Soutenu par Bill Gates, ce four solaire peut produire du ciment et de l'acier sans CO2

Par Jérôme Marin  |   |  1127  mots
(Crédits : DR)
La startup américaine assure pouvoir produire une chaleur extrême pouvant être utilisée dans des industries fortement émettrices de carbone. Sa technologie, qui repose sur le procédé du solaire thermique à concentration, est dopée à l'intelligence artificielle.

"Un four solaire à très haute température qui ne brûle aucune énergie fossile". Son CEO Bill Gross l'assure, l'avancée est "majeure" dans la lutte contre le réchauffement climatique. A Lancaster, en Californie, à une heure de route au nord de Los Angeles, sa start-up Heliogen a déployé mi-novembre le prototype d'une centrale solaire dopée à l'intelligence artificielle. Et qui serait capable de générer une chaleur extrême, supérieure à 1.000° C. De quoi produire du ciment, de l'acier, et même de l'hydrogène en réduisant fortement les émissions de gaz à effets de serre.

Cette installation repose sur le procédé du solaire thermique à concentration (CSP, en anglais): de nombreux miroirs, appelés Héliostats, reflètent, vers un réceptacle fixé en haut d'une tour, les rayons du soleil, qui sont alors convertis en chaleur sous forme de vapeur. Pour son démonstrateur californien, Heliogen a placé sur le sol quelques 400 miroirs de petite taille, moins chers et plus faciles à transporter et à installer. Le principe n'est pas nouveau mais l'entreprise assure pouvoir le pousser beaucoup plus loin. "Jusqu'à présent, la chaleur atteignait entre 500 et 600° C", souligne Bill Gross. Suffisant pour produire de l'électricité en faisant tourner des turbines. Mais doubler cette température permettrait d'ouvrir de nouveaux débouchés en débloquant une série de réactions chimiques."Le solaire pourrait impacter des industries traditionnellement très polluantes", se félicite l'entrepreneur.

Pour toucher les 1.000° C, la start-up mise sur un logiciel de vision par ordinateur, alimenté par quatre caméras et propulsé par un puissant processeur graphique (GPU). En analysant l'intensité lumineuse autour de chaque rayon de soleil - les caméras ne pouvant pas regarder directement les rayons, sous peine de fondre -, le système peut alors orienter, en temps réel, de manière extrêmement précise tous les miroirs. Cela permet d'augmenter la concentration solaire. Et donc la température par rapport aux installations traditionnelles, dont les miroirs suivent un mouvement défini par avance, en fonction de la position anticipée du soleil dans le ciel. "Notre technologie est dix fois plus précise, tout en offrant des coûts inférieurs car il n'y a plus besoin de réaliser des études sur le rayonnement solaire et de recalibrer les miroirs en fonction de paramètres qui peuvent varier", avance Bill Gross.

Soutien de Bill Gates

Les centrales solaires thermiques à concentration ont connu un essor rapide à partir de 2009, en particulier en Espagne et aux Etats-Unis, qui cumulent plus des deux-tiers de la capacité aujourd'hui installée dans le monde. Ces dernières années, pourtant, le rythme a nettement ralenti. En cause: la forte baisse des coûts des panneaux solaires, qui ont rendu l'énergie photovoltaïque beaucoup plus compétitive que les CSP. Bill Gross l'a d'ailleurs appris à ses dépens: fondée en 2007, sa précédente entreprise eSolar n'a jamais pu atteindre les grandes promesses qu'elle avait faites. Et qui avaient convaincu des investisseurs, dont General Electric et Google.org, la branche philanthropique du moteur de recherche, d'injecter plus de 200 millions de dollars dans la société. En 2015, celle-ci est vendue à un groupe chinois.

C'est peu après cet échec cuisant que naît l'idée d'Heliogen. Elle a été rendue possible par les progrès des processeurs graphiques, qui ont permis de démultiplier la puissance de calcul informatique tout en abaissant nettement la facture. Et donc de tirer profit d'algorithmes sophistiqués d'intelligence artificielle. Le financement initial est apporté par Bill Gates, le co-fondateur de Microsoft et deuxième fortune mondiale. D'autres investisseurs ont depuis suivi. Pour autant, le précédent eSolar incite à la prudence. "Ils n'ont encore pas démontré leur procédé", souligne ainsi Stéphane Abanades, chercheur au laboratoire Promes du CNRS, qui note d'autres zones d'ombre. A l'époque déjà, Bill Gross avait installé un démonstrateur à Lancaster. Tout en multipliant également les effets d'annonce.

La centrale d'Heliogen n'est pas la première à dépasser la barre des 1.000° C. Certaines permettent même d'atteindre des températures beaucoup plus élevées: au-delà des 3.000° C par exemple pour le four solaire d'Odeilo, dans les Pyrénées-Orientales. Mais ce site, exploité par le CNRS, est utilisé à des fins de recherche, notamment dans le cadre du projet européen Solpart. Comme le four solaire de Parkent en Ouzbékistan, il est également gigantesque - 54 mètres de haut et 48 mètres de large -, pour des coûts de construction et d'exploitation sans commune mesure. La start-up américaine mise, elle, sur des installations bien plus petites, pouvant être déployées, en quelques semaines et à moindre frais, à côté de sites industriels.

Défi de l'intégration aux processus industriels

Heliogen espère débuter l'exploitation commerciale au cours des prochaines semaines. "Plus de 1.000 entreprises nous ont contacté dans la semaine suivant la présentation de notre technologique, explique son patron. De petites sociétés mais aussi des grandes, dont un important groupe minier qui souhaite réduire sa consommation d'énergie". Leur intérêt est avant tout économique, reconnaît Bill Gross, qui assure que l'investissement initial devrait être amorti en deux ou trois années. Sans toutefois indiquer le montant nécessaire pour installer les héliostats. "Ensuite, l'énergie sera gratuite", promet-il. Pour d'autres entreprises, soumises à un seuil d'émissions, cela permettrait d'augmenter leur production.

Pour Heliogen, le défi du lancement commercial ne sera pas simplement technologique. Il sera aussi dans l'intégration de son four solaire dans les usines et les processus industriels de ses clients. La difficulté est renforcée par la nécessité d'adopter un système hybride, fonctionnant aux énergies fossiles lorsque le soleil ne brille pas. C'est d'ailleurs une autre limite de cette technologie, qui ne peut être déployée que dans des zones de fort ensoleillement. Sans oublier la place nécessaire: un peu moins d'un demi-hectare de terrain pour chaque mégawatt de puissance. Bill Gross reconnaît ainsi que la moitié de sites industriels dans le monde sont trop petits.

La start-up souhaite d'abord se concentrer sur quelques secteurs spécifiques, comme le ciment et l'acier, dont la production nécessite des températures très élevées ne pouvant aujourd'hui être atteintes qu'en utilisant des énergies fossiles. Selon Agence internationale de l'énergie, l'industrie du ciment représente à, elle seule, 7% des émissions mondiales. "Ils n'ont pas de moyen d'utiliser des énergies renouvelables", note Bill Gross. A plus long terme, lorsque son four solaire sera capable d'atteindre les 1.500° C, l'entrepreneur espère produire de l'hydrogène, aujourd'hui essentiellement issus d'énergies fossiles. "Ce serait une percée révolutionnaire", s'enthousiasme-t-il déjà.