100 milliards aux actionnaires : "Apple manque d'ambition et ne sait pas quoi faire de son cash"

Par Sylvain Rolland  |   |  697  mots
Pour Jacques-Aurélien Marcireau, reverser 100 milliards de dollars aux actionnaires d'Apple traduit un manque de vision et d'ambition. (Crédits : Andrew Kelly)
En marge de résultats financiers bien meilleurs que prévu, Apple a annoncé le lancement d'un gigantesque plan de rachats d'actions, qui lui permettra de restituer 100 milliards de dollars à ses actionnaires. Un record. Pour Jacques-Aurélien Marcireau, le gérant du fonds EdRF Global Data chez Edmond de Rothschild Asset Management, Apple révèle ainsi un coupable qui manque d'ambition et se prive des moyens financiers de réaliser un méga-deal dans les deux années à venir.

LA TRIBUNE - Apple vient d'annoncer un énorme plan de rachat d'actions lui permettant de rendre 100 milliards de dollars à ses actionnaires. Depuis 2012, Apple leur a reversé en tout 275 milliards de dollars, dont 200 milliards en rachat d'actions. Pourquoi Tim Cook préfère-t-il choyer ses actionnaires plutôt que d'utiliser le cash pour développer son activité ?

JACQUES-AURÉLIEN MARCIREAU - Ce n'est pas la première fois qu'Apple décide de lancer des plans de rachat d'actions, mais celui-ci est incontestablement le plus important jamais réalisé. Pour moi, ce n'est pas une bonne nouvelle, même si les marchés s'en réjouissent. Reverser autant d'argent aux actionnaires traduit clairement un manque de vision et d'ambition. C'est comme si Apple disait : « On ne sait pas quoi faire de cet argent, donc on vous le rend car on estime qu'on investit suffisamment ». Or, dans le domaine de l'innovation, Apple ne s'est pas distinguée particulièrement récemment. Le plus surprenant est qu'Apple accélère le rythme. Rien qu'au premier trimestre 2018, on estime que l'entreprise a acheté 6% des volumes d'actions Apple échangés sur les marchés sur la période. C'est énorme et un peu inquiétant. Cela montre qu'Apple préfère soutenir son cours de Bourse plutôt que de se montrer ambitieux pour consolider sa position et son écosystème pour les années à venir.

Apple a pourtant annoncé sa volonté d'investir pour fabriquer lui-même une partie de ses composants, ce qui implique des rachats potentiels. Des rumeurs circulent depuis plusieurs années sur sa volonté de racheter Netflix. Apple ne peut-il pas mener des chantiers ambitieux de ce type tout en soignant ses actionnaires ?

Plus maintenant. Aujourd'hui, Apple dispose d'environ 270 milliards de dollars de cash. Mais le cash net, celui qu'il peut utiliser pour mener des acquisitions, se situe autour de 130 milliards de dollars. C'est moins que la valorisation actuelle de Netflix, actuellement à 136 milliards de dollars. Concrètement, cela signifie qu'après ce plan de rachat d'actions, Apple n'aura plus les moyens de réaliser un méga-deal dans de bonnes conditions dans les deux années à venir.
Stratégiquement, l'acquisition de Netflix aurait eu de nombreux méritesL'occasion s'est présentée il y a deux ans, lorsque le service de streaming vidéo était valorisé autour de 60 milliards de dollars. Ce mouvement aurait permis à Apple de produire et d'offrir du contenu exclusif pour recruter de nouveaux utilisateurs. Il aurait aussi pu faire grandir rapidement et considérablement le parc d'abonnés de Netflix, car si l'on part de l'hypothèse que 500 millions de personnes dans le monde utilisent un appareil connecté Apple, et Netflix revendique aujourd'hui plus de 120 millions d'utilisateurs, cela signifie qu'Apple avait la possibilité de multiplier rapidement la base installée Netflix. À la place, Apple s'est lancé dans la production de séries et affiche de belles ambitions pour 2018, mais on ne s'improvise pas producteur de télévision, le risque est bien plus important de ne pas rencontrer le succès.

La réforme fiscale de Donald Trump, qui a établi une taxe de 15,5% sur la trésorerie stockée à l'étranger, pousse aussi Apple à rapatrier une grande partie de son cash...

Oui, mais cela n'enlève rien au fait qu'Apple aurait pu choisir d'investir cet argent plutôt que de le donner aux actionnaires. Ce choix révèle aussi la puissance du lobby de certains actionnaires, qui font pression depuis des années pour qu'Apple leur restitue des dividendes.
Une autre raison de l'annonce de ce plan est certainement une volonté de faire diversion des résultats financiers. Au final, les marchés ont davantage réagi aux 100 milliards qu'aux ventes d'iPhones. Or, le cours de Bourse d'Apple a été chahuté ces dernières semaines à cause des résultats décevants de certains fournisseurs, qui laissaient entendre que les ventes d'iPhones s'étaient considérablement ralenties. Ce n'est finalement pas le cas, mais l'annonce du plan de rachat d'actions, combinée à un soulagement sur les résultats du premier trimestre, a permis au cours de Bourse de retrouver ses niveaux records d'avant cette période de flottement.

Propos recueillis par Sylvain Rolland