Présidentielle : le spectre d'un duel Mélenchon-Le Pen

Par Philippe Mabille  |   |  1152  mots
Avec la victoire de Benoît Hamon à la primaire de la gauche, une recomposition politique inédite se déroule à marche forcée, à trois mois d'une élection présidentielle dont le résultat n'a jamais été aussi incertain. Et si les divisions du PS conduisaient à l'abîme d'un "21 avril à l'envers" -scénario fiction- opposant les deux extrêmes de l'échiquier politique. Et comment Macron a réussi, pour l'instant, à apparaître comme l'antidote d'un cataclysme politique majeur...

Désormais chargé de porter les couleurs du parti socialiste, l'ancien ministre de l'Éducation nationale, Benoît Hamon, a réussi dimanche, avec 1 million de vote en sa faveur, un rapt inattendu et très habile, non seulement sur la primaire de la gauche, qu'il a remporté largement, mais aussi sur son projet politique, validé par ceux qui l'ont choisi contre Manuel Valls : au programme, la marche vers la généralisation d'un revenu universel (dont le coût dépasserait le quart du PIB de la France...) et une orientation écologique très radicale. Des idées intéressantes, utopiques, mais peu réalistes et difficilement applicables : de quoi séduire une gauche en mal de rêve (général).

Benoît Hamon, candidat du PS, comme l'a écrit Franz-Olivier Giesbert dans Le Point, c'est un peu « le voleur dans la maison vide », pour paraphraser le livre de Jean-François Revel. En s'inspirant du succès de Bernie Sanders aux États-Unis pour attaquer la primaire de gauche par la voie la plus radicale, Hamon a su gagner la ferveur des militants, sans doute sincèrement convaincus par sa vision d'un monde où le travail va se raréfier et désireux surtout d'adresser un carton rouge à la politique libérale de François Hollande...

Jean-Luc Mélenchon ringardisé

Avec sa campagne très habile, Benoit Hamon se paye même le luxe de ringardiser Jean-Luc Mélenchon, le fondateur de "La France insoumise", à qui il reprend une partie de l'espace politique à gauche de la gauche. Pour l'instant, les deux champions de la gauche radicale se reconnaissent des idées communes, mais n'ont pas encore envisagé de candidature unique. Au contraire, Mélenchon voit d'un oeil ronchon cette concurrence inattendu et le chassé croisé entre lui et le nouveau ténor socialiste dans les derniers sondages.

L'équation de Benoît Hamon est délicate : s'il fait mine d'être tenté par une alliance avec Jean-Luc Mélenchon, comme l'y poussent ses propres "frondeurs" au nom de l'arithmétique électorale, il risque d'y laisser sa fragile crédibilité et d'accélérer la fuite des cadres, des élus, des militants et... des électeurs du parti socialiste vers Emmanuel Macron et son mouvement En Marche. Macron, qui a déjà réussi à attirer quelques dizaines de députés et quelques stars comme Ségolène Royal ou Gérard Collomb,  deviendrait alors la seule planche de salut pour les sociaux-démocrates. Crédité désormais de plus de 20% des intentions de vote, Emmanuel Macron est au coude à coude avec François Fillon (21% contre 22% selon le sondage Sofres-One Point) et fait figure de valeur-refuge pour une partie importante de l'électorat de centre droit et de centre gauche déboussolé par le résultat des primaires.

La victoire du "troisième homme"

De fait, les primaires, qui avaient réussi à rassembler la gauche autour de François Hollande en 2011-2012, ne parviennent pas dans le climat politique actuel à sélectionner de champion incontesté dans chaque camp. Au contraire, en conduisant à la victoire du « troisième homme », Fillon à droite et Hamon à gauche, elles ont donné une prime au candidat le plus transgressif, le plus radical, ce qui laisse l'électorat divisé et ouvre un vaste espace politique au centre. La droite se déchire ainsi sur le positionnement trop conservateur, catholique et libéral de François Fillon. Ce dernier tente d'ailleurs de se recentrer en axant son discours sur le social depuis son meeting de dimanche. Et la gauche reste fracturée, entre deux camps "irréconciliables", celui des frondeurs qui a emporté avec Hamon une victoire politique indéniable, et son aile droite, incarnée par Manuel Valls, mis en minorité. Désormais, c'est lui et ses soutiens, y compris au sein du gouvernement Cazeneuve, qui sont les « frondeurs » au sein d'un parti socialiste atteint de « sinistrisme ».

Du coup, le visage de l'élection présidentielle est transformé et le résultat plus incertain que jamais. Certes, Benoît Hamon a le temps de recentrer son programme, pour édulcorer voire renoncer au revenu universel, au profit du « revenu décent » proposé par Manuel Valls (qui se limiterait à une refonte des minimas sociaux étendus aux plus de 18 ans et revalorisés). Ce serait plus réaliste et cela pourrait freiner l'hémorragie des députés PS vers En Marche. Mais cela ne lui permettra pas de se qualifier pour le second tour. Auquel cas la primaire à gauche aura surtout été un congrès déguisé en référendum contre François Hollande (qui a bien fait de ne pas se présenter) au cours duquel le parti socialiste a choisi sa ligne politique plus qu'affirmé sa volonté de gouverner.

Une "nouvelle majorité plurielle"

Arithmétiquement, seule une "très grande alliance populaire" entre Jean-Luc Mélenchon, Benoît Hamon et Yannick Jadot pour former une « nouvelle majorité plurielle » pourrait espérer se qualifier pour le second tour, avec un score de 25 à 27%. Scénario improbable, bien évidemment, dont l'immense défaut serait en cas de réussite, de rendre possible un "21 avril à l'envers" avec un match Hamon ou Mélenchon (selon celui des deux qui porterait les couleurs de cette alliance) contre Marine Le Pen pour le choix du prochain président de la République. Et donc de proposer aux électeurs un choix impossible entre une gauche très radicale, voire extrême, et l'extrême-droite : qui peut affirmer que Marine Le Pen ne serait pas élue ? A contrario, pour la gauche, le même choix impossible serait celui qui opposerait François Fillon à Marine Le Pen, avec là encore, en l'absence de « sursaut républicain », le danger réel d'une victoire possible du Front national si les électeurs de gauche refusent ce "deuxième 21 avril".

Dans tous les cas de figure, et c'est pour l'instant la force de son positionnement politique, le seul candidat qui semble en mesure de faire barrage à Marine Le Pen est Emmanuel Macron, car il s'est délibérément placé dans une sorte d'hypercentre et se retrouve ainsi dépositaire des espoirs conjugués des sociaux-démocrates déçus par François Hollande et des centristes qui portent le deuil d'Alain Juppé. Le tout, sans que l'ancien ministre de l'Économie n'ait encore présenté le moindre programme, sinon quelques idées, intéressantes certes, comme celle qui pourrait alléger les charges sociales des entreprises comme des ménages, mais très insuffisantes pour définir un projet. Comme l'a dit le Cardinal de Retz, on ne sort de l'ambiguïté qu'à son propre détriment. Pour espérer l'emporter, il est pourtant urgent qu'Emmanuel Macron sorte du bois et énonce clairement ses intentions sur les grands chantiers qu'il juge prioritaires et les moyens de réformer le pays. Ce devrait être le cas fin février ou début mars, dit-on...