Attaques des Houthis en mer Rouge : les navires de Maersk évitent le détroit stratégique de Bab al-Mandeb

Les attaques, revendiquées par les rebelles Houthis au Yémen, continuent de se multiplier ces derniers jours contre les navires de commerce au sud de la mer Rouge. Au centre de l'attention se trouve le détroit de Bab el-Mandeb, point stratégique du commerce maritime mondial, situé juste au sud du Canal de Suez. Le géant danois du transport maritime Maersk a annoncé ce vendredi avoir ordonné à ses navires de ne plus passer par ce détroit stratégique pour le commerce international jusqu'à nouvel ordre, suivi quelques heures plus tard par l'armateur allemand Hapag-Lloyd.
Les rebelles Houthis, basés au Yémen, sont à l'origine d'attaques revendiquées sur fond de conflit entre Israël et le Hamas.
Les rebelles Houthis, basés au Yémen, sont à l'origine d'attaques revendiquées sur fond de conflit entre Israël et le Hamas. (Crédits : Reuters)

Depuis deux semaines, les attaques ne cessent de se multiplier contre les bateaux croisant dans le sud de la mer Rouge. Des navires de commerce, des pétroliers et même des bâtiments militaires sont pris pour cibles par des groupes fortement armés et entraînés - bien davantage que les pirates - et qui sont déterminés à les endommager, voire les aborder. Les rebelles Houthis, basés au Yémen, sont à l'origine de ces attaques revendiquées sur fond de conflit entre Israël et le Hamas. Ce vendredi, ils ont ainsi affirmé par la voix de leur porte-parole militaire avoir mené « une opération militaire contre deux porte-conteneurs, MSC Alanya et MSC Palatium III, qui se dirigeaient vers l'entité israélienne ». Comme le rapporte l'AFP, les navires de l'armateur suisse MSC ont été visés par deux missiles au prétexte que celui-ci a « coopéré avec Israël » selon l'analyse de la société de renseignement maritime Ambrey.

Cela vient s'ajouter à une liste déjà longue. Fin novembre, les Houthis s'étaient emparés du navire commercial Galaxy Leader - dont l'équipage est toujours détenu - et tenté de faire de même avec le pétrolier Central Park, tous deux possédés par des hommes d'affaires israéliens. Dans le même temps, le porte-conteneur Symi, également lié à un homme d'affaires israélien mais affrété par le groupe français CMA CGM (propriétaire de La Tribune) selon l'Associated Press citant une source militaire américaine, a subi une attaque de drone. Et ces derniers jours, la menace s'est élargie : les Houthis ont envoyé des drones contre la frégate multi-missions (Fremm) Languedoc de la Marine nationale le 10 décembre, qui les a abattus, ou encore tiré un missile sur le pétrolier norvégien Strinda le 11 décembre au prétexte qu'il se dirigeait vers Israël.

La menace est telle que dès début décembre, le Commandement militaire américain au Moyen-Orient (Centcom) dénonçait « une menace directe pour le commerce international et la sécurité maritime ».

Alors que les conséquences semblaient limitées jusqu'ici, les choses pourraient basculer rapidement : le géant danois du transport maritime Maersk a annoncé ce vendredi qu'il suspendait le passage de ses navires par cette zone suite à l'attaque de son navire Gibraltar hier. Et un effet boule de neige n'est pas à exclure au vu de la décision de l'armateur allemand Hapag-Lloyd, qui a annoncé peu après suspendre ses liaisons jusqu'à lundi. Toujours ce vendredi, la ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, a déclaré que « non seulement ces attaques mettent en danger la sécurité d'Israël mais (qu'elles) menacent également le transport maritime international. »

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Un point de passage stratégique du commerce maritime

Si les dégâts de ces attaques sont pour le moment limités, la menace est d'autant plus prise au sérieuse qu'elle touche une région névralgique du trafic maritime mondial, en particulier autour du détroit de Bab el-Mandeb, entre la péninsule arabique et la Corne de l'Afrique, qui relie l'océan Indien, via le Golfe d'Aden, à la mer Rouge. Il est un point de passage obligé de nombreux navires commerciaux puisqu'il est situé juste au sud du canal de Suez. Ce canal navigable situé en Egypte voit ainsi passer environ 10% du commerce maritime mondial. Rien qu'en 2022, près de 25.000 navires l'ont emprunté, soit en moyenne 68 par jour, selon les chiffres de l'Autorité du canal. Plusieurs dizaines de navires « sous intérêt français », c'est-à-dire exploités ou affrétés par des compagnies maritimes françaises, sont ainsi présents ou en transit dans la région. Plus globalement, le détroit de Bab-el-Mandeb, le golfe d'Aden et le détroit d'Ormuz représentent 25% du trafic maritime mondial, d'après une note de l'ISEMAR de novembre 2023.

Le détroit de Bab-el-Mandeb est donc crucial pour le commerce mondial, avec des dizaines de milliers de conteneurs empruntent chaque jour cette route pour relier l'Asie à l'Europe. Mais c'est aussi un goulet d'étranglement critique pour le passage des hydrocarbures, notamment en provenance du golfe persique. « Depuis la guerre en Ukraine, davantage de produits circulent, notamment depuis le golfe persique vers l'Europe mais également de la Russie vers l'Asie », constate Paul Tourret, directeur de l'Institut supérieur d'économie maritime (ISEMAR) et Docteur en géographie. Au premier semestre 2023, d'après les chiffres de l'agence d'information sur l'énergie des États-Unis, environ 12% du total du pétrole négocié pour le commerce maritime et près de 8% du commerce mondial de gaz naturel liquéfié (GNL) sont passés par cette zone. A cela s'ajoutent des bateaux en transit comme des navires de service ou des paquebots de croisière, qui passent par le détroit pour se repositionner sur une nouvelle zone.

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Des attaques d'une toute autre ampleur

Ces enjeux expliquent largement la nécessité pour les armateurs de s'adapter à cette situation. Pierre-Antoine Rochas, responsable sécurité, sûreté et ports d'Armateurs de France y voit un danger d'un tout autre calibre que celui des pirates qui sévissaient dans la zone il y a encore quelques années, notamment en provenance de Somalie. Si les drones et les missiles ont occupé le devant de la scène, des tentatives d'abordage ont également eu lieu autour du détroit de Bab el-Mandeb, avec des « modes opératoires et des équipements professionnels à un niveau de menace encore différent de celui des attaques de piraterie et des moyens supérieurs », explique-t-il en précisant que cela est déjà allé jusqu'à l'emploi d'un hélicoptère. Ce qui « rend assez difficile pour un navire de commerce de prévenir ou de résister à de telles tentatives d'arraisonnement ».

Si cette menace n'est pas nouvelle, les attaques s'intensifient : « L'actualité récente a montré qu'il y a de nombreuses attaques de drones aériens, de fabrication artisanale, et des frappes de missiles. Nous rencontrons ce type d'attaques depuis plus d'un an, à une intensité moindre, mais il y a une évolution de la menace », précise Pierre-Antoine Rochas. Une évolution en intensité, mais aussi en périmètre. « Initialement, la menace était très ciblée sur les navires qui avaient un facteur de rattachement à Israël, de par sa propriété, son affrètement ou son pavillon. Désormais, la hausse des tensions fait craindre un ciblage des navires sous intérêts plus larges, occidentaux, en direction ou en provenance d'Israël. » Ce que les récentes attaques sur le Strinda ou le Languedoc semblent confirmer, tout comme celles contre les navires de l'armateur MSC.

Pierre-Antoine Rochas concède que cette évolution du périmètre est dure à évaluer et n'exclut pas que celui-ci puisse encore s'élargir par la suite. Si le sud de la mer Rouge est l'épicentre de la menace, avec les Houthis, le risque est aussi présent de façon plus large au Moyen-Orient.

« Nous ne savons pas jusqu'où cela va aller et ces événements demandent beaucoup de vigilance aux armateurs », s'inquiète le responsable sécurité, sûreté et ports d'Armateurs de France.

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Des attaques d'une toute autre ampleur

Ces enjeux expliquent largement la nécessité pour les armateurs de s'adapter à cette situation. Pierre-Antoine Rochas, responsable sécurité, sûreté et ports d'Armateurs de France y voit un danger d'un tout autre calibre que celui des pirates qui sévissaient dans la zone il y a encore quelques années, notamment en provenance de Somalie. Si les drones et les missiles ont occupé le devant de la scène, des tentatives d'abordage ont également eu lieu autour du détroit de Bab el-Mandeb, avec des « modes opératoires et des équipements professionnels à un niveau de menace encore différent de celui des attaques de piraterie et des moyens supérieurs », explique-t-il en précisant que cela est déjà allé jusqu'à l'emploi d'un hélicoptère. Ce qui « rend assez difficile pour un navire de commerce de prévenir ou de résister à de telles tentatives d'arraisonnement ».

Si cette menace n'est pas nouvelle, les attaques s'intensifient : « L'actualité récente a montré qu'il y a de nombreuses attaques de drones aériens, de fabrication artisanale, et des frappes de missiles. Nous rencontrons ce type d'attaques depuis plus d'un an, à une intensité moindre, mais il y a une évolution de la menace », précise Pierre-Antoine Rochas. Une évolution en intensité, mais aussi en périmètre. « Initialement, la menace était très ciblée sur les navires qui avaient un facteur de rattachement à Israël, de par sa propriété, son affrètement ou son pavillon. Désormais, la hausse des tensions fait craindre un ciblage des navires sous intérêts plus larges, occidentaux, en direction ou en provenance d'Israël. » Ce que les récentes attaques sur le Strinda ou le Languedoc semblent confirmer, tout comme celles contre les navires de l'armateur MSC.

Pierre-Antoine Rochas concède que cette évolution du périmètre est dure à évaluer et n'exclut pas que celui-ci puisse encore s'élargir par la suite. Si le sud de la mer Rouge est l'épicentre de la menace, avec les Houthis, le risque est aussi présent de façon plus large au Moyen-Orient.

« Nous ne savons pas jusqu'où cela va aller et ces événements demandent beaucoup de vigilance aux armateurs », s'inquiète le responsable sécurité, sûreté et ports d'Armateurs de France.

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Une incidence encore limitée

Avant ce vendredi et la décision de Maersk, les conséquences étaient encore limitées. Interrogé par La Tribune un peu plus tôt cette semaine, Éric Martin-Neuville, directeur général de l'activité de Commission de transport international de Geodis, filiale logistique de la SNCF, assurait qu'« à date, cela n'a pas eu d'incidences très fortes sur les flux et sur les opérations. Et donc pour l'instant, dans la pratique réelle, l'impact est quasi nul ».

Cela ne l'empêchait pas d'être déjà inquiet et très vigilant quant à l'évolution de la situation : « Nous surveillons étroitement ces évolutions. Si le nombre de ces interventions et si leur impact augmente, cela pourrait obliger les navires à faire le tour par le cap de Bonne-Espérance (Afrique du Sud) et donc rallonger les temps de mer de presque une vingtaine de jours. C'est peu probable, mais cela reste un risque. » La décision de Maersk montre que ce risque est bien réel.

Et comme le pointait également Éric Martin-Neuville, une deuxième conséquence est possible, voire probable, à savoir l'augmentation des primes d'assurance et donc l'inflation des coûts de transport. « Ce n'est pas encore très visible, mais cela va finir par le devenir », déclarait-il ainsi en précisant que « si demain, la menace grandissait, il est fort probable que le mouvement vers le cap de Bonne-Espérance serait général ». La hausse des primes d'assurance pourrait conduire à des arbitrages par les chargeurs « avec des compagnies qui décideraient de passer par Suez, et des compagnies qui décident de passer par Bonne-Espérance avec des surprimes dans un cas et des sous primes dans l'autre ».

Le dirigeant de Geodis a soulevé un troisième point « moins important en volume et qu'il ne faut pas négliger », à savoir l'impact sur l'approvisionnement du marché israélien. Celui-ci est le plus touché entre les navires israéliens ou apparentés directement pris pour cible, et les compagnies maritimes évitant de faire escale dans les ports israéliens. Sur les flux entre la Chine et l'Europe, cette situation pourrait conduire les chargeurs à organiser une étape intermédiaire en Méditerranée pour pouvoir desservir ensuite Israël afin de limiter les risques et les primes d'assurance.

Si l'impact sur les taux de fret « n'est pas significatif » à l'heure actuelle selon Eric Martin-Neuville et Pierre-Antoine Rochas, la prudence est de mise sur l'évolution des coûts. Avant de suspendre ses routes dans la région, le géant danois Maersk avait déjà annoncé introduire une surcharge, de 50 à 100 dollars selon le type de conteneur, pour la desserte d'Israël l'an prochain « pour risque d'urgence » afin de couvrir la hausse des primes d'assurance. Et toute attaque « réussie » sur un navire pourrait faire brutalement évoluer la situation.

Mesures de protection

Pour limiter ce risque tout en continuant de passer par la mer Rouge, un certain nombre de dispositions ont d'ores et déjà été prises comme l'explique Pierre-Antoine Rochas pour Armateurs de France. Elles passent par l'adaptation des bonnes pratiques et des mesures de protection qui avaient été développées face à la piraterie, dont une partie est devenue obsolète face à cette menace d'un tout autre niveau. Armateurs de France s'appuie ainsi sur les données et les recommandations fournies par la Marine nationale, ainsi que par le centre français d'analyse et d'évaluation de la situation de sûreté maritime mondiale Mica Center, pour adapter la conduite à tenir à bord des navires dans la zone. Cela porte sur la navigation, avec l'utilisation de routes spécifiques, quitte à allonger les temps de trajet, et sur la vigilance, avec une surveillance continue en passerelle, pour éviter le contact, mais aussi sur les comportements à adopter et les informations à communiquer en cas d'attaque. A cela s'ajoutent des mesures spécifiques dans chaque compagnie.

Paul Tourret, directeur de l'ISEMAR, pointe du doigt les données de l'AIS qui sont publiques. Le système d'identification automatique permet aux navires et aux systèmes de surveillance de connaître la position, l'identité, ainsi que la route des navires en temps réel. Accessible par tous, ces informations sont dès lors précieuses pour les Houthis.

Armateurs de France appelle aussi à un renforcement de la présence militaire sur zone pour protéger le commerce maritime. Eric Martin-Neuville juge que les interventions des marines occidentales, notamment américaines, ont permis de protéger efficacement les navires jusqu'ici. Cela a d'ailleurs été le cas avec le pétrolier Strinda, déjà touché par un missile le 11 décembre. La Marine nationale française a indiqué le lendemain avoir « intercepté et détruit un drone menaçant directement le Strinda » avec la Fremm Languedoc, qui « s'est ensuite placée en protection du bâtiment touché, empêchant la tentative de détournement du navire ».

Outre les forces des pays locaux, plusieurs marines de guerre sont déjà présentes dans la zone, dont les marines américaine, britannique et française, mais aussi chinoise, indienne, japonaise et encore récemment russe. Ce renforcement pourrait passer par un appui sur des opérations en cours, comme la mission européenne Atalante lancée en 2008 pour lutter contre la piraterie. Ce qui nécessite tout de même d'en adapter le mandat.

Pourquoi les Houthis s'en prennent à des navires commerciaux ?

Le détroit de Bab el-Mandeb est situé dans une région instable où sévit la piraterie ou encore le terrorisme. Depuis 2014, la guerre civile au Yémen a intensifié les tensions. Ce conflit, qui opposait à l'origine les rebelles chiites Houthis au gouvernement, a pris une ampleur internationale avec l'intervention d'une coalition de dix Etats menés par l'Arabie saoudite. Les Houthis, soutenus par l'Iran, contrôlent désormais presque tout l'est du pays dont la capitale Sanaa. Depuis 2014, 400.000 personnes ont péri à cause de cette guerre.

Ce n'est pas la première fois que des rebelles yéménites s'en prennent à des navires. En 2018, deux pétroliers saoudiens ont été attaqués en mer Rouge, entraînant une suspension par l'Arabie saoudite de toutes les livraisons de pétrole par le détroit pendant dix jours.

Le conflit entre Israël et le Hamas a provoqué de nouvelles tensions dans la région. Les rebelles ont rejoint « l'axe de la résistance » contre Israël, avec l'Iran et le Hezbollah libanais. Les rebelles s'en prennent depuis aux navires qui ont des intérêts israéliens pour soutenir le Hamas, tout en demandant qu'une aide humanitaire soit apportée aux Palestiniens.

« Personne n'avait prévu qu'un jour les Houthis s'attaqueraient à des bateaux pour des raisons politiques », note Paul Tourret, directeur de l'ISEMAR et Docteur en géographie, surpris que les Houthis prennent part au conflit qui oppose le Hamas et l'Israël. « La différence aujourd'hui c'est que les rebelles sont soutenus par l'Iran, qui leur fournissent des moyens plus importants comme des drones », complète-t-il.

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Commentaires 4
à écrit le 16/12/2023 à 9:44
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On veut nous faire croire que cela ne sont que "des causes" mais en fait ce sont "les conséquences" de politique prédatrice des pays consommateurs !

à écrit le 16/12/2023 à 0:07
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C'est une déclaration de guerre ouverte qui mérite d'être prise en compte afin d'éviter que le problème dégénère et par de surcroît affecte le commerce maritime. Il faut des opérations militaires pour faire régner la sécurité dans ce Detroit

le 16/12/2023 à 12:20
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"il faut " et qui va en prendre l'initiative? alors même que les bateaux ont d'autres itinéraires beaucoup moins couteux qu'une guerre !!!

à écrit le 15/12/2023 à 21:15
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Il va finir par faire mauvais temps pour les Houthis. On pourrait, par exemple, donner leur pays aux Palestiniens qui se cherchent désespérément un État... On ne s'attaque pas au pétrole

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