Le streaming musical s'invite dans le bras de fer entre l'Europe et les Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon). Mardi 24 avril, la Commission européenne a annoncé l'ouverture d'une enquête approfondie sur le projet d'acquisition par le géant Apple de l'application britannique de reconnaissance musicale, Shazam, basée à Londres. Elle accède ainsi la demande de plusieurs pays : l'Autriche, la France, l'Italie, l'Espagne, la Suède ainsi que la Norvège et l'Islande, non-membres de l'UE mais inclus dans l'espace économique européen.
Distorsion de concurrence au détriment du leader mondial suédois Spotify et du français Deezer ?
L'exécutif européen, gardien de la concurrence dans l'UE, craint que ce rachat, annoncé en décembre et estimé à 400 millions de dollars (323 millions d'euros), soit l'un des plus importants jamais réalisés par la marque à la Pomme, "nuise de manière significative à la concurrence" en "réduisant le choix pour les utilisateurs de services de diffusion de musique en continu".
Créé en 1999, Shazam permet à son utilisateur de reconnaître automatiquement une chanson et son interprète grâce au micro de son smartphone. L'appli est effectivement l'une des plus populaires au monde. Elle fait actuellement partie de la catégorie des apps téléchargées "plus de 100 millions de fois" sur le Google Play Store, le magasin applicatif des smartphones fonctionnant sous le système d'exploitation Android. Au total, en intégrant les téléchargements sur l'App Store, l'entreprise revendiquait "plus d'un milliard" de téléchargements en 2016.
Le dossier est très sensible pour l'Europe car le streaming musical est actuellement l'un des rares domaines du numérique où le leader mondial vient du Vieux Continent. Il s'agit du suédois Spotify, qui revendique 71 millions d'abonnés et vient de réussir ses débuts à la Bourse de New York. L'opération permettrait donc à Apple de bénéficier d'une nouvelle arme pour rattraper son retard. Apple Music, numéro deux mondial, revendique 40 millions d'abonnés, loin derrière Spotify, mais loin devant le numéro trois Amazon Music Unlimited (20 millions) et les "petits" comme les français Deezer (6 millions d'abonnés en 2015) ou Qobuz.
Shazam est l'arme fatale d'Apple pour rattraper Spotify
Si la Commission européenne voit rouge, c'est parce qu'en mettant la main sur Shazam, Apple Music gagnerait un avantage concurrentiel notable vis-à-vis de ses concurrents. Il serait ainsi le seul à pouvoir intégrer directement la reconnaissance de chansons dans Apple Music -pour l'écoute en ligne des radios par exemple.
Les "projets excitants" qu'Apple réserve à Shazam pourraient aussi inclure une intégration poussée entre les deux services, qui deviendrait discriminante pour les utilisateurs de Shazam qui n'utilisent pas Apple Music. Actuellement, lorsqu'une chanson est identifiée par Shazam, l'appli redirige l'utilisateur indifféremment vers Apple Music ou vers ses concurrents, dont Spotify et Deezer. Le fabricant d'iPhone pourrait ainsi prendre la décision de fermer l'accès à ses concurrents... Une méthode de recrutement très agressive, mais certainement très efficace pour gagner de nouveaux abonnés.
Le rapprochement entre Apple et Shazam n'est pas récent. Les deux entreprises ont noué de bonnes relations depuis près de dix ans. Lancée en 1999, l'entreprise londonienne permettait initialement d'obtenir le nom d'une chanson par SMS, avant de devenir une application sur smartphone. En 2008, Shazam se fait connaître en intégrant l'App Store. Depuis 2014, l'application était intégrée à Siri, assistant virtuel d'Apple.
Nouvel épisode du bras de fer entre l'UE et les géants du Net américains
Cette enquête survient dans un contexte plutôt tendu entre la Commission européenne et les géants de la Silicon Valley. Bruxelles a multiplié récemment les initiatives pour tenter de mieux encadrer les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft..) aussi bien du point de vue de la taxation de leurs activités que de la protection des données de leurs utilisateurs.
Fait relativement inhabituel, la Commission européenne a décidé d'examiner ce projet d'acquisition de Shazam alors qu'il n'atteint pas les seuils de chiffre d'affaires (250 millions d'euros par an dans l'UE) fixés par les règlements de l'UE pour qu'il arrive normalement sur sa table. L'organe a tout de même estimé être "l'autorité la mieux placée pour examiner les effets transfrontières potentiels de l'opération".
La Commission européenne a jusqu'au 4 septembre pour prendre une décision. L'ouverture d'une enquête approfondie ne préjuge pas de l'issue de la procédure.
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