Comment la presse étrangère juge la politique économique française

Par Eric Marquis  |   |  1250  mots
Emmanuel Macron (Crédits : Reuters)
LA CHONIQUE DES LIVRES ET DES IDÉES. Les correspondants de la presse étrangère en France sont plutôt optimistes pour l'Hexagone, selon l'enquête menée par la journaliste Lysiane Baudu, dans "Regards croisés. L'économie française vue par les correspondants étrangers" (éd. Ateliers Henry Dougier). Ils saluent le vent de réformes impulsées par Emmanuel Macron, mais constatent que le pays souffre encore de nombreuses pesanteurs. Bref il faut aller plus loin, plus fort.

Les Français sont « réconciliés avec l'entreprise et l'entrepreneuriat » ! Ce n'est pas la presse française qui l'affirme mais Thomas Hanke, du quotidien économique allemand Handelsblatt. « Le monde économique, à l'étranger, a un tout autre regard sur la France », ajoute son compatriote Christian Schubert, de la Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ), tandis qu'Adam Roberts, de The Economist, constate que « les Français qui ont l'esprit d'entreprise auraient plutôt tendance à rester dans l'Hexagone ».

Parle-t-on vraiment de ce peuple que les études d'opinion classent régulièrement parmi les plus pessimistes au monde ? Qu'est-ce qui a changé ?

"Si on veut, on peut"

Interrogés par la journaliste Lysiane Baudu, les 20 correspondants de la presse étrangère en France, qui dans leur grande majorité portent un regard optimiste sur l'Hexagone (« Toute cette histoire du franco-français, c'est fini », lâche même Vaiju Naravane, du quotidien indien The Hindu) seraient-ils encore sous le charme de l'état de grâce macronien ? « C'est la première fois depuis que je suis venu en France, en 1994, qu'il y a une véritable volonté de changer les choses, et d'une manière intelligente », s'enthousiasme Leigh Thomas, de Thomson Reuters. Certes, « l'accélération récente des réformes a donné davantage de confiance aux investisseurs étrangers », relève Han Bing, de l'agence Chine nouvelle, quand Stephan de Vries, de RTL Pays-Bas applaudit : « Emmanuel Macron dégage l'impression que si on veut, on peut. »

En réalité, rappelle Richard Werly, du quotidien suisse Le Temps, « il y a eu une réhabilitation de l'entreprise depuis l'automne 2014 » (soit le budget 2015, le premier de Valls Premier ministre, comportant notamment montée en puissance du CICE et une baisse des taxes sur les entreprises) mais « le président Macron l'assume beaucoup plus que François Hollande auparavant », souligne malicieusement Anne-Sylvaine Chassany, du Financial Times.

A priori libéral

La plupart de ces journalistes ont un a priori libéral qui s'explique aisément, reconnaît l'auteure, longtemps grand reporter international à La Tribune : « Il est normal que les correspondants interrogés s'appuient, pour juger les réformes économiques françaises, sur le fonctionnement de l'économie de leur pays », dont l'économie est plus libéralisée qu'en France. Collaboratrice du journal italien de gauche Il Manifesto, Anna Maria Merlo, évoque même un « long parcours vers une normalisation de l'exception française ».

Voici pour la carotte. Mais il y a aussi le bâton. La plupart des correspondants sont optimistes pour l'avenir du pays mais beaucoup ne cachent pas leur frustration : « Avec tous les atouts qu'a la France, elle pourrait faire beaucoup mieux ! »

La perte du tissu industriel

Malheureusement, elle « reste encore une économie très administrée », déplore Anne-Sylvaine Chassany, du Financial Times, qui considère que « la France ne profite pas à fond de la reprise économique, car elle a perdu une grande partie de son tissu industriel ». La French Fab« Le fait qu'on emploie une expression en anglais veut tout dire ! Cela n'existe pas en français ! », ricane Alexey Tarkhanov, du quotidien économique russe Kommersant.

La France est-elle une startup nation ? Les confrères étrangers sont partagés. « Le mouvement des startuppers, nouvelle génération d'entrepreneurs de la French Tech, reste un phénomène assez circonscrit, assez parisien, même si d'autres grandes villes, comme Bordeaux, Toulouse ou Montpellier, sont également touchées », analyse Anne-Sylvaine Chassany, du Financial Times. Il faudrait non seulement que ce mouvement s'élargisse mais, en plus, que « la France ne soit pas juste une startup nation, mais une scale up nation », suggère Adam Roberts, de The Economist : les startups françaises ont du mal à atteindre la maturité, surtout à l'international. « Il suffit de regarder les licornes ! La plupart sont américaines, même s'il y en a quelques-unes dans les pays scandinaves et en Chine », observe Andrei Netto, correspondant du quotidien brésilien O Estado de S. Paulo.

 --> Lire : La French Tech va-t-elle enfin engendrer des licornes ?

Les handicaps français, les journalistes étrangers les discernent précisément. D'abord, un certain manque d'ambition. « Les Français n'attachent pas assez d'importance à la promotion de leurs activités », pense Han Bing, de l'agence Chine nouvelle.

Le problème du système éducatif

Ensuite, le système éducatif « forme de bons fonctionnaires, des académiciens et même des petits génies de la technique, mais ne forme pas pour une économie moderne », résume Enric Gonzalez, du quotidien espagnol El Mundo. Les « compétences sociales », l'« intelligence émotionnelle » ne sont pas valorisées, regrette Adam Roberts, de The Economist. Plusieurs correspondants étrangers fustigent un système devenu « élitiste et inégalitaire » à force de former des élites, qui de surcroît « fonctionnent entre elles », avec un « comportement normatif », selon les termes d'Ana Navarro Pedro, du magazine portugais Visao, regrettant que « le temps béni des Trente Glorieuses, qui offrait [des] occasions de monter dans l'échelle sociale, [soit] bel et bien révolu » - il est vrai que le pourcentage d'étudiants d'origine populaire admis à l'ENA, à Normale Sup et à Polytechnique a baissé de moitié entre 1968 et 1990. « Les Français sont obsédés par les diplômes », s'étonne Vaiju Naravane, de The Hindu ; « Les questions en France sont encore trop souvent : d'où viens-tu ? Qui sont tes parents ? Qu'est-ce que tu as étudié ? », renchérit Alexey Tarkhanov, de Kommersant - « Les mêmes questions qui se posaient chez lui, avant que la Perestroïka ne dynamite le système », remarque Lysiane Baudu... Si élitisme il y a, il a au moins un coté positif : « Nombre de cadres dirigeants, dans des entreprises du monde entier, sont français », insiste Adam Plowright, du service anglais de l'AFP, qui, moins sévère que ses confrères, salue aussi « la bonne formation des employés français - un élément essentiel pour les investisseurs étrangers ». Les solutions ? Multiplier par deux ou trois les diplômés des grandes écoles (Christian Schubert, FAZ), et, comme s'y attache le gouvernement, réformer la formation professionnelle, réorganiser et développer l'apprentissage (Thomas Hanke, Handelsblatt).

Le manque de fonds disponibles

Troisième handicap, le manque de fonds disponibles. L'auteure donne l'exemple de Price Minister, vendu aux Japonais faute de pouvoir se développer.

--> Lire Amélie de Montchalin : « Nous voulons doubler l'épargne des Français injectée dans les PME »

 Enfin, l'économie française souffre de la faiblesse de culture patronale de nos compatriotes : ainsi, « les startuppers français ne se voient pas dans la durée », se précipitant pour vendre après deux ou trois ans, juge Richard Werly, du Temps.

Il y a donc loin de la coupe aux lèvres. « Les changements sont limités, et n'ont rien de révolutionnaire ! », tranche Adam Roberts, de The Economist. Même la communication gouvernementale  ne trouve pas grâce aux yeux de plusieurs correspondants étrangers. La startup nation ? « Il faut distinguer entre la campagne de marketing gouvernementale et la réalité », grince Leigh Thomas, de Thomson Reuters. La French Fab ? L'expression a tout du « gimmick », soupire Anne-Sylvaine Chassany, du FT. Après des décennies de postures déclinistes (Valéry Giscard d'Estaing : la France, « puissance moyenne » ; François Mitterrand : « Contre le chômage, on a tout fait »), ne peut on pas au moins faire crédit au gouvernement d'accompagner des objectifs ambitieux par un volontarisme gaullien ?

(*) Lysiane Baudu, Regards croisés. L'économie française vue par les correspondants étrangers, éditions Ateliers Henry Dougier, 2018, 122 pages, 14 euros.