualifié de "grossiers" les arguments de l'agence des participations de l'Etat, plus encline à défendre ADP que les compagnies.

En prenant jeudi dernier la parole devant l'association des journalistes professionnels de l'aéronautique et de l'espace (AJPAE), Bruno Le Roux avait prévenu: « il parlera cash». Le président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, auteur d'un rapport pour sauver le transport aérien français - remis à Manuel Valls l'automne dernier -, a tenu ses promesses. Après avoir rapidement obtenu du gouvernement la suppression de la taxe d'aviation civile qui pesait sur les passagers en correspondance, il œuvre désormais pou faire adopter une autre de ses propositions : la baisse  des redevances aéroportuaires payées par les compagnies aériennes. En particulier dans les aéroports de Roissy et d'Orly, gérés par Aéroports de Paris (ADP). « C'est le débat le plus important aujourd'hui », assure-t-il.

Discussion sur le sujet avec Manuel Valls ce week-end

Alors que l'Etat doit signer en juillet un nouveau contrat de régulation économique (CRE) avec ADP (2016-2020) qui définira le niveau des investissements prévus pour cinq ans et celui des redevances prévues pour les financer, Bruno Le Roux cherche à faire entendre sa voix.

Après avoir déjà adressé un courrier à Manuel Valls pour lui rappeler l'importance de ce CRE pour les compagnies aériennes, Bruno Le Roux a l'intention d'aborder à nouveau le sujet ce week-end avec le Premier ministre, à son retour de Pologne.

«J'essaye de convaincre que ce n'est pas une question simplement conjoncturelle mais que c'est au contraire une mesure structurelle qui doit rentrer dans un cadre global », a-t-il expliqué.

 Pacte d'intérêt

Bruno Le Roux souhaite un pacte d'intérêt entre les différents acteurs pour baisser les montant des redevances aéroportuaires comme le demandent les compagnies aériennes. Toutes sont d'ailleurs sur la même longue. La fédération nationale de l'aviation marchande (Fnam) réclame une baisse de 2,5% par an, le Scara (le syndicat des compagnies aériennes autonomes) de 4,6%, l'association internationale du transport aérien (Iata) de 7%, tandis qu'Air France plaide pour une réduction de 3,6% hors inflation. Des exigences aux antipodes de celles d'ADP qui propose une hausse des redevances à 1,75% par an (hors inflation). Cette majoration est la plus modérée jamais proposée par ADP, alors que l'enveloppe d'investissement prévue dépasse les 3 milliards d'euros sur cinq ans.

Pour ADP, ces investissements permettront aux compagnies de baisser leurs coûts et d'améliorer leur productivité. Notamment Air France, le principal client.

Les confrontations entre l'Etat régulateur et l'Etat actionnaire

Pour autant, aux yeux de Bruno Le Roux, ces propositions témoignent qu'ADP n'a pas intégré cette notion de pacte. L'Etat non plus, ajoute-t-il, en raison des éternelles « confrontations entre l'Etat régulateur et l'Etat actionnaire ». L'Etat possède plus de 50% du capital d'ADP qui lui reverse 60% de ses bénéfices mais aussi d'Air France-KLM (15,7%) qui ne lui a pas versé un centime depuis des lustres.

 « S'il y a une clarté que je sens, c'est plutôt celle de dire à ADP de continuer à servir des dividendes. Pour l'Etat, je ne pense pas que ce soit la stratégie la plus profitable à long terme aujourd'hui. Il y aurait un danger à ce que ce soit l'Etat-actionnaire qui gagne. Ce serait une vision à court terme. Je ne pense pas qu'il puisse y avoir demain une perte de compétitivité du pavillon français sans qu'il y ait de conséquences sur tous les acteurs de la chaîne», a-t-il ainsi déclaré.

Caisse unique contre double caisse

Bruno Le Roux va plus loin. Sans pacte sur une baisse des redevances, il proposera de toucher à leur mode de calcul et donc au système de « double caisse », lequel est fortement contesté par les transporteurs aériens. Les compagnies exigent le retour à une « caisse unique », c'est-à-dire de regrouper celle liée aux services aéronautiques (qui fait partie du périmètre régulé) avec la caisse des services extra-aéronautiques (commerces, restaurants, parkings, immobilier) sur lesquels ADP a la liberté de fixer les prix, dégageant ainsi de fortes marges.

L'exemple de la SNCF

Présent dans la quasi-totalité des aéroports mondiaux, ce système de caisse unique permet de subventionner les services aéronautiques par les recettes commerciales, et donc de les modérer. Néanmoins, selon nos informations, un retour brutal à la caisse unique ne semble pas à l'ordre du jour pour le gouvernement. D'autres moyens, comme le transfert dans la partie régulée d'une partie du résultat d'exploitation de la caisse non régulée sont examinées. Un peu à la manière de Gares & Connexions (SNCF), qui reverse 50% de son résultat d'exploitation. Air France préconiserait ce système. Il permettrait de réduire les redevances d'ADP de 2,6% selon les calculs de la compagnie. Pour l'anecdote, Gares & Connexions souhaite la mise en place d'un contrat de régulation économique pluriannuel semblable à celui du transport aérien pour la régulation de ses activités.

Les craintes de l'APE pour la capitalisation boursière d'ADP

De sont côté, l'agence des participations de l'Etat (APE) fronce les sourcils. Pour elle, un retour à un tel système de « caisse unique » aurait des conséquences négatives sur la capitalisation boursière d'ADP.

«Nous ne souhaitons pas sacrifier ADP. Aéroports de Paris pourrait maintenir ses excellents résultats avec un retour à la caisse unique et une baisse des redevances. D'autres aéroports l'ont fait», explique Alain Battisti, le président de la Fnam, citant la baisse de 5% des redevances à l'aéroport d'Amsterdam.

 Les arguments de l'APE ne sont pas du goût de Bruno Le Roux.

 «Je trouve que les arguments avancés par l'APE sont tellement grossiers. Je n'ai jamais eu l'explication sur quelles seraient la conséquence sur une entreprise comme ADP d'un problème industriel pour Air France. J'ai l'impression que cela ne fait pas partie des scénarios envisagés. La perte en valeur serait tout sauf anodine pour ADP», fait-il valoir.

Si Bruno Le Roux est convaincu qu'Air France ne disparaîtra pas, il pense en revanche que, si elle ne redresse pas sa situation, son capital peut se modifier radicalement.

« La question qui se pose, si la compagnie à des difficultés, n'est pas tant de savoir s'il y aura des avions Air France mais pour qui ils voleront et pour quels intérêts. Je pense qu'il est de l'intérêt de la France que des compagnies volent pour relier la France au reste du monde. C'est l'un de nos outils de souveraineté».

Lire ici : Entre ADP et Air France, l'Etat devra trancher