Canicule en ville : l’îlot de chaleur, ennemi public numéro 1

Par Dominique Pialot  |   |  937  mots
Les surfaces asphaltées accroissent l'effet de chaleur urbain
Face au réchauffement climatique et à la poursuite de l’urbanisation, qui devrait voir 75% de la population mondiale vivre en ville d’ici à 2050, les températures plus élevées encore dans les zones urbaines constituent un sujet de préoccupation. Des solutions existent, mais les plus efficaces impliquent de repenser les usages de l’espace public urbain, à commencer par la place de la voiture…

C'est un fait entendu, en France comme dans de nombreux lieux de la planète, il fait (très) chaud ces jours-ci. Et plus encore dans les villes. Le coupable ? L'îlot de chaleur urbain (ICU), responsable de températures en moyenne sur 30 ans de 3°C plus élevés pendant 12 jours par mois l'été et 4 jours par mois l'hiver à Paris et dans la petite couronne.

En période caniculaire, caractérisée par un ciel dégagé et l'absence de vent, cette différence peut atteindre jusqu'à 10°C. Lors de l'épisode de 2003, des écarts de 8°C avaient ainsi été relevés entre le centre de Paris et les zones rurales d'Ile-de-France.

Le béton et l'asphalte en ligne de mire

Cet effet baptisé « îlot de chaleur », qui peut d'ailleurs varier d'une rue à l'autre au sein d'un même quartier, est principalement dû à la forte proportion de surface artificialisée et imperméable, et à la chaleur absorbée dans la journée et restituée la nuit par les matériaux les plus utilisés, notamment béton et asphalte à fort pouvoir réfractaire. C'est pourquoi ses effets sont plus sensibles encore de nuit, privant ainsi les citadins de toute possibilité de récupération après des journées étouffantes. En général, l'ICU commence à croître en fin d'après-midi, augmente plus rapidement au coucher du soleil et atteint son maximum au milieu de la nuit. Cet écart diminue en revanche au lever du soleil pour être minimum dans le milieu de l'après-midi. Il peut même s'annuler en journée.

Outre l'utilisation de matériaux à fortes propriétés radiatives et thermiques, l'intensité de l'effet îlot de chaleur dépend également de la densité, de la présence et la répartition de surfaces végétalisées et d'eau. Une différence de 12°C entre pelouse et trottoir a ainsi pu être mesurée ! La forme de la ville joue et, plus localement, la configuration du quartier jouent également un rôle, en particulier la hauteur des bâtiments, leur orientation et leur exposition au soleil d'une part, aux couloirs de vent d'autre part. Elles déterminent en effet le degré d'exposition au soleil et la capacité de refroidissement nocturne.

L'émission de chaleur de certaines activités telles que les transports  - à commencer par la circulation automobile - ou les rejets d'air liés à la climatisation peuvent accroître encore l'intensité des ICU.

Arroser et repeindre en blanc

À court terme, les solutions disponibles consistent essentiellement à arroser la chaussée (ce que fait la ville de Paris depuis plusieurs années) et à repeindre certaines surfaces sombres (telles que les toits) en blanc afin d'augmenter leur effet albédo, c'est-à-dire leur pouvoir de réfraction du rayonnement solaire. C'est ce que pratiquent plusieurs villes d'Amérique latine, et, plus récemment, Los Angeles. Lyon, qui anticipe d'ici à 2100 le climat de Madrid, voire d'Alger si rien n'est fait pour y remédier - du béton de couleur clair a remplacé le bitume dans certaines rues du quartier de la Part-Dieu et quelque 3.000 arbres résistants à la sécheresse sont plantés chaque année. Un ancien tunnel a été transformé en bassin de récupération des eaux de pluie.

À moyen terme, il s'agit en effet également de multiplier les points d'eau et de végétaliser les villes afin d'augmenter l'effet rafraîchissant de l'évapotranspiration par laquelle les plantes resituent l'eau puisée dans le sol lors de la photosynthèse. De nombreuses villes s'y emploient, notamment en incitant à la multiplication des projets. C'est le cas de Paris, qui vise l'a végétalisation de 100 hectares de toits, murs et façades à l'horizon 2020. La capitale française participe également au plan "The million tree initiative" par lequel les villes s'engagent à planter un million d'arbres, un objectif d'ores et déjà atteint par New York.

Conception des bâtiments et usages de l'espace public

Mais à plus long terme, c'est en améliorant la conception et la réhabilitation thermique des bâtiments, en particulier en tenant compte de leur orientation bioclimatique et des possibilités de ventilation que l'on peut s'attaquer durablement et de façon structurelle au fléau que constituent les îlots de chaleur urbains en été. Le choix  de matériaux aux meilleures propriétés réfléchissantes et absorbantes afin d'allonger la durée d'évaporation après arrosage sont également des pistes clairement identifiées. L'inutilité de recouvrir (puis d'entretenir) l'asphalte qui recouvre la couche de béton des trottoirs ou encore les joints entre les pavés fait aussi l'unanimité parmi les experts.

Mais fondamentalement, si l'îlot de chaleur est inhérent à toute urbanisation, c'est le mode d'occupation des sols qui a le plus d'influence sur son intensité. En effet, c'est avant tout pour leurs propriétés mécaniques, notamment leur résistance à la circulation automobile, que des matériaux tels que l'asphalte et le bitume ont été privilégiés dans l'aménagement des villes. En revanche, plus les parcs sont nombreux et certains lieux rendus aux piétons et, à cette occasion, végétalisés, plus les effets des îlots de chaleur sont atténués.

Si, contrairement à certaines idées reçues, la pollution n'est pas responsable de la hausse des températures en ville, la présence plus ou moins intensive de la voiture joue un rôle. Sans compter que la combinaison de fortes chaleurs et de fortes pollutions atmosphériques peut entrainer des risques sanitaires, comme c'est actuellement le cas avec les pics d'ozone.