Salariés contaminés : la lame de fond qui attend l’Etat et les entreprises

Par Thibaut Gribelin (*)  |   |  611  mots
"Etant donné le nombre de cas potentiels, les montants réclamés aux entreprises pourraient se révéler astronomiques", craint Thibaut Gribelin. (Crédits : Reuters)
OPINION. Des millions de salariés continuent à travailler en période de confinement, mais compte-tenu des risques accrus de contamination par le coronavirus sur les lieux de travail, les entreprises et l’Etat doivent s’attendre à une vague de réclamations inédite. (*) Par Thibaut Gribelin, avocat au barreau de Paris, spécialisé en assurance et fraude financière.

Alors que les mesures de confinement ordonnées par le Gouvernement ont été prolongées, les filières essentielles de l'industrie et des services continuent à fonctionner à plein régime. On pense bien évidemment aux métiers de l'agro-alimentaire, comme à ceux qui dépendent de ce secteur, à l'eau, l'énergie, la santé, les télécommunications et les services publics. Au total, ce sont donc plusieurs millions de personnes qui continuent à aller travailler en dépit des risques de contamination par le coronavirus 2 (dit « SARS-CoV-2 »), à l'origine du Covid-19.

Compte-tenu des risques accrus auquel sont exposés ces salariés, il faut donc s'attendre à ce qu'un nombre très important d'entre eux tombent malades sur leur lieu de travail ; auquel cas, ils auront contracté une maladie professionnelle et recevront une rente forfaitaire en contrepartie de leurs pertes de salaire. C'est donc la caisse d'assurance maladie dont ils dépendent qui se substituera à l'employeur.

Des actions en responsabilité civile

Mais ce sujet ne s'arrête par là car en pratique, ces salariés auront toutes les raisons d'engager la responsabilité civile de leur employeur pour se faire indemniser. Et étant donné le nombre de cas potentiels, les montants réclamés aux entreprises pourraient se révéler astronomiques. Les raisons sont plurielles. La première est que l'employeur est tenu d'assurer la sécurité de ses salariés sur leur lieu de travail et que tout manquement à cette obligation constitue une « faute inexcusable » permettant au salarié d'obtenir une majoration de la rente qui lui est allouée, rente qui doit alors être supportée par l'entreprise elle-même et non plus par la caisse d'assurance maladie.

Par ailleurs, chaque salarié pourra demander des dommages et intérêts pour compenser, notamment, les souffrances physiques et morales endurées, l'anxiété causée par la maladie, ainsi que, dans les cas les plus graves, la diminution des possibilités de promotion professionnelle, l'incapacité temporaire de poursuivre ses activités professionnelles ou privées, et la privation des agréments d'une vie normale. Cette indemnisation peut aussi comprendre l'aménagement du véhicule et du logement en cas de complications donnant lieu à un handicap. Par le passé, de nombreux salariés exposés au VIH, à l'hépatite C ou à l'amiante, ont pu bénéficier de ce dispositif.

Une situation insoluble

À cet égard, l'employeur se trouve dans une situation insoluble puisqu'en dépit de toutes les mesures préventives qu'il pourrait instaurer pour protéger ses salariés, si certains sont infectés par leurs collègues ou le public, sa responsabilité sera systématiquement retenue et il devra les indemniser. Les entreprises pourraient alors se tourner vers les assureurs qui couvrent leur responsabilité civile, mais encore faut-il que ces contrats d'assurance couvrent le risque de condamnation pour faute inexcusable et que ce risque soit suffisamment couvert en termes de montants. Or, pour les entreprises ayant de très nombreux salariés, il y a malheureusement fort à craindre que les garanties offertes soient insuffisantes.

Le problème de la couverture de la faute inexcusable de l'employeur est d'autant plus inquiétant que la plupart des contrats d'assurance sont actuellement en période de renégociation, en vue de leur renouvellement au mois de juin 2020. Cela signifie que les assureurs tenteront de limiter, voire de supprimer cette garantie dans les nouveaux contrats, ou augmenteront drastiquement le montant des primes d'assurance.

La vague de réclamations et les lourdes pertes qui en découleront sont donc bien réelles. Le Gouvernement, qui encourage les entreprises des secteurs essentiels à maintenir leurs activités pendant le confinement, pourrait devoir leur venir en aide avant la fin de l'année 2020.