Vous avez dit polyacrylamides  ?

À l'écouter raconter sa vie, on se dit que René Pich est né sous une bonne étoile. Si la chance ne lui avait pas toujours souri, comment ce chef d'entreprise aurait-il pu devenir en quarante ans le premier producteur mondial de polyacrylamides et de floculants pour le traitement des eaux ? Ce petit-fils d'ouvriers agricoles, employés sur l'une des chasses du roi d'Italie, a d'abord « eu la chance d'émigrer en France ». À l'âge de 6 ans. Il a ensuite « eu la chance de faire des études chez les maristes et les salésiens », de « rencontrer des gens qui avaient fait le v?u de pauvret頻, avant d'intégrer la seule école d'ingénieurs qui dépendait de la faculté catholique de Lyon, puis de sortir major de l'école d'officiers des transmissions de Montargis.Le 1er mai 1968, René Pich se fait embaucher par Rodolphe Streichenberger qui cherche à reconvertir l'usine familiale de boulets de charbon à Saint-Étienne. Il lui demande de développer la production de floculants, une matière nouvelle dont un Britannique lui a parlé lors d'un voyage en avion. L'ingénieur chimiste ignore alors tout de ces polymères qui permettent d'agglomérer les matières colloïdales dans les stations d'épuration des eaux usées. Quarante ans plus tard, l'entreprise, SNF Floerger, dont il a pris les rênes en 1978, pèse 1,056 milliard d'euros de chiffre d'affaires dont 60 % réalisés grâce aux floculants.René Pich a aussi eu la chance de racheter au bon moment cette entreprise, avec Hubert Issaurat, au profil ? HEC ? parfaitement complémentaire. SNF Floerger était en 1978 propriété du conglomérat américain WR Grace. Le montant inscrit sur le contrat de cession fut libellé en dollars. Et dans les deux années qui suivirent, la monnaie américaine perdit 40 % de sa valeur face au franc. Or, la transaction prévoyait un paiement étalé sur vingt-quatre mois.en 1986, ils s'implantent aux états-unis« Par chance, Hubert Issaurat avait toutes les qualités de Tintin », raconte René Pich. Pendant que son associé parcourait le monde, lui bétonnait. Dès le départ, ils avaient projeté de mettre en ?uvre une « politique globalisée ». En 1986, ils achetaient un premier terrain aux États-Unis, à Riceboro (Géorgie). Devenu le premier site du groupe, cette unité américaine réalise aujourd'hui 45 % du chiffre d'affaires consolidé de SNF Floerger. Mais le groupe, présent sur le plan commercial dans 140 pays, dispose aussi de trois autres grands sites de production. À Saint-Étienne, bien sûr, mais aussi en Chine et en Corée. À terme, il devrait en avoir dix.Son aventure chinoise a débuté en 1992. « On s'est lancé la tête la première. Heureusement que le mur n'était pas trop dur », estime René Pich, qui s'est rendu sur place une semaine par mois pendant deux ans. Retenu après un appel d'offres, SNF Floerger a, en un peu moins de trois ans, conçu et construit une unité de production de polymères destinés à la récupération d'hydrocarbures pour le plus grand champ pétrolier du pays, à Daqing. Quarante wagons et un bateau furent affrétés pour acheminer du matériel et des équipements de Saint-Étienne. Malgré la chute du prix du baril dans les années 1980, l'entreprise stéphanoise avait fait le choix stratégique de conserver une activité pétrolière et de petits équipements après le rachat de deux filiales de Dow Chemical et Pfizer Oil Company.Le groupe est aujourd'hui leader mondial dans la récupération assistée du pétrole, des produits qui, injectés dans les puits, permettent de pomper davantage d'or noir. À cette production ont été adjointes des activités de conseil et d'ingénierie. « Nous sommes considérés comme les gourous des polyacrylamides », affirme en souriant René Pich. Son entreprise a été retenue par PDO (Petroleum Development Oman) pour la maîtrise d'?uvre d'un consortium chargé de la conception, de l'ingénierie et de la construction de deux unités industrielles de polyacrylamides sur le champ de Marmul (sultanat d'Oman). 150 millions de dollars ont été injectés dans ce projet qui vient d'être inauguré. À long terme, la récupération assistée du pétrole pourrait représenter les deux tiers de l'activité en volume de SNF. Moins cyclique, le traitement de l'eau continuera à alimenter la croissance de la société, « pour au moins soixante à soixante-dix ans », indique René Pich. Selon la Banque mondiale, 7 % seulement des eaux usées finissent dans une station d'épuration aux normes internationales.« En 1978, il y avait quarante producteurs de polyacrylamides, aujourd'hui, il en reste quatre. Et nos trois concurrents perdent de l'argent », note l'entrepreneur stéphanois. SNF Floerger peut s'enorgueillir de n'avoir jamais connu d'exercice déficitaire depuis sa création : « On est toujours sur le fil du rasoir, mais on a toujours fait un peu de bénéfice. » Son record en la matière ? 5 % en 2002. Car pour rester dans la course, l'entreprise s'est contentée de marges faibles et a toujours réinvesti la majeure partie de ses résultats. « On a été dans le sens inverse de nos concurrents. On a compris qu'il fallait faire du volume, aller vite, qu'une usine doit tourner à 90 % de sa capacité pour être profitable. » Cette boulimie d'investissements tous azimuts a une contrepartie, une sous-capitalisation qui restreint les capacités d'emprunt de la société. Surtout aujourd'hui. Le groupe est bloqué dans un important projet de développement en Louisiane, où il a obtenu des obligations d'État après le cyclone Katrina pour réinvestir localement. Mais son principal banquier, Bank of America, hésite à l'accompagner dans la construction d'une nouvelle usine supposant un investissement initial de 100 millions de dollars. La situation pourrait peut-être se débloquer en 2010.En Inde, SNF Floerger a eu la chance de disposer d'un terrain dans le centre du pays, aujourd'hui proche d'une bretelle d'autoroute. Sa vente va lui permettre de financer une grande partie de la construction d'une nouvelle usine à Vizag, au nord de Madras. D'autres projets sont en gestation en Afrique du Sud, au Brésil, en Argentine, en Russie? mais pas en France. SNF ne compte pourtant pas abandonner l'agglomération stéphanoise. Lorsqu'il a fallu relocaliser son usine et son siège social, René Pich n'a guère hésité. Il l'a transféré en 2002 à une dizaine de kilomètres de Saint-Étienne dans la plaine du Forez. 250 millions d'euros ont été investis en dix ans sur ce nouveau site, alors que la proximité d'un port eût été plus rationnelle. « On est resté pour ne pas perdre les hommes. On a privilégié les hommes, plutôt que le transport », insiste-t-il. Pour ce redéploiement, le patron du troisième groupe chimique français n'invoque pas la chance. Mais la fidélité à une certaine éthique. « Alors que certains Tintin autour de nous se sont transformés en ?Rastapopoulos de la finance?, nous avons décidé de rester ici, dans notre région. Nous avons perdu de l'argent, mais pas notre honneur », souligne-t-il. Une valeur qui a la cote auprès de celui qui entend transmettre pour héritage « l'exemple ».
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