La 4G en France : vrai succès ou démarrage en demi-teinte ?

Par Delphine Cuny  |   |  1059  mots
Bouygues Telecom a converti près de 10% de son parc d'abonnés en un trimestre.
Un million de clients 4G revendiqués par Bouygues Telecom, Orange et SFR chacun, soit trois millions d’abonnés au très haut débit mobile en France en quelques mois : le chiffre laisse les analystes un peu dubitatifs. Les opérateurs disent avoir atteint leurs objectifs, sans triomphalisme excessif. Free plaisante en privé sur ses « 8 millions de clients 4G. »

Pas de communiqué tonitruant, juste une publicité parue dans les journaux la semaine dernière : « Déjà un million de clients profitent du plus grand réseau 4G de France » s'est félicité Bouygues Telecom, qui n'avait pas avancé de prévision précise. De son côté, Orange s'est réjoui d'avoir atteint son objectif public d'un million de clients 4G en fin d'année, comme attendu : on imagine mal le numéro un du mobile en France faire moins bien que son ambition affichée en avril dernier, au moment du lancement officiel de ses offres 4G grand public. Idem chez SFR, qui s'était fixé le même objectif, mais avait été le premier à lancer la 4G, en novembre 2012, à Lyon seulement. Satisfaction générale donc, mais sans triomphalisme excessif. Seul Free Mobile est resté silencieux : le quatrième opérateur a ouvert tardivement, début décembre, son service commercial 4G, dont l'accès est inclus sans surcoût. Trois millions de clients 4G en France en quelques mois, est-ce un succès, tandis que le britannique EE en a conquis 2 millions en 14 mois ? Les avis divergent.

« 8 millions de clients 4G » rigole Free

Alors que divers sondages indiquaient une certaine indifférence des Français à l'égard du très haut débit mobile, les dirigeants des opérateurs le clament haut et fort : « La 4G est un vrai succès en France », a ainsi martelé Delphine Ernotte-Cunci, la directrice exécutive d'Orange France. Même Free Mobile s'est lancé dans la bataille, ce qui tendrait à accréditer la thèse que la demande était là. « On ne pouvait pas rester le seul opérateur sans 4G », concède-t-on chez Free : il lui fallait au moins calmer l'impatience de ses abonnés. Les analystes financiers sont plus dubitatifs. Derrière un éventuel engouement, une supposée appétence du public, la question de l'offre disponible se pose. « C'est un peu comme si une marque de céréales lançait une nouvelle recette : de toute façon, il n'y a plus que ça en magasin, les gens sont bien obligés d'acheter de la 4G », raille un expert. La plupart des smartphones récents en rayon sont effectivement compatibles. Ceci étant, tous les forfaits n'incluent pas la 4G ; à l'inverse, les clients ne souscrivent pas forcément ces abonnements uniquement pour le débit, mais pour les services inclus associés (Coyote ou Canal Play par exemple chez SFR). « On peut se demander si les chiffres annoncés correspondent vraiment à des abonnés qui savent qu'ils ont la 4G et l'utilisent réellement », s'interroge un analyste londonien. « Free fanfaronne en privé et dit qu'il a 8 millions de clients 4G, puisqu'elle est comprise dans tous ses forfaits », rapporte un autre expert.

Pas le raz-de-marée espéré chez Bouygues Telecom

« La 4G est un succès mais il est relatif : ces chiffres étaient prévisibles, mathématiquement, compte tenu des renouvellements naturels de terminaux. La 4G aurait été un vrai succès si elle avait véritablement modifié les dynamiques commerciales et donné aux opérateurs un « pricing power.» Or elle ne leur a pas permis de recréer de la valeur pour l'instant », relève Alexandre Iatrides, analyste chez Oddo Securities. Si les résultats des uns et des autres ne seront connus que fin février et début mars, les chiffres de portabilité ne montreraient pas de vague puissante, au détriment de Free avant ses annonces ni en sa faveur ensuite.

« Les annonces de Free sur la 4G ont fait un flop », avait récemment confié Frank Cadoret directeur exécutif Grand public et Professionnels de SFR. « Il n'y a pas eu le raz-de-marée espéré chez Bouygues Telecom. Collectivement, on a réussi à empêcher Bouygues de transformer son avantage en termes de couverture sur le terrain commercial », se réjouit sans fard un concurrent. Le numéro trois du secteur a en effet massivement communiqué sur son réseau 4G couvrant 63% de la population depuis le 1er octobre - grâce à l'autorisation obtenue de réutiliser ses fréquences GSM - ce qui le laisse encore loin devant Orange (50%) et SFR (40%) ou Free (12% à 15% estimés). « Le fait que Bouygues ait donné la 4G à B&You est révélateur : ce n'est pas lié uniquement à Free, cela prouve qu'il n'y a pas eu de ruée, que ses chiffres ne sont pas bons », croit savoir un dirigeant d'opérateur concurrent. Chez Bouygues Telecom, on admet que l'arrivée de la 4G chez B&You le 17 décembre a « pas mal boosté » les recrutements 4G en toute fin d'année pour passer le cap du million.

Décollage deux fois plus rapide chez Bouygues que chez Orange

« Nous réalisons le décollage le plus rapide d'Europe, en termes de taux de transformation du parc d'un opérateur en 4G », fait cependant valoir un dirigeant de Bouygues Telecom. En effet, « Bouygues ayant deux fois moins d'abonnés, si l'on compare, un million de clients 4G c'est franchement pas mal, cela représente près de 10% du parc converti en un trimestre. C'est deux fois plus qu'Orange et SFR qui sont autour de 5% de leur base d'abonnés forfaits* et avaient lancé la 4G plusieurs mois avant », observe un analyste londonien, preuve selon lui que le matraquage publicitaire a fonctionné. Même l'Américain Verizon Wireless avait atteint ce niveau en quinze mois, après un lancement dans un périmètre limité (95% de la population aujourd'hui).

Cependant, cela ne suffit pas à changer la donne pour les finances fragiles de Bouygues Telecom : « L'important, c'est la monétisation, pas seulement le nombre de clients. Maintenant, il faut augmenter le chiffre d'affaires », soulignent les analystes. Or le marché français n'en prend pas forcément le chemin puisque la bataille commerciale de la 4G s'est désormais déplacée sur les forfaits low-cost et sans engagement : dès 19,99 euros chez B&You et Free Mobile, 24,99 euros chez Sosh d'Orange et 25,99 euros chez Red de SFR. Ce qui devrait cependant donner un sérieux coup d'accélérateur aux recrutements de clients 4G de tous les opérateurs dans les semaines à venir. Orange table d'ores et déjà sur 2 à 3 millions fin 2014

 (*hors cartes SIM « machine-to-machine » embarquées dans les compteurs, autos, etc.)