Taxe à 75% : Errare humanum est... Perseverare diabolicum !

Par Philippe Mabille, directeur adjoint de la rédaction  |   |  1588  mots
François Hollande, dans son bureau à l'Elysée Copyright Reuters

Pas de panique au Palais! L'Elysée s'est empressé de le faire savoir: François Hollande a accueilli « sereinement » la décision du Conseil constitutionnel ce samedi 29 décembre 2012 de censurer la taxation à 75% des revenus d'activité au-delà de un million d'euros, mesure phare de son programme de rétablissement de la justice fiscale en France. De là à dire qu'il s'y attendait, pour se débarrasser de ce morceau de sparadrap fiscal qui lui colle à la peau depuis l'annonce surprise de ce dispositif, en pleine campagne présidentielle, il y a un pas que l'on est bien tenté de franchir tout aussi... sereinement.

Motivée par des raisons techniques -une rupture de l'égalité devant l'impôt selon la répartition des revenus au sein d'un même foyer- et non pour des raisons de principe -la contribution exceptionnelle de solidarité n'est pas jugée en soi « confiscatoire »-, le coup politique est néanmoins rude pour le président de la République et surtout pour sa majorité, qui a usé et abusé au cours de la législature d'un langage de combat contre les riches. Au point d'en faire partir certains, avec pertes et fracas, l'exemple le plus fameux et le plus tonitruant étant celui de l'acteur Gérard Depardieu. C'est aussi une première victoire pour l'opposition de droite qui n'a eu de cesse de dénoncer la politique de matraquage fiscal de la gauche, qui fait reposer le rétablissement des comptes publics essentiellement sur l'impôt, et encore trop peu sur les économies de dépenses.

Une arme fatale mal née

Improvisée par le candidat Hollande lui-même en tout petit comité, la taxe à 75% sur les riches avait un grand défaut: derrière son apparence de simplicité et de justice fiscale, dans une période de crise où il faut demander des efforts à tous les Français, elle s'est révélée complexe à mettre en ?uvre, parce qu'elle s'est ajoutée comme par effraction à toutes les autres mesures fiscales du projet socialiste, notamment l'alignement de la taxation du travail et du capital et le rétablissement de l'ISF d'avant la réforme Sarkozy. Dés son annonce, cette taxation à 75% a d'ailleurs pris à contre-pied tous les socialistes dont au premier chef le futur ministre du budget, Jérôme Cahuzac, qui n'a pu cacher sa surprise lorsqu'on l'a interrogé au débotté sur ce projet dont il n'avait jamais entendu parler auparavant.

Conçue comme une arme fatale pour reconquérir les voix du Front de Gauche et neutraliser Jean-Luc Mélenchon, il faut bien reconnaître que la taxe à 75% a rempli son office politique. François Hollande a été élu le 6 mai grâce au soutien de toutes les voix de la gauche, avec cependant moins d'avance qu'il n'en escomptait sur son rival Nicolas Sarkozy. Mais cette taxe mal née et mal préparée n'a en réalité jamais été bien assumée. « C'est Cuba, sans le soleil », aurait ironisé le secrétaire général adjoint de l'Elysée, Emmanuel Macron, un ancien banquier d'affaires en première ligne pour affronter la colère du monde patronal, directement visé par cette mesure. Le président lui-même, en privé, reconnaissait devant ses plus proches qu'il savait bien que cette taxe était inutile vu son très faible rendement. « Mais que veux-tu, répondait-il, je l'ai promis et c'est un symbole ».

Tel est pris qui croyait prendre

En fait de symbole, François Hollande, qui se targue pourtant d'être un as de la législation fiscale, se retrouve pris à son propre piège. Il se voulait Roosevelt des temps modernes (pendant la crise des années 30, le président américain avait porté à 90% le taux de la tranche marginale supérieure de l'impôt sur le revenu), il se retrouve malgré lui en Tartuffe coiffé du masque de l'hypocrisie, puisque personne ne croira que le chef de l'Etat et ses conseillers tous sortis de l'ENA ne s'attendaient pas à cet épilogue grotesque, voire ne l'espéraient pas secrètement.

Preuve que François Hollande ne croyait pas lui-même à sa mesure, tout a été envisagé par les services de Bercy, au cours de l'été, pour essayer d'en atténuer la portée, jusqu'à ce qu'un dernier arbitrage présidentiel vienne limiter cette « contribution exceptionnelle de solidarité de 18% » aux seuls revenus d'activité et sa durée de vie à deux ans. Deux ans, le temps de la sortie de crise, deux ans de patriotisme fiscal réclamé à à peine 1.500 personnes bien nées ou fortunées pour effacer les dix ans de cadeaux que la droite avait déversé sur les souliers de Noël des contribuables les plus aisés. Comment être contre? De nombreux patrons, dits de gauche, des artistes, ont d'ailleurs validé la démarche du président, en déclarant publiquement que la pilule, certes amère, était justifiée pour des raisons de cohésion sociale... à condition que cela ne dure pas trop longtemps quand même. "Deux ans, c'est bien", avait ainsi déclaré Xavier Huillard, le PDG de Vinci, tombeur du trop gourmand Antoine Zacharias.

Mais le ver était dans le fruit. En refusant d'intégrer cette taxe directement dans le barème de l'impôt sur le revenu, pour qu'elle ne s'applique pas aux revenus du capital désormais inclus dans son assiette, le gouvernement a donné au Conseil constitutionnel les verges pour se faire battre. D'ailleurs, nul besoin de polémiquer sur la composition fortement marquée à droite dudit Conseil (avec la présence de Jean-Louis Debré à sa tête et de trois anciens présidents de droite): la censure ne s'appuie que sur de purs motifs juridiques, « sans se prononcer sur les autres griefs dirigés contre cet article de la loi de finances 2013 », notamment le caractère confiscatoire de la nouvelle fiscalité qui additionne les taxes sur les riches.

Un vrai bouclier fiscal à 75%

Le Conseil constitutionnel a néanmoins censuré une autre mesure fiscale potentiellement confiscatoire, celle qui obligeait d'intégrer pour le calcul du plafonnement de l'ISF « les revenus ou les bénéfices capitalisés que le contribuable n'a pas réalisé ou dont il ne dispose pas ». Ce faisant, les sages constitutionnels rétablissent de facto un sorte de bouclier fiscal à 75% des revenus réellement perçus, ce qui évitera aux assujettis de connaître en 2013 la même mésaventure qu'en 2012, année où l'impôt sur la fortune n'a pas été plafonné.

Plus curieusement, le Conseil constitutionnel ne s'est pas attardé sur la mesure qui concerne les désormais fameux "Pigeons", à savoir l'alignement de la fiscalité des plus-values sur celle des revenus. Cet article, dont le rendement fiscal est désormais réduit à la portion congrue, comporte pourtant des éléments de rupture d'égalité, notamment en ce qui concerne le traitement différencié des actionnaires en cas de fusion. Mais ce n'est là qu'un pêché véniel dans un code des impôts qui reste truffé d'incohérences. Les sages constitutionnels en ont d'ailleurs supprimé deux: l'un sur les avantages fiscaux accordés à l'outre-mer et l'autre sur l'exonération des droits de succession en Corse. Deux beaux exemples d'injustices fiscales, qui vont empoisonner la vie du gouvernement Hollande jusqu'à la prochaine loi de finances!

Les apprentis sorciers de l'impôt

Il ne faut néanmoins pas s'y tromper : le verdict du Conseil constitutionnel ne changera pas la décision de ceux qui ont choisi la voie de l'exil fiscal pour échapper à la furie taxatrice qui a pris la majorité de gauche pendant le vote du budget 2013. Après avoir entendu un député socialiste proposer la spoliation de ses biens en France, à la façon de la spoliation des biens du clergé pendant la Révolution, Il y a peu de chances pour que Gérard Depardieu quitte son refuge belge de Néchin pour revenir en France. A moins que François Hollande, qui doit s'adresser lundi soir au Français pour ses v?ux du Nouvel An, ne change radicalement de discours sur la fiscalité. Cela n'en prend pas le chemin. Le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault a d'ores et déjà averti que les censures "techniques" du conseil constitutionnel n'empêcheront pas le gouvernement de proposer un nouveau dispositif dans la prochaine loi de finances.

Pris en défaut de cohérence sur sa politique fiscale à la petite semaine, François Hollande a bien l'intention de persévérer. De ce point de vue, le Conseil constitutionnel lui rend même à son corps défendant un fier service. En maintenant dans l'horizon fiscal de 2013 son intention de taxer plus les riches, le président Hollande aura, jusqu'à la prochaine loi de finances, de quoi soigner sa gauche alors même que sa politique économique va pencher de plus en plus à droite: réforme inévitable des retraites, baisse de 60 milliards d'euros des dépenses publiques sur cinq ans (dont on attend encore le premier coup de pioche...), et surtout poursuite d'une politique de compétitivité. Et cela, on l'a moins relevé, a été validé par le Conseil constitutionnel qui a confirmé le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi qui va redistribuer 20 milliards d'euros aux entreprises d'ici à 2015. Un enjeu autrement plus important que les quelque 500 millions d'euros que les apprentis sorciers de l'impôt de Bercy vont s'acharner à retrouver, d'une façon ou d'une autre, en puisant dans leur inépuisable, mais bien peu fertile, inventivité fiscale.