Tic-tac, tic-tac : le début de la fin des taux hauts

Par Philippe Mabille  |   |  771  mots
VOTRE TRIBUNE DE LA SEMAINE. La bataille contre l'inflation est gagnée, ou presque. En tout cas, les marchés financiers y croient, et anticipant une détente monétaire plus rapide que prévu, redonnant de l'espoir à une économie ramollie. Faut-il vraiment y croire ?

Time out est un film dystopique américain sorti en 2011 dans lequel le réalisateur, Andrew Niccol, disserte autour d'un thème vieux comme le monde et qui se résume par une formule simple : le temps, c'est de l'argent. Nous voici donc plongés dans un futur où les humains ne vieillissent plus après 25 ans, mais doivent à partir de cet âge gagner du temps pour rester en vie. Lorsque l'horloge biologique tombe à zéro, c'est la mort immédiate. Du coup, les plus riches, jeunes et beaux, accumulent le temps pour atteindre l'immortalité, tandis que les pauvres, relégués dans des banlieues tristes, doivent travailler, mendier ou emprunter quelques heures par jour, à des taux usuraires, pour espérer rester en vie. Des Timekeepers, agents de la banque du temps, s'assurent de la stabilité du système. Bien sûr, le héros finira, avec la complicité de la fille de l'un des banquiers du temps, par faire exploser le système en volant 1 million d'années qu'il distribue gratuitement à son quartier, provoquant un krach qui emportera avec lui l'ensemble d'un système basé sur trop d'inégalités.

En ces temps troublés, ce film qui n'est vraiment pas un chef d'œuvre, traduit assez bien l'époque, alors qu'une hausse sans précédent par sa rapidité du taux de l'argent fait souffrir les économies. Les banques centrales sont-elles allées trop loin, trop haut, trop vite ? Ce procès aura lieu en son temps, même si on finira par reconnaître que vaincre en moins de trois ans le choc inflationniste issu du Covid et de l'Ukraine est une belle performance.

Tic-tac, tic-tac, c'est le décompte auquel se livrent les marchés financiers, qui achètent avec beaucoup, et peut être trop d'espoirs, la baisse des taux d'intérêt des banques centrales, ces gardiennes du temps dans notre réalité. Il a suffi que Jerome Powell, le président de la Réserve fédérale américaine, laisse entendre que 2024 sera l'année de la détente monétaire pour que les indices boursiers flambent et que les rendements obligataires tombent.

Wall Street, mais aussi le CAC 40, caracolent sur des niveaux records sans aucun égard pour le ralentissement économique attendu de part et d'autre de l'Atlantique. Inflation maîtrisée, mais croissance déprimée, cette équation nouvelle impose la relance de l'économie. Pour la Fed, comme pour la BCE, alors que l'inflation ralentit plus vite que prévu, le calendrier de la baisse des taux redevient un sujet de débat pour éviter un refroidissement plus important de la croissance. Selon les économistes, la Fed ouvrira le bal, en mars prochain, pour ramener les taux de 5,5% à 4,5% environ à l'automne.

Pour les taux européens, il faudra patienter un peu, car la présidente de la BCE l'a bien précisé , il n'est pas encore temps « de baisser la garde » (sic). Mais le gouverneur de la Banque de France a été plus direct dans un entretien accordé à l'émission Écorama de Boursorama. « Le mouvement de désinflation est général, y compris sur l'inflation sous-jacente et celle des services », a déclaré François Villeroy de Galhau, qui a souligné que l'inflation serait ramenée à 2% d'ici 2025. « Le prochain mouvement de la BCE sera, sauf surprise, une baisse », a-t-il indiqué.

S'il n'est pas une surprise de voir le gouverneur de la Banque de France se ranger parmi les colombes, surtout dans un climat où la croissance est retombée à presque zéro depuis la rentrée et que pointe le spectre d'une récession, ses arguments sont assez nouveaux. Selon lui, la théorie selon laquelle « le dernier kilomètre » de la désinflation serait le plus ardu n'est pas certaine.

C'est donc une bonne nouvelle en marche et en réalité, comme l'a montré l'euphorie, sans doute prématurée des marchés, la baisse des taux est en partie réalisée notamment sur les taux longs, revenus en France sous les 3%, soit 1 point plus bas que le principal taux directeur de la BCE. Cette inversion de la courbe des taux (à ne pas confondre avec celle de la courbe du chômage, qui lui remonte depuis quelques mois), est une bonne nouvelle pour les emprunteurs, qu'il s'agisse de l'Etat qui va devoir lever sur les marchés 285 milliards d'euros de dettes l'an prochain, mais aussi des entreprises pour investir dans la décarbonation ou des ménages à la recherche d'un crédit immobilier. Et si finalement, après un début poussif, 2024 était une bonne année pour l'économie ?