Jamais le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) n'avait autant parlé du méthane (CH4), le deuxième gaz à effet de serre en termes d'abondance, après le dioxyde de carbone (CO2). Dans son dernier rapport, publié le 9 août dernier, le groupe de scientifiques tire la sonnette d'alarme : si les émissions de méthane ne sont pas réduites, cela pourrait saper les objectifs de l'Accord de Paris. Autrement dit, la seule réduction des émissions de CO2 ne suffira pas à maintenir le réchauffement climatique en dessous de 1,5°C.
Largement négligée dans les politiques de lutte contre le dérèglement climatique, la réduction des émissions de méthane apparaît aujourd'hui comme cruciale car ce gaz contribue désormais à environ 25% du réchauffement climatique. S'il est moins abondant que le CO2 et qu'il reste moins longtemps dans l'atmosphère (environ 9 mois), son pouvoir de réchauffement est beaucoup plus élevé que celui du dioxyde de carbone. Le Giec estime ainsi que l'impact d'une unité de masse de méthane sur le climat est 84 fois supérieur à celui du CO2 sur une durée de 20 ans. Sur une période de 100 ans, l'impact du méthane reste 28 fois plus élevé que celui du CO2. Une caractéristique qui explique l'inquiétude des scientifiques et l'urgence de diminuer les émissions de méthane, en forte croissance ces dernières années.
Agriculture, énergies fossiles, déchets... Trois grands secteurs en cause
En effet, selon les calculs du consortium Global Carbon Project, les émissions de méthane se sont élevées à près de 600 millions de tonnes en 2017, soit 50 millions de plus que durant la période 2000-2006, au cours de laquelle les concentrations de CH4 étaient relativement stables dans l'atmosphère. Aujourd'hui, les concentrations de CH4 atteignent plus de deux fois et demi le niveau préindustriel. Elles sont au plus haut depuis 800.000 ans, soulignent les experts du Giec.
D'où viennent ces émissions ? 40% d'entre elles sont d'origine naturelle. Elles proviennent alors de zones humides, comme les lacs et les rivières, dans lesquelles des bactéries dégradent de la matière organique dans un milieu pauvre en oxygène. Mais 60% des émissions sont issues des activités humaines. On parle alors de rejets anthropiques. Trois secteurs sont responsables de la quasi-totalité de ces émissions anthropiques : l'agriculture, les énergies fossiles et la gestion des déchets.
Dans le détail, près d'un tiers (32 %) des émissions de méthane d'origine agricole proviennent de la production animale via les phénomènes de fermentation lors du processus de digestion du bétail. L'élevage des bovins est particulièrement mis en cause. L'estomac des vaches digère facilement le fourrage et la cellulose, mais elles émettent de grandes quantités de méthane en rotant. L'extraction, le traitement et la distribution du pétrole et du gaz représentent quant à eux 23% des émissions de méthane dans le secteur des énergies fossiles, tandis que l'extraction du charbon pèse pour 12%. Enfin, les décharges et les eaux usées représentent 20% des émissions de méthane dans le secteur des déchets.
L'industrie pétrolière et gazière sommée d'agir
Selon le dernier rapport du programme pour l'environnement de l'ONU (Unep), l'industrie des énergies fossiles présente le plus grand potentiel de réduction des émissions de méthane d'ici à 2030. Le principal enjeu consiste pour les industriels à mieux détecter et réparer les fuites de méthane issues de leurs exploitations gazières et pétrolières.
D'après les estimations de l'ONU, jusqu'à 80% des mesures d'atténuation dans le secteur du pétrole et du gaz pourraient être mises en œuvre à un coût très faible, voire négatif. Pourtant, les efforts des géants du secteur (comme TotalEnergies qui participe au programme Oil & Gas Methane Partnership) pour réduire ces émissions ne sont pas à la hauteur de l'urgence climatique. Ainsi, selon le dernier baromètre de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), les exploitations pétrolières et gazières dans le monde, ont émis 80 millions de tonnes de méthane dans l'atmosphère en 2019, contre 62 millions de tonnes en 2000.
"La réduction des émissions de méthane est un moyen puissant et rentable d'agir sur le changement climatique. Elle constitue un complément essentiel aux mesures de réduction des émissions de CO2, estime l'AIE dans son rapport. Étant donné que le pétrole et le gaz continueront à faire partie du mix énergétique pendant des années, même dans le cadre de transitions rapides vers des énergies propres, il est crucial que l'industrie pétrolière et gazière soit proactive pour limiter, par tous les moyens possibles, l'impact environnemental de son approvisionnement", insiste l'agence internationale.
Des résultats rapides et à faibles coûts
Selon l'AIE, en 2020, 10% des fuites auraient pu être évitées sans coût net, car la valeur du méthane capté aurait suffit pour couvrir le coût de la mesure d'atténuation. Cette part est plus faible que celle des années précédentes en raison des prix du gaz exceptionnellement bas en 2020.
Aujourd'hui, les majors pétrolières utilisent essentiellement des satellites pour identifier les fuites de méthane dans leurs exploitations. Ces derniers ne couvrent toutefois pas certaines zones, comme les régions équatoriales, nordiques ou encore les opérations en mer. Mais "l'absence d'informations parfaites ne doit pas empêcher de progresser dans l'introduction de mesures de réduction", estime l'AIE.
Si le potentiel de réduction est le plus important dans l'industrie pétrolière et gazière, des actions de réduction sont aussi nécessaires dans les secteurs de l'agriculture et des déchets pour atteindre l'objectif de l'Accord de Paris. Il s'agit par exemple de procéder à des changements dans l'alimentation du bétail, de valoriser le fumier ou encore d'améliorer la gestion des déchets solides en séparant les déchets biodégradables.
Toujours selon le dernier rapport de l'Unep, la réduction du méthane dans ces trois grands secteurs permettrait de réduire les émissions humaines de méthane de 45 % d'ici à 2030. De quoi éviter un réchauffement de 0,3°C à l'horizon 2040, mais aussi 255.000 décès prématurés chaque année.
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