Le capital humain vu par les actionnaires

Organisé par Grant Thornton et l’ANDRH le 11 octobre, la table ronde dédiée au capital humain vu par les actionnaires a réuni Clara Gaymard, cofondatrice de Raise, François Rougnon président du Groupe Rougnon, Benoît Serre vice-président de l’Association Nationale des DRH (ANDRH), Bruno de Lalande, senior advisor Grant Thornton Executive. Décryptage par Dominique Bailly, senior advisor Grant Thornton Executive, expert en stratégie des transformations sociales des organisations, participant également au débat.
De gauche à droite, François Rougnon président du Groupe Rougnon, Clara Gaymard cofondatrice de Raise, Bruno de Lalande Senior Advisor Grant Thorton Executive et Benoît Serre vice-président de l'ANDRH lors de la table ronde sur Le Capital humain vu par les actionnaires, le 11 octobre
De gauche à droite, François Rougnon président du Groupe Rougnon, Clara Gaymard cofondatrice de Raise, Bruno de Lalande Senior Advisor Grant Thorton Executive et Benoît Serre vice-président de l'ANDRH lors de la table ronde sur Le Capital humain vu par les actionnaires, le 11 octobre (Crédits : DR)

Clara GAYMARD n'aime pas que l'on parle de « capital humain ». Alors que les femmes et les hommes constituent l'entreprise et la font vivre, ce terme très économique les réduit par trop à la dimension d'un moyen de production de richesse. Parmi d'autres. Une belle affirmation pour ouvrir la table ronde organisée conjointement par le leader de l'Audit et du Conseil Grant Thornton et l'Association nationale des DRH (ANDRH) le 11 octobre 2018, sur la relation parfois complexe entre actionnaires et capital humain.

Pour une économie bienveillante

Il est vrai que si le capital humain - entendez les compétences employées, les rémunérations versées, le cadre social - est regardé de très près par les investisseurs et les actionnaires chaque fois que l'entreprise vit un moment de rupture - acquisition, fusion, réorganisation, crise sociale - il l'est surtout avec les lunettes très étroites de l'analyse budgétaire ou de la gestion des risques. Considéré parfois comme un facteur de performance. Mais très rarement dans sa dimension humaine. C'est pourtant l'énergie humaine qui permet de déplacer des montagnes. Et de réaliser les plus belles aventures d'entreprise.


Et qui d'autre en effet était mieux placée que Clara GAYMARD, dirigeante de haut vol, pour éclairer cette question ? Cofondatrice de RAISE, une société d'investissement qui place la philanthropie au coeur de son modèle, et du MEB, le Mouvement pour une Économie Bienveillante, elle porte en elle des convictions humanistes qui s'incarnent dans le mode de fonctionnement de son entreprise. Pas de hiérarchie. Une culture de partage et de respect. Le principe intangible de la parité. Et cet exercice étonnant de la « lettre d'amour à RAISE » pour qui veut rejoindre l'équipe.


Mais aussi, derrière de fortes convictions personnelles, une vision lucide sur l'évolution de l'économie. Une économie de plus en plus horizontale, fonctionnant en réseau, qui modifie les codes. Une économie qui développe les connexions et les interdépendances et rende tous les acteurs comptables de l'intérêt général. Ce mouvement appelle à plus d'intelligence, et plus de coopération. Et donc plus d'humanité. Plus de liberté aussi.

L'évolution du rapport au travail

D'ailleurs le rapport au travail change rapidement souligne Benoit SERRE, Vice-Président de l'ANDRH. Dans l'économie des services, le principe de subordination - et d'unité de lieu et de temps - propre à la société industrielle, tend à s'effacer. Les métiers changent, les compétences aussi, et avec eux, les comportements au travail. Plus souples, plus respectueux des personnes, plus intègres, plus alignés sur les valeurs et le sens, et bien plus mobiles. Une évolution qui crée une distance avec l'idéal quasi obsolète d'un employeur unique, et de carrières longues. Bienvenue à la diversification des formes d'emploi et à la pluralité des employeurs. Une évolution qui ne s'oppose pas à la coopération et l'esprit d'équipe mais qui en crée la condition.


Dans un monde ouvert et responsabilisant, la mobilisation des femmes et des hommes ne se  décrète pas, en effet. Elle suppose l'adhésion, le partage du sens, la conviction donnée à chacune et chacun d'avoir sa place dans l'aventure et d'y trouver un bénéfice. Benoit SERRE le rappelle, il n'existe pas de transformation réussie qui ne soit obtenue contre la volonté des salariés.


Compétences et engagement, deux actifs clés, donc, qui font la vraie valeur du capital humain. Et qui peuvent être déterminants dans un choix d'investissement. Bruno De LALANDE, Senior Advisor de Grant Thornton Executive, et entrepreneur avisé, en témoigne. Lorsqu'il décide en 2013 de reprendre la Société LYTESS, leader des produits cosméto-textiles, c'est parce que l'entreprise dispose d'un capital humain exceptionnel. Une entreprise de pionniers, dans un secteur émergent,  qui doit franchir une nouvelle étape. A l'investisseur et nouvel actionnaire de poursuivre l'aventure sans rompre avec l'histoire en organisant une dynamique collective fructueuse, génératrice de croissance durable. Cette « sucess story » l'indique. Pour créer le mouvement d'entrainement qui garantit les grandes réussites, autant réunir toutes les forces en présence.

L'actionnariat des salariés

Alors, actionnaires et salariés, même combat ? Dans un monde tout à la fois global et multipolaire, où compétition et coopération s'entrecroisent, et où les parties prenantes dépendent de plus en plus les unes des autres, rapprocher les actionnaires et les salariés prend tout son sens.


C'est la conviction intime de François ROUGNON, qui dirige depuis 1998 l'entreprise familiale du même nom. Un chef d'entreprise qui assume fièrement, pourtant, de ne pas avoir de DRH. Tant il demande à chacune et chacun d'être son propre DRH. Le vrai patron, dit-il d'ailleurs, c'est le client. Et dans l'entreprise de service aux entreprises qui est la sienne, la performance est d'abord humaine. Il devient parfaitement logique, dès lors, de proposer aux salariés de prendre part au capital, ce qui est devenu la réalité pour 30% d'entre eux. Une manière concrète et à grande échelle de rapprocher capital financier et capital humain. Et de faire s'articuler des perceptions et des logiques trop souvent opposées.


Car dans l'évolution du regard porté par les actionnaires sur le capital humain, c'est
l'opposition très ancienne entre la sphère économique et la sphère sociale qui est remise en cause. Et l'idée tenace, par exemple, qu'un modèle social ambitieux ne serait que le bénéfice d'un modèle économique performant. Une forme d'externalité. Et non pas une de ses composantes.

La dimension économique du modèle social

Lorsque La Poste s'apprête à devenir société anonyme il faut bien qu'elle puisse démontrer à ses investisseurs potentiels - fussent-ils publics - que son modèle social protecteur est un actif stratégique de grande valeur. La démonstration a priori ne va pas de soi. Car l'établissement public qui emploie encore une majorité de fonctionnaires, cultive la promesse de carrières longues et d'un développement continu dans l'entreprise. Alors que la dématérialisation du courrier pousse nombre d'opérateurs postaux à optimiser ses réseaux et ses statuts, cette situation ressemble plutôt à un handicap de compétitivité. Et pourtant, à l'heure de la relation à distance et de la révolution énergétique la proximité  devient une valeur montante. Les postiers entretiennent depuis plusieurs siècles une relation particulière avec l'ensemble des consommateurs. Cette relation de confiance, fondée sur l'engagement et la stabilité des collaborateurs, constitue un actif stratégique unique. Au point d'être un critère de diversification, dans les activités de banque et assurance, ou de service à la personne, notamment. Le modèle social a donc bel et bien une  portée économique. Et le modèle économique une dimension sociale. C'est cette vision qui  explique la réussite d'une transformation de référence.


Globalisation et digitalisation obligent, la compétition n'a jamais été aussi intense
qu'aujourd'hui. Elle mobilise pour créer de la valeur des leviers comme l'innovation ou le management collaboratif qui mettent en lumière l'importance de la compétence humaine et de l'engagement. L'entreprise est au 21ème siècle affaire d'humanité. Cette table ronde le confirme. Mais dans cette affirmation les deux mots sont importants. Donner toute sa place au facteur humain, c'est aussi reconnaitre sa nature et sa contribution économique.

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