Agriculture : le plan climat du ministère ne convainc pas

Le ministère de l'Agriculture a publié mercredi son plan d'action climat, qui doit montrer que ses décisions sont en accord avec les objectifs nationaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Mais des associations dénoncent un agrégat de politiques non nouvelles, qui ne permettront pas de diviser par deux les émissions du secteur.
Marine Godelier
Pour développer des pratiques moins polluantes, le plan s'attaque entre autres à l'accroissement des surfaces en agriculture biologique et à l'utilisation d'engrais azotés.
Pour développer des pratiques moins polluantes, le plan s'attaque entre autres à l'accroissement des surfaces en agriculture biologique et à l'utilisation d'engrais azotés. (Crédits : Pascal Rossignol)

Le calendrier s'accélère. A l'heure où les négociations sur la prochaine Politique Agricole Commune (PAC) reprennent à Bruxelles, l'examen de la proposition de loi sur la juste rémunération des agriculteurs a débuté ce jeudi à l'Assemblée nationale, au lendemain du vote par les sénateurs du volet « se nourrir » de la loi Climat - le tout dans un contexte de discussions sur la souveraineté alimentaire, et de demande d'instauration de « clauses miroirs » dans les accords commerciaux...Pas de doute : le modèle agro-alimentaire se trouve à un tournant majeur, à la recherche de son avenir dans la transition écologique en cours. Mais si des efforts sont menés en la matière, force est de constater qu'ils sont insuffisants : la Cour des comptes européenne a publié lundi un rapport dans lequel elle estime que l'UE « a échoué à réduire les émissions de l'agriculture ».

Dans ce cadre tendu, le ministère de l'Agriculture a dévoilé mercredi son « plan d'action climat ». Le but : montrer, par une feuille de route détaillée, que ses décisions sont en accord avec la stratégie nationale bas carbone - alors qu'il est régulièrement taxé par les organisations environnementales de favoriser l'immobilisme. Une mission qui lui avait été confiée fin 2020 par le Premier ministre, Jean Castex, aux côtés des ministères de la Transition écologique, de l'Economie et des Finances, et de la Cohésion des territoires.

Pratiques moins polluantes

Car l'agriculture n'a d'autre choix que de faire sa part : si elle est l'une des premières victimes du dérèglement climatique, elle en reste aussi l'une des principales contributrices. Elle représente même le premier poste d'émissions de gaz à effet de serre de l'Hexagone, avec pas moins de 19% du total national. Une fois n'est pas coutume, le premier responsable n'est pas le dioxyde de carbone, mais plutôt le méthane - au pouvoir de réchauffement bien plus fort - principalement du fait de l'élevage. Mais aussi le protoxyde d'azote, dégagé lors de la culture des sols par certains types d'engrais.

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« Alors que la quasi-totalité de notre pays a été frappée par des violents épisodes de gel en avril dernier et que nous connaissons désormais chaque année de fortes périodes de sécheresse, le changement climatique est évidemment au cœur de nos préoccupations », affirme ainsi le ministre de l'Agriculture, Julien Denormandie, en introduction du plan climat.

Concrètement, la note défend, en plus de la séquestration carbone et du soutien à une consommation vertueuse, le développement de pratiques agricoles moins émettrices, notamment par l'utilisation des crédits du plan de relance.

Un « agrégat de politiques actuellement en place, sans rien de nouveau » a rapidement réagi le Réseau Action Climat, qui fédère des ONG. Celles-ci ne permettant pas « d'atteindre l'objectif de division par deux des émissions de gaz à effet de serre du secteur agricole », a alerté l'association dans un communiqué.

Redevance sur les engrais azotés

Le ministère se dit pourtant décidé à faire baisser l'utilisation d'engrais de synthèse, deuxième poste d'émissions de l'agriculture, en « réduisant les surplus azotés », et en « optimisant l'usage de fertilisants organiques ». A cet égard, il rappelle qu'un plan national d'action pour du matériel d'épandage moins émissif adopté en début d'année sera mis en œuvre jusqu'en 2025.

Un dispositif complété par la loi Climat, qui sera adoptée courant 2021 : celle-ci prévoit d'introduire, par décret, « une trajectoire annuelle de réduction des émissions de protoxyde d'azote et d'ammoniac du secteur agricole jusqu'en 2030 », ainsi qu'une redevance sur les engrais azotés minéraux si les objectifs annuels ne sont pas atteints. Mais selon le Réseau Action Climat, si le plan du ministère propose bien une réduction des émissions, il ne se dote en fait « d'aucun objectif de réduction de la consommation » d'engrais azotés de synthèse.

Surtout, la disposition proposée dans le projet de loi Climat n'est pas encore d'actualité. Car elle ne satisfait pas le Sénat, qui examine actuellement le texte. « C'est un ultimatum qui traduit encore une fois une méthode punitive plutôt qu'une méthode d'avenir, incitative et responsabilisante » a déclaré hier soir la rapporteure centriste Anne-Catherine Loisier. La Chambre haute a préféré un mécanisme alternatif : un plan « Eco-Azot » rassemblant des mesures d'accompagnement des agriculteurs pour réduire l'usage de ces engrais, sans redevance nationale.

La question épineuse du bio

Par ailleurs, pour développer des pratiques moins polluantes, le plan s'attaque à l'accroissement des surfaces en agriculture biologique. Il met en avant le Programme Ambition bio 2022, dont l'objectif est d'atteindre les 15% de surface cultivée en bio d'ici à cette date, et 20% dans la restauration collective publique. La loi Climat n'oublie pas non plus ce sujet : elle prévoit d'étendre cette obligation à la restauration collective privée deux ans plus tard.

Mais la promotion du bio « passe » aussi « par la PAC » précise le document - c'est même le dispositif clé en la matière, puisque la prochaine mouture s'étendra jusqu'en 2027. Dans ce cadre, « le ministre a annoncé que les moyens nécessaires seront là pour assurer un essor des surfaces en agriculture biologique, avec une enveloppe d'aide à la conversion en forte hausse », peut-on lire.

« Le Gouvernement a budgété une enveloppe dédiée à l'agriculture biologique de 340 millions d'euros par an en moyenne sur la période 2023-2027, soit un montant jamais atteint puisque jusqu'alors 250 millions d'euros par an au maximum y étaient consacrés, incluant les territoires où subsistaient l'aide au maintien », détaille le plan climat.

Alignement de labels

A la Fédération nationale de l'agriculture bio (FNAB), on dénonce pourtant une « absence de considération » du gouvernement dans la future PAC, « avec des arbitrages qui vont faire perdre à travers le nouvel éco-régime en moyenne 66% d'aides environnementales aux agriculteurs bio ». Le syndicat est allé jusqu'à lancer une campagne de dénonciation, #LaBioAPoil, et a mené des dizaines d'actions depuis quelques semaines dans toute la France. En cause, alerte son président : une hausse promise des aides à la conversion pour les agriculteurs qui veulent passer au bio, mais une réduction des aides aux exploitants déjà labellisés.

D'autant que le plan du ministère consiste aussi à « valoriser la conversion vers la certification Haute Valeur Environnementale (HVE) », un label d'agro-écologie moins contraignant que le bio. Concrètement, les labels Agriculture Biologique et Haute Valeur Environnementale 3 (HVE3) seront alignés dans le cadre de l'éco-régime de la future PAC - une aide aux exploitants pour rémunérer les pratiques les plus vertueuses pour la planète.

 « Le gouvernement nous a toujours dit que jamais nous ne serions mis au même niveau que la HVE. Notre seule erreur a été d'y croire et de jouer le jeu de la négociation, pas celui de l'opposition. Cet arbitrage est une insulte aux agriculteurs et agricultrices bio », avait ainsi déclaré Loic Madeline, secrétaire national PAC à la FNAB, après les arbitrages de Julien Denormandie.

« Cette guerre fratricide entre bio et HVE est un non-sens », avait répondu le ministre, alors même que les aides pour la bio « augmenteront », avait-t-il affirmé, réfutant les données de la FNAB. Une guerre de chiffres qui n'en finit pas, la FNAB répétant que les paiements pour services environnementaux rendus par l'agriculture bio ne dépasseront pourtant pas les 70 euros par hectare environ, contre une demande initiale de 145€/ha.

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En outre, le ministère rappelle dans son plan climat que le crédit d'impôt bio « a été revalorisé de 2.500 à 3.500 euros entre 2018 et 2020 » - et prolongé jusqu'à 2022 dans le cadre du plan de relance. Un délai insuffisant selon la FNAB.

« On attend qu'il soit prolongé jusqu'en 2027, plutôt que de s'arrêter avant la prochaine PAC, qui commence en 2023, et représente une régression pour le bio », conclut Sophia Majnoni d'Intignano, déléguée générale à la FNAB.

Marine Godelier

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Commentaire 1
à écrit le 24/06/2021 à 18:42
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Pourtant, ils plantent des éoliennes partout ...

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