Et si Macron faisait une nouvelle réforme "de gauche" de l'ISF ?

Par Philippe Mabille  |   |  1418  mots
EDITO. La réforme de l'ISF provoque des remous y compris dans la majorité en Marche. L'interview d'Emmanuel Macron sur TF1 dimanche n'a pas convaincu le Modem qui prépare des amendements pour clarifier cette réforme emblématique du quinquennat. Et si la réforme Macron était conditionnée à des engagements réels de réinvestissement dans l'économie productive ? C'est possible et même relativement simple à faire...

Jupiter n'a pas convaincu les Français et cette image de "Président des riches" commence à coller à la peau d'Emmanuel Macron. L'enquête exclusive mensuelle BVA-La Tribune montre que la suppression de l'ISF, remplacé par un impôt sur la fortune immobilière, n'est soutenue que par 36% des Français. Dimanche dernier sur TF1, le chef de l'Etat a encore répété qu'il assumait la réforme impopulaire de l'ISF, supprimé à compter de 2018 et remplacé par un impôt sur la fortune immobilière, l'IFI. L'argument employé par le président est emprunté à l'alpinisme : pour que l'économie se développe, "il faut soutenir les premiers de cordée". Il s'agit d'inciter les plus riches à réinvestir dans les entreprises en France.

Le changement d'assiette de l'ISF ne passe pourtant pas, non seulement à gauche, où Mélenchon et ce qu'il reste du PS dénoncent à qui-mieux-mieux la théorie implicite du "ruissellement" ("les miettes de l'argent des riches" qui finiraient par tomber sur la table des pauvres), mais aussi au sein de la majorité En marche. Jusqu'ici, Emmanuel Macron espérait en sortir en soutenant, d'abord discrètement, puis officiellement dimanche sur TF1, les amendements de ses députés qui veulent taxer les "signes extérieurs de richesse" par des impôts spécifiques, sur les yachts, les lingots d'or ou les voitures de grosse cylindrée. Mais le vote de la suppression de l'ISF continue de faire des remous et même François Bayrou, son allié du Modem, s'en est ému. Le Modem veut d'ailleurs proposer une alternative, consistant à repartir du périmètre de l'ISF actuel et à en sortir la détention de titres de société, sur le modèle des pactes d'actionnaires Dutreil, précise Marc Fesneau, le président du groupe Modem à l'Assemblée nationale.

A bien y regarder, la proposition n'est guère satisfaisante, ni sûre d'un point de vue juridique ou fiscal. Elle risque en outre de geler encore plus le capital, alors que l'idée est au contraire de le rendre plus mobile. Le gouvernement devrait donc s'en tenir à sa version qui a le mérite de la clarté : supprimer l'ISF et en faire un impôt sur l'immobilier, le pari étant que les "riches" seront obligés de réinvestir ailleurs que dans la pierre ou dans des yachts, et donc dans l'économie. Tout cela est cohérent, à un gros détail près. Les riches qui ont déjà fui la France et que l'on espère voir revenir, savent très bien que la droite a déjà supprimé entre 1986 et 1988 l'impôt sur les grandes fortunes (IGF)... pour deux ans et que la gauche de retour au pouvoir s'est empressée de le rétablir sous le nom d'ISF.

En fait, le vrai défi de la réforme de l'ISF est moins de la rendre populaire, ce qui est impossible, mais acceptable et acceptée par ses opposants, au nom d'arguments rationnels et de nature à pérenniser cette réforme dans le temps. Rien ne serait pire à long terme pour l'image de la France qu'un nouveau jeu de yo-yo fiscal sur un sujet aussi sensible. Les arguments rationnels ne manquent pas : la France est l'un des derniers pays à maintenir un impôt sur le patrimoine aussi large et avec des taux aussi élevés, ciblant en outre de par son nom même indifféremment ceux qui sont riches par héritage et ceux qui le sont devenus récemment parce qu'ils ont formidablement réussi. C'était l'un des credo fiscaux du candidat Macron : il faut encourager le risque et taxer la rente et ce point fait désormais plutôt consensus. Deuxième argument rationnel, qu'a mis en avant le président de la République : il est absurde de conserver un impôt qui taxe des actions de sociétés, conduisant, au gré des dilutions et autres changements de capitaux, à des comportements capitalistes déviants : versement de dividendes exorbitants aux actionnaires familiaux pour leur permettre de payer leur ISF sur des titres qu'ils ne peuvent pas (cas des pactes d'actionnaires) ou ne veulent pas vendre (sauf à passer pour des traîtres à leur famille). On ne compte plus le nombre de belles « boîtes » familiales qui ont disparu, ou ont été rachetées par des capitalistes étrangers, à cause des effets pervers de l'ISF. La stagnation du "Mittelstand" français, du nombre des ETI (entreprises de taille intermédiaire) n'a pas d'autres causes.

Même la gauche, sous Jospin, ou sous Hollande, s'est efforcée de corriger ce vice de conception de l'ISF, déjà identifié par François Mitterrand lorsqu'en 1982 il s'était rangé aux arguments d'Yvon Gattaz, alors président du CNPF (ancêtre du Medef, présidé aujourd'hui par son fils Pierre...) pour en exonérer le patrimoine professionnel, c'est-à-dire l'outil de travail. Mais cela a été fait dans des conditions intenables sur la durée (être mandataire social dirigeant détenant plus de 20% du capital). Du coup, autre effet pervers, on a favorisé le vieillissement des dirigeants et empêché la transmission aux générations nouvelles. Les curseurs ont été allégés avec le temps, mais le vice originel de l'ISF demeure.

A la recherche de la stabilité fiscale

Les arguments économiques pourraient suffire à convaincre toute personne raisonnable, même Jean-Luc Mélenchon, que oui, il est urgent et vital de supprimer l'ISF dans sa partie « capital investi dans l'économie créatrice d'emplois ». Mais, hélas, la démagogie est souvent la plus forte surtout dans une époque de montée des populismes. Dés lors, la vraie question est : comment faire en sorte que personne, même pas une nouvelle majorité ne revienne en arrière dans l'avenir ? Comment donner à la fiscalité du capital une stabilité, meilleur gage pour attirer les investisseurs sur le long terme ?

Par exemple, pourquoi ne pas poser des conditions à l'exonération des actions dans la base fiscale de l'ISF ? Après tout, il existe déjà un mécanisme qui permet de déduire de son impôt 50% des sommes que l'on réinvestit dans des entreprises ? Une mesure simple consisterait à supprimer tout plafonnement, à hauteur de 100% de l'impôt théoriquement dû sur la partie « action » d'un patrimoine, la partie « immobilière » restant inchangée et sanctuarisée. Une telle mesure compliquerait un peu le calcul de l'impôt, mais ce ne serait pas pire que l'usine à gaz fiscale de la nouvelle taxation de l'assurance-vie qui applique le prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 30% aux produits financiers des nouveaux versements sur les contrats dépassant 150.000 euros, une aberration fiscale qui n'était pas dans le programme d'Emmanuel Macron et que les "technos" de Bercy ont imposé.

Porter à 100% de l'ISF sur l'assiette action la possibilité de déduire de l'impôt les investissements dans les PME, voilà une solution simple et politiquement plus correcte que la suppression brutale de l'ISF. Elle aurait l'avantage de garantir que l'avantage fiscal ainsi accordé ne soit pas gelé dans des dépenses improductives. Cette version « de gauche » de la réforme de l'ISF se heurte toutefois à une limite de taille : il n'est pas possible d'obliger les gens à réinvestir en France seulement, en raison des règles européennes. Mais, de même que la version « de droite » d'une suppression pure et simple de l'ISF « action » ne garantit en rien que l'argent soit réinvesti dans les entreprises françaises, peut-être peut-on compter sur le « patriotisme économique » des bénéficiaires, les fameux « premiers de cordée » d'Emmanuel Macron... En outre, cela coûterait moins cher au budget, un argument auquel Bercy est sensible. En ces temps de disette budgétaire, pas facile de faire de la suppression de 3 milliards d'euros d'ISF une priorité.

On l'a bien vu partout, en Argentine comme en Grèce ou même en Italie : les pays qui s'effondrent sont ceux dont les riches élites préfèrent placer leur fortune à l'étranger que dans leur propre économie. Au-delà d'une question technique, la réforme de l'ISF est aussi un symbole politique : celui du rétablissement de la confiance entre « ceux qui réussissent et ceux qui ne sont rien », selon la formule employée par le président lors de l'inauguration de l'incubateur géant Station F. C'est d'abord à cette couture-là que doit s'atteler Jupiter-Macron. Il pourrait s'y atteler en reconnaissant qu'il n'est pas trop tard pour réviser sa copie.