Ne pas opposer les énergies bas carbone, nucléaire et renouvelables entre elles

Par Bruno Alomar, économiste (*)  |   |  1077  mots
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OPINION. Devenue la martingale du gouvernement, associée à chaque réforme, la transition énergétique donne le nouveau tempo politique. Pourtant, elle ne se fera que si le mix énergétique est capable d'évoluer, en associant une part toujours plus importante de ces énergies en substitution aux énergies fossiles. Par Bruno Alomar, économiste, ancien membre du cabinet du commissaire européen à l’énergie (*).

L'actualité énergétique envoie-t-elle des signaux contradictoires, au moment où la décarbonisation est devenue une priorité ? Le 28 mai, l'Agence américaine d'information sur l'énergie (EIA) a indiqué que, pour la première fois, les entreprises et les ménages américains ont consommé davantage d'énergies renouvelables que de charbon en 2019. Le 30 mai était mise en service, près de Dortmund, en Allemagne, la centrale à charbon Datteln 4, d'une capacité de 1.100 mégawatts. Cette mise en service a suscité des protestations, alors que le pays s'est engagé en décembre 2019 à diminuer de 55% les émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030, et à mettre hors service ses 84 centrales thermiques à horizon 2038. L'on pourrait également évoquer les hésitations qui se sont faites jour au niveau de l'exécutif français en 2019 en matière de développement de l'éolien terrestre, finalement remisées au travers du décret d'application de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) publié le 23 avril.

Derrière ces apparentes contradictions se trouve une réalité : il n'y a pas de martingale dans le domaine énergétique, si l'on entend par là une source d'énergie unique qui permettrait à elle seule de répondre à la multiplicité des enjeux (économiques, sociaux, environnementaux). Remarquons d'ailleurs que les énergéticiens l'ont compris. En France, pas une semaine sans que Total ne dévoile un nouveau projet visant à accroitre son exposition aux autres sources d'énergie que le pétrole (éolien, solaire, gaz etc.). De même, si l'exploitation de 58 réacteurs nucléaires fait d'EDF l'un des premiers énergéticiens au monde, il n'est pas inutile de rappeler qu'il s'agit également des principaux exploitants d'énergies renouvelables en Europe.

Qu'il soit donc permis de ne pas opposer les énergies bas carbone, nucléaire et renouvelables, entre elles. La transition énergétique ne se fera que si le mix énergétique est capable d'évoluer, en associant une part toujours plus importante de ces énergies en substitution aux énergies fossiles - charbon, pétrole et dans une moindre mesure méthane naturel.  En fait d'opposition, il y a lieu de souligner quelques éléments forts de complémentarité entre elles. Car si on veut remporter la lutte contre le changement climatique sans sacrifier la croissance économique, la priorité est de pousser ces énergies décarbonées vers le transport, le bâtiment et l'industrie.

Complémentarité technique, d'abord, au titre de l'intermittence. L'efficacité énergétique, la con-sommation responsable n'y changeront rien : les énergies renouvelables, tributaires du vent, du soleil, ne peuvent pas à elles seules satisfaire les besoins énergétiques. Bien sûr, le stockage progresse. Mais, à court terme, hormis les barrages hydrauliques, dont la France est fortement pourvue, la production d'énergie renouvelable doit être complétée, autant qu'il est nécessaire, par une énergie pilotable et décarbonée telle que l'énergie d'origine nucléaire. A plus long terme, les batteries pourront prendre une part croissante pour stocker l'électricité quelques heures mais pas sur six mois, de l'été à l'hiver. L'hydrogène progresse aussi, qui permettra de stocker l'électricité, mais sa production par électrolyse à partir d'électricité renouvelable reste onéreuse, et il n'est pas raisonnable de prétendre miser notre sécurité énergétique dessus.

Complémentarité en termes d'aménagement du territoire et d'emploi, ensuite, dont l'on redécouvre avec la crise économique qu'ils sont aussi des enjeux forts des choix énergétiques. C'est le cas pour les énergies renouvelables. Que l'on songe ainsi aux petits écosystèmes montagneux qui s'organisent autour des barrages hydrauliques. Que l'on songe également au développement de l'éolien terrestre qui n'a de sens que pour autant qu'il prend place dans les territoires en accord avec l'ensemble des parties prenantes. C'est également le cas des plus grosses unités de production, comme les centrales nucléaires, autour desquelles s'organisent les territoires. Qu'il s'agisse de préservation de la biodiversité, d'impact sur les paysages ou de production de déchets, radioactifs ou non, aucune énergie n'est sans impact environnemental. Pourtant, en y portant soin, les projets peuvent être soutenus par une majorité de riverains sinon la totalité.

Complémentarité politique au niveau européen. L'action européenne dans le domaine énergétique ne peut faire comme si les mix énergétiques, résultat de décisions au long court, n'étaient pas une donnée puissante, qu'il faut savoir faire évoluer dans le temps long de l'énergie. A cet égard on ne peut faire comme si un pays comme la Pologne n'avait pas encore une part du char-bon importante dans son mix, quoiqu'en forte réduction. Le cas de la France est aussi particulier, où le développement des énergies renouvelables vient progressivement tempérer la place prépondérante du nucléaire dans la production électrique. La réalité est que l'Union européenne (UE) ne progressera pas si elle n'est pas capable de pousser à un développement résolu des renouvelables, à un rythme compatible avec la capacité d'absorption des sociétés et des économies.

Complémentarité, enfin, entre deux modèles d'électricité décarbonée. Les énergies décarbonées couvrent en effet tout le spectre, depuis une production très centralisée (grands barrages hydroélectriques, champs d'éoliennes maritimes), jusqu'à une production plus ou moins décentralisée (champs éoliens et solaires, toitures solaires). Sur ce dernier point, il est clair qu'une partie de la solution réside dans le rôle actif que joueront les consommateurs finaux (entreprises, citoyens) : la Commission européenne estime ainsi que d'ici 2050, près de la moitié des ménages de l'UE pourraient être impliqués dans la production d'énergie renouvelable, dont environ 37% pourraient résulter de l'association d'acteurs sur une base locale. Cette complémentarité n'est d'ailleurs pas seulement une condition de la résilience du système ; c'est aussi l'une des clefs de son acceptabilité.

C'est dire, en définitive, que face à la diversité des enjeux qu'elle recouvre, la question énergétique doit être abordée dans sa complexité. Tant au niveau national qu'au niveau européen, les politiques énergétiques doivent être capables de penser la complémentarité des différentes énergies, a fortiori si elles sont bas-carbone, plutôt que de prétendre trouver au travers d'une source d'énergie qui serait exagérément favorisée la solution à tous les problèmes.

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