Hollande met un « tigre » dans son moteur : cela va-t-il suffire ?

Par Philippe Mabille  |   |  1127  mots
L’ampleur de la défaite du parti socialiste impose un choc. Manuel Valls, admirateur de Clémenceau, est-il le bon casting ? François Hollande annonce une nouvelle étape, la poursuite du redressement dans la justice sociale. Mais la France est dans une situation économique telle qu’il faudra au nouveau Premier ministre de nouvelles marges de manœuvre pour répondre à la déception de l’électorat de gauche et relancer l’économie.

Manuel Valls, le successeur de Jean-Marc Ayrault à Matignon après 681 jours, est un ancien rocardien converti au jospinisme puis au hollandisme par les circonstances de la vie politique. Arrivant à 52 ans à ses fins, après deux ans de formation gouvernementale à l'Intérieur, le bouillant catalan maire d'Evry prend Matignon d'assaut dans une configuration particulièrement difficile. Il reste encore de nombreuses réformes impopulaires à mener pour achever le travail de redressement engagé en réponse à la crise. Sa chance pourrait être que ce cadeau en apparence empoisonné lui soit offert dans une configuration nouvelle pour la France, où l'économie commence à repartir, très lentement.

Dés dimanche soir, commentant place Beauvau les résultats du second tour des Municipales, Valls a pris la mesure de la gravité du message politique adressé par les Français et affiché la couleur de ce que pourrait être son futur discours de politique générale :

 

 « Ces scrutins ont ce soir une résonance nationale à laquelle nous devons être extrêmement attentifs. (C'est une) défaite pour la gauche et le gouvernement et nous devons l'analyser précisément, (...) correctement. Par ce vote, les électeurs ont exprimé une attente vive, parfois du découragement, et aussi de la colère. Je pense notamment à nos concitoyens, à nos compatriotes, pour lesquels le quotidien est très difficile, à ceux qui ont trop souvent du mal avec leur salaire, leur retraite, à boucler les fins de mois. Loyers, factures,  les quelques loisirs que, parfois, on s'accorde. Ce soir, les Français ont dit leur attente de résultats en matière d'emploi et de pouvoir d'achat. Ils ont énoncé une demande accrue de protection, de sécurité, mais aussi de justice, et de justice sociale. Ce message très clair doit être entendu. »

Souvent comparé à un Tony Blair français, considéré comme l'homme le plus à droite du Parti socialiste, Manuel Valls, ancien candidat à la primaire du PS, a réussi à s'imposer à François Hollande comme la réponse à la nouvelle étape du quinquennat. Les Français ont exprimé, par leur vote ou leur abstention, une demande d'autorité et de justice sociale, et attendent du gouvernement des résultats tangibles sur la croissance et l'emploi. Autorité et action, deux valeurs qu'incarne l'ancien ministre de l'Intérieur, le plus populaire du gouvernement Ayrault.

Admirateur de Georges Clémenceau, dont il a écrit une biographie, le nouveau Premier ministre se réclamera sans doute de la formule célèbre du Tigre pour engager son gouvernement de combat dans la tâche difficile qui l'attend : « il faut savoir ce que l'on veut. Quand on le sait, il faut avoir le courage de le dire ; quand on le dit, il faut avoir le courage de le faire ». On n'en n'est plus au stade du passage à l'acte, mais à celui de la mise en acte, et c'est souvent là que le courage fait défaut. En nommant Valls pour cette mission, François Hollande essaie donc de mettre un tigre dans son moteur qui s'est peu à peu étouffé dans une impopularité record, qui le rend aujourd'hui presque inaudible.

C'est donc un nouveau style qui va s'installer à Matignon. Moins aguerri que Jean-Marc Ayrault, mais plus jeune (52 ans) et peut-être plus en ligne avec l'époque... Quitte à faire tousser la gauche et fuir les Verts... Le chef de l'Etat a néanmoins bien prévenu dés hier qu'il n'était pas question d'un changement de ligne politique : « audace dans le choix », mais « constance dans le cap », voilà les trois missions confiées à Man Valls bien encadrées.

 Ces trois missions s'inscrivent dans le droit fil des annonces du début de l'année, avec le pacte de responsabilité, qui est prêt à être dévoilé, bien que contesté à gauche comme le responsable de la défaite aux municipales. Avec ce pacte, il s'agit de redonner de la force à notre économie, parce que ce sont les entreprises qui créent des emplois, a rappelé François Hollande. Manuel Valls, qui n'est pas un expert en économie (c'est sa faiblesse, dont il a conscience), mais est social démocrate tendance DSK, est sur la même ligne que le président de la République sur ce point. Il n'aura donc aucun mal à l'endosser devant la majorité en engageant la responsabilité de son nouveau gouvernement de combat resserré...

L'inflexion, François Hollande la donne en revanche dans un discours nettement plus social et sensible au pouvoir d'achat des plus bas salaires et de ces Français qui se sentent « abandonnés ». La justice sociale sera donc mise en avant pour équilibrer le pacte de responsabilité par « un pacte de solidarité ». Avec donc des baisses d'impôts annoncées, pas que pour les entreprises, mais aussi les ménages modestes. C'est la chance de Valls. Là où Ayrault, victime expiatoire du redressement fiscal à marche forcée que François Hollande a imposé à la France depuis deux ans, le nouveau Premier ministre pourra communiquer sur quelques bonnes nouvelles, passant notamment par « une baisse des cotisations » des salariés.

Un geste pour le pouvoir d'achat qui ne sera sans doute pas considérable, mais viendra compenser la poursuite inflexible des économies budgétaire exigées par nos engagements européens. Réforme de l'Etat, transformation de notre organisation territoriale, la lettre de mission de François Hollande exigera toute l'autorité de l'ancien ministre de l'intérieur pour s'imposer aux fonctionnaires et aux élus locaux.

Enfin, en filigrane, la troisième mission fixée hier par François Hollande à son nouveau Premier ministre n'est pas la moins délicate : convaincre Bruxelles, Berlin et nos partenaires européens que la France est sur le bon chemin pour obtenir un peu d'indulgence sur le calendrier de réduction des déficits alors que les chiffres 2013 révélés hier par l'Insee montre une France en échec total, avec des comptes publics qui ne se redressent pas, malgré les efforts engagés. Alors que la France doit présenter à la mi-avril sa nouvelle trajectoire des finances publiques, une négociation pourrait s'ouvrir avec la Commission européenne pour redonner à la France quelques marges de manœuvre, c'est à-dire du temps, pour relancer son économie en échange de gages de réformes engagées. Auquel cas Manuel Valls pourrait engager ses pas dans ceux de son homologue italien, Matteo Renzi, qui profitant des efforts de rigueur de ses prédécesseurs, a décidé de prendre un peu de distance avec les contraintes budgétaires européennes. Un choix risqué, voire aventureux, mais qui peut être justifié à la fois par l'échec des politiques d'austérité et la nécessité de sortir à tout prix l'Europe d'un risque de déflation qui commence à mobiliser même la Banque centrale européenne...