Agriculture décarbonée : 469.000 emplois pourraient être créés d'ici 2050

Par latribune.fr  |   |  1095  mots
La généralisation des pratiques agroécologiques, supprimant mécanisation excessive et usages des intrants chimiques, nécessitera plus de main d’œuvre dans les champs. (Crédits : Pixabay License)
La transformation d'un modèle productif agricole vers un système décarboné pourrait générer la création de 469.000 emplois nets d'ici 2050, estime The Shift Project dans un rapport intermédiaire. Dans le détail, cette révolution, tirée par le changement des habitudes de consommation et la relocalisation, engendrerait 541.000 postes nouveaux pour la production (fermier, employés agricoles) tandis que les industries agro-alimentaires verraient leurs effectifs fondre de plus de 60.000 postes. Mais de nombreux freins, notamment au niveau du financement, ralentissent les transformations d'un secteur fortement émetteur de CO2.

C'est un chiffre massue qui pourrait bien donner envie aux responsables économiques et politiques d'accélérer la transition alimentaire. Selon le rapport intermédiaire du Shift Project intitulé "l'emploi : moteur de la transformation bas carbone", publié mi-septembre, le cabinet de conseils estime que la mutation du modèle agricole français vers un modèle décarboné, pourrait générer la création nette de 469.000 emplois équivalent temps plein (ETP) d'ici 2050. Ce rapport s'inscrit dans le projet au long court du think thank, qui souhaite proposer aux responsables un "Plan de transformation de l'économie française" pour décarboner les activités économiques du pays.

Alors que le secteur employait 1.4 million de travailleurs en 2016, les auteurs du Shift Project estiment qu'ils seront 1.9 million d'ici 2050 après la transformation du système de production agricole. Le périmètre de l'étude prend en compte la production agricole, l'amont de la filière (fournitures d'intrants et de services), la transformation des produits (industries agroalimentaires et artisanat commercial, boulangerie, pâtisserie et charcuterie), le commerce de gros et le négoce de produits alimentaires. Les activités de transport de produits alimentaires réalisées par des entreprises spécialisées dans le fret et la logistique sont en revanche exclues du périmètre.

Agroécologie et relocalisation

Ces créations d'emplois seront liées à l'évolution de l'offre alimentaire et de la consommation. Cela passe notamment par une baisse de la consommation de viande et un effort significatif pour réduire le gaspillage. Surtout, à l'heure des débats sur la souveraineté alimentaire, la relocalisation des chaînes de production alimentaire, de la production à la transformation, sera un élément moteur de la dynamique de l'emploi. Est également intégré aux simulations "l'évolution géographique de la répartition des productions du fait du réchauffement" climatique", expliquent les auteurs de l'étude, qui précisent :

L'impact emploi de ces transformations sera le plus significatif parmi les secteurs étudiés. La relocalisation du maraîchage, la diffusion des pratiques agroécologiques et la re-territorialisation de la transformation et de la distribution impliquent d'inverser la tendance de l'emploi agricole : il s'agit presque de le doubler sur les trente prochaines années, alors même qu'il a été divisé par deux durant les trente dernières.

Dans le détail, la production agricole verrait ses effectifs passer de 710.000 à 1,2 million, soit une hausse de 541.000 ETP, entre 2016 et 2050. Le groupe estime que la généralisation des pratiques agroécologiques nécessiteront un besoin en main d'œuvre très important, du fait de la moindre utilisation des outils mécanisés et de la disparition des intrants chimiques dans les exploitations. Par ailleurs, The Shift Project défend une hypothèse d'augmentation des emplois liée à la nécessaire diversification des fermes. "La relocalisation des circuits de distribution et la recherche d'une meilleure valeur
ajoutée poussent les agriculteurs à développer les activités de transformation à la ferme et la commercialisation en vente directe", détaillent les auteurs.

Des milliers de ferme en plus

Cette augmentation massive d'emploi sera tirée par l'installation de 75.000 fermes supplémentaires d'ici l'échéance de la transformation. L'agriculture française compte aujourd'hui 436 000 fermes. Les auteurs précisent s'appuyer "sur le scénario « idéal » du plaidoyer Fermes d'Avenir (2016) qui considère que produire sur le territoire l'ensemble des fruits et légumes consommés par les Français - en prenant en compte l'évolution vers un régime plus végétal - nécessiterait la création de 100 000 fermes de maraîchage diversifié de 2 ha employant en moyenne 4 ETP. "

L'artisanat commercial, qui regroupe les boulangers-pâtissiers ou boucher-charcutiers et les métiers de bouche - serait le second segment qui verra ses effectifs augmenter. Ils passeront à 210.000 d'ici 2050, contre 195.000 en 2016, soit une légère hausse de 15.000 ETP. "Nous faisons l'hypothèse d'une augmentation de 10 % en boulangerie-pâtisserie et d'une diminution de 20 % en boucherie-charcuterie", précise le rapport intermédiaire.

L'industrie agro-alimentaire touchée de plein fouet

Toutefois, la transformation de l'agriculture vers un mode de production décarboné entraînerait des suppressions d'emplois. Les industries agro-alimentaires verraient leurs effectifs fondre. Au total, 60.000 postes seraient supprimés. Dans le détail, le segment transformation viandes et préparations viandes serait le plus impacté, avec une perte de 67%, pour s'établir en 2050 à 34.280 ETP, contre 98.930 en 2016. Le secteur de la fabrication produits laitiers verrait également ses effectifs chuter de 33%, à 39.380 en 2050, prévoit l'étude.

Enfin, le secteur de la fourniture d'intrants et de services devrait supprimer 19.000 emplois, pour employer 7.000 ETP en 2050, alors que le commerce de gros et négoce verrait ses effectifs perdre 19.000 unités, pour s'établir à 174.000

 Cette profonde mutation n'est pas sans poser de nombreux problèmes afin de pourvoir les postes qui seront disponibles demain, selon ces estimations.

"Cette demande de main-d'œuvre agricole arrive dans un contexte historique d'une diminution régulière du nombre d'actifs agricoles : attirer une main-d'œuvre en nombre est donc un enjeu de taille, soulignent les auteurs. Les enjeux que pose la démographie actuelle des emplois dans la production agricole vont  à rebours des orientations nécessaires indiquées ici. Il s'agit notamment du vieillissement et  du défi posé par les départs en retraite anticipés dans les 5-10 prochaines années.

Répondre aux problèmes de transmission des exploitations

A ce titre, la transmission des exploitations agricoles et les moyens alloués aux nouveaux exploitants seront des facteurs cruciaux pour répondre à ces besoins. En effet, il existe déjà aujourd'hui une pénurie de repreneurs et par conséquent, une concentration des sites de production, un mouvement qui ne serait pas compatible avec la mutation vers un modèle décarboné.

Reste que ces prévisions s'inscrivent dans un contexte difficile pour les acteurs du secteur agricole qui veulent transformer leur modèle de production vers des pratiques moins émettrice de CO2. Les financements français manquent cruellement, et le plan de soutien annoncé par Emmanuel Macron dans le cadre de France 2030, d'un montant de 2 milliards d'euros, ne permettra pas de combler les besoins. Du modèle économique encore balbutiant - l'appel de Biolait aux consommateurs illustrent les problèmes de débouchés - aux manques de données structurées qui perturbent les études de marché, les freins sont réels. Autant d'éléments qui pourraient perturber la création d'emplois en dépit de nombreux projets prêt à décoller.

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