Un ex-banquier d'UBS raconte comment il "recrutait" ses clients français

Par latribune.fr  |   |  686  mots
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Un ancien chargé d'affaires de la banque suisse UBS a témoigné sur ses années de travail dans les colonnes du journal Le Temps. Il décrit en particulier les pratiques utilisées pour démarcher les riches clients en France, et les stratagèmes pour leur proposer de placer leur argent non déclaré hors du territoire.

Jean [le prénom a été modifié] a travaillé pendant dix ans pour la banque UBS dans l'un des Desk France, qui s'occupe de gérer le patrimoine des clients qui sont résidents en France. Il était « conseiller à la clientèle », ce que l'on appelle en France un « CA », autrement dit un chargé d'affaires. Les CA sont soupçonnés par la justice française de démarchage illicite de riches personnes accusées d'avoir aidé à exfiltrer de l'argent non déclaré en Suisse. UBS nie cependant avoir eu recours à ce genre de pratiques. Jean admet qu' «il n'y a pas de preuve de ce que nous avons fait dans ces années-là, car tout était arrangé pour effacer les traces, et les instructions n'étaient jamais données par écrit». Il est donc difficile d'enquêter sur certaines activités de la banque, en raison du manque de documents.

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"Vous ne posez pas de questions"

Les faits se déroulent aux alentours de 2003. Jean s'occupait à l'époque de 300 clients dont les revenus se situaient entre 250.000 et 2 millions de francs suisses. Ces clients, contribuables français, étaient médecins, avocats, ou encore chefs d'entreprise, et possédaient en général des comptes ouverts par voie numérique. Et d'après Jean, la grande majorité d'entre eux ne déclaraient pas en France leurs placements en Suisse. Mais il explique que ce n'était pas de son ressort :  « On nous disait que c'était la responsabilité du client, contribuable français, de déclarer son argent. S'il ne le faisait pas, cela ne nous regardait pas. »

Dans ces conditions, les banquiers avaient tout intérêt à rester discrets. Jean parle alors de « non-dits », et évoque un « métier d'argent », où « vous ne posez pas de questions ». « A partir de 2008 et 2009, il ne fallait surtout rien demander » : Si le client expliquait que l'argent n'était pas déclaré, le banquier n'était plus en droit de l'accepter. Jean donne alors des détails sur les pratiques « paranoïaques » des clients Français : langage codé, appels donnés depuis des cabines téléphoniques... Il explique que le client n'utilisait sa vraie identité que lors de l'ouverture du compte. Ensuite, il utilisait un pseudo et ne communiquait que par langage secret.

Démarchage à Paris

L'ancien banquier explique s'être rendu à plusieurs reprises à Paris, pour aller à des rendez-vous avec ses clients. Mais aussi dans des dîners, pour « vendre la popote » en ventant l'image respectable d'UBS. Il explique qu'entre 2003 et 2007, les ouvertures de compte se faisaient directement sur place, en France par le biais d'un stratagème informatique. Les banquiers faisaient remplir les documents, les renvoyaient en Suisse et ne les complétaient qu'une fois retournés là bas.

UBS a été mise en examen le 6  juin dernier pour démarchage illicite. Mais la banque se défend d'utiliser de telles pratiques, et explique que se déplacer en France afin d'entretenir le contact entre clients et banquiers est autorisé. Mais Jean n'y croit pas. Il questionne : « Pourquoi aller en France si ce n'était pour prospecter et acquérir de nouveaux clients? Vous pensez qu'UBS payait quatre ou cinq voyages par an [...] pour aller serrer des mains? Cela n'aurait pas de sens. » Il ajoute : « Notre mission, ce n'est pas seulement de gérer un portefeuille, c'est de le développer et d'acquérir de nouveaux clients ».

Un document interne à la banque, daté de 2005, montre que celle-ci était consciente des règles en matière de démarchage des clients. il y est écrit que «seules les entités autorisées» sont «légitimées» à démarcher en France et les contacts «non sollicités» sont interdits lorsqu'il s'agit «d'induire les personnes ciblées». Cependant, ce même document fournit aussi des techniques pour contourner ces règles, dont celle que Jean utilisait.

Aujourd'hui, cet ancien banquier souhaite dénoncer « l'hypocrisie » qui fait peser les charges uniquement sur les conseillers à la clientèle et non sur la banque.

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