La méthanisation ne suffira pas à décarboner l’agriculture

En France, le potentiel d'utilisation de biomasse agricole pour produire de l’énergie renouvelable et neutre en carbone, notamment via la méthanisation des déchets, est deux fois moins élevé que celui inscrit dans la Stratégie nationale bas carbone (SNBC), pointe l’organisme France Stratégie, qui avertit sur les risques d’une surexploitation.
Marine Godelier
Avant d'être transformé en énergie puis d'être distribué, le biogaz est produit au sein d'une unité de méthanisation, alimenté en biomasse (excréments, résidus végétaux...).
Avant d'être transformé en énergie puis d'être distribué, le biogaz est produit au sein d'une unité de méthanisation, alimenté en biomasse (excréments, résidus végétaux...). (Crédits : DR)

En France, de drôles de machines surplombées d'un large dôme fleurissent dans certaines exploitations agricoles. Appelées digesteurs, elles ne servent pas à produire de la nourriture, mais à créer du gaz non fossile « neutre en carbone » : en mélangeant ce qu'on appelle la biomasse (effluents d'animaux, matières végétales et résidus agro-alimentaires) dans une cuve de fermentation, elles permettent de récupérer du biométhane, qui pourra être utilisé pour le chauffage, les usages industriels ou encore comme carburant.

Chez les agriculteurs, le procédé a le vent en poupe : « la quantité de gaz renouvelable injecté dans les réseaux a augmenté de 73% en 2019 », rapporte GRDF, qui dénombrait 1.023 unités de méthanisation à fin 2020, dont 214 en injection. Et l'Etat mise gros sur la technologie, qu'il subventionne fortement - aussi bien pour réduire les émissions de gaz à effet de serre que pour des questions d'indépendance énergétique.

Seulement voilà : si les espoirs sont grands, cette solution ne suffira pas à décarboner l'agriculture, fait valoir France Stratégie, l'organisme conseillant le Premier ministre, dans une note publiée fin juillet. « Ce n'est pas avec le développement de la biomasse à vocation énergétique que l'on assurera une transition équilibrée », explique à La Tribune Julien Fosse, l'un de ses deux auteurs. Car les objectifs fixés semblent hors de portée : alors que la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) estime le potentiel de production de biomasse agricole proche de 250 térawattheure (TWh) à l'horizon 2050, afin d'alimenter les digesteurs mais aussi comme combustible, les scénarios de France Stratégie tablent sur un maximum de 120 à 160 TWh - contre 4 TWh aujourd'hui.

Risques de surexploitation

Pour l'institution, dépasser ce chiffre de 160 TWh serait risqué : « il serait nécessaire d'augmenter significativement les prélèvements en résidus de cultures, et de recourir massivement à certaines cultures dédiées », affirment les auteurs. Des leviers qui impliqueraient une « redistribution majeure des terres agricoles », altérant la biodiversité et entrant en confrontation avec d'autres besoins.

« On n'incite ni à s'en détourner, ni forcément à y recourir, comme cela a pu être relayé. Notre message principal, c'est que la SNBC a été beaucoup trop ambitieuse en la matière. La question, c'est : qu'est-ce qu'on met dans les digesteurs? », développe Julien Fosse.

Car la biomasse agricole utilisée pour créer de l'énergie peut concerner des résidus de culture (fanes de betterave, cannes de maïs, pailles...), des cultures intermédiaires alternant alimentation et énergie selon la rotation à l'année, ou des déchets organiques issus de l'élevage, dans un esprit d'économie circulaire... mais aussi prendre la place de terres destinées à l'alimentation - qui doivent pourtant rester « l'objectif prioritaire » de l'agriculture. « Cela pose des gros problèmes de hiérarchisation des usages, avec des parcelles qui seraient exploitées pour le chauffage ou le carburant et non plus pour se nourrir », précise Julien Fosse. « Avoir des cultures dédiées uniquement au biogaz est une pure bêtise », abonde Anthony Dufour, spécialiste de la biomasse au CNRS. Et de rappeler que la question s'est notamment posée en Allemagne, qui a utilisé dès 2013 près de 7% de sa surface agricole pour produire des cultures énergétiques... avant de faire marche arrière et de se tourner vers l'utilisation de déchets, du fait de vives controverses.

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En France, un décret paru en 2016 fixe à 15 % le seuil maximal de « cultures principales » incorporées chaque année dans un digesteur. Mais l'Etat ne dispose pas de moyens suffisants pour contrôler l'application de cette norme.

Diminution des effluents

D'autant qu'en parallèle, l'apport en effluents d'élevage risque d'être mis à mal. Certes, ces gisements sont aujourd'hui largement sous-utilisés, du fait d'un manque de rentabilité à leur ramassage dans les petites exploitations. Mais la ressource n'est pas illimitée, alerte France Stratégie : « On a besoin de maintenir une partie de ces effluents pour servir d'engrais naturels, et, surtout, il y a une nécessité de diminuer globalement l'élevage dans un contexte de réchauffement climatique. A un moment, on sera confronté à une stagnation ou à un déclin, et on ne pourra pas aller aussi loin que ce qui était promis jusqu'à présent », fait valoir Julien Fosse.

« La baisse de la consommation de viande devrait à terme réduire le cheptel et donc faire évoluer la quantité d'effluents », avait déjà prévenu en mai la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, lors d'une audition sur le sujet.

Une inquiétude injustifiée selon l'association Solagro, spécialiste de l'agroécologie et accompagnatrice de projets de méthanisation. Dans un scénario prospectif baptisé « Afterres2050 », elle estime que la réduction de l'élevage se couplera avec une forte augmentation de la collecte des matières, permettant d'accroître largement la part du gisement exploité. « Ce n'est pas contradictoire de vouloir avoir plus de pâture, que l'élevage diminue, mais qu'on ait une hausse des effluents en digesteur », estime son directeur, Christian Couturier.

Focus sur l'agroforesterie

Autant de questions épineuses sous le crible des pouvoirs publics : elles feront l'objet de « réflexions plus précises » lors de la conception de la prochaine Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) pour 2023-2028, assure le gouvernement. Laquelle devrait être orientée, au moins en partie, par les conclusions attendues en septembre prochain d'une mission d'information sénatoriale, diligentée pour mesurer les « effets et conséquences » du développement de la méthanisation.

« Il y aura bientôt un changement dans la stratégie adoptée en la matière », assure Julien Fosse. Nul doute que France Stratégie apportera sa pierre à l'édifice, l'organisme suggérant de se focaliser davantage sur des modes alternatifs d'exploitation de la biomasse, notamment l'agroforesterie. Le principe : planter des haies et des arbres près des cultures, afin d'utiliser les coupes pour se chauffer ou pour alimenter les digesteurs.

« On prône un modèle agro-écologique plus vertueux, avec moins d'intrants, moins d'engrais, et plus de bénéfices sur l'environnement. C'est le cas lorsque l'on développe des haies, qui protègent les sols d'aléas liés au ruissellement des eaux et entraînent des co-bénéfices pour la biodiversité », précise Julien Fosse.

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Mais même là, des dérives sont possibles : « il faut valoriser le bois de manière intelligente, ne pas l'exploiter de manière intensive, en plantant une seule essence d'arbuste et en les coupant trop régulièrement », avertit Anthony Dufour. Surtout, pour toutes ces pistes, il reste nécessaire de « prendre en compte le bilan global de toute la chaîne, notamment les distances de transport ». Sans quoi l'absorption du CO2 par la biomasse vivante ne suffira pas à se prévaloir d'une neutralité carbone.

Marine Godelier

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Commentaires 8
à écrit le 18/08/2021 à 23:34
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C'est lagroindustrie hein, que voulez vous qu'ils aient envie de faire à part du fric ? Donnez leur le meilleur outil du monde ils détruisent encore et toujours le monde avec car ne sachant faire que ça.

à écrit le 18/08/2021 à 23:16
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Faut se renseigner en Allemagne, en Suisse ou dans les pays nordique ou ces installations fonctionnent depuis 25 ans.

à écrit le 18/08/2021 à 19:45
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Le problème n'est pas de créer plus d'énergie mais d'en utiliser le moins possible! Arrêtez déjà vos appareils électriques!

à écrit le 18/08/2021 à 19:43
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Le problème n'est pas de créer plus d'énergie mais d'en utiliser le moins possible! Arrêtez déjà vos appareils électriques!

à écrit le 18/08/2021 à 16:47
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Jusqu'à preuve du contraire du méthane bio ou pas génère toujours du CO2 lors de sa combustion.

à écrit le 18/08/2021 à 16:44
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A quoi joue cet organisme destiné à éclairer le premier ministre avec ce genre d'article ?

à écrit le 18/08/2021 à 13:16
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Ce genre de réflexion/préoccupation se posera seulement quand la méthanisation aura atteind les 100 ou 120 TWh contre seulement 40 TWh aujourd’hui pas avant. Tant que les agriculteurs ne pourront se débarasser de leur lisier qu’en le répandant sur le...

le 18/08/2021 à 15:03
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Les déchets des méthaniseurs vont où ? Sur les sols ? Y a "rien" à la fin (tout se gazéifie ?). Les nitrates du lisier des cochons dans les méthaniseurs, ils sont transformés ou restent tels quel ? On les retrouvera quand l'engin sera vidé.

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