La polémique sur la dangerosité des ondes relancée par la loi Abeille

Par Delphine Cuny  |   |  1096  mots
L'installation des antennes-relais de téléphonie mobile sera davantage encadrée et un "comité national de dialogue" sera mis en place.
La proposition de loi de l’écologiste Laurence Abeille a été adoptée ce jeudi en deuxième lecture à l’Assemblée. Elle interdit le Wifi dans les crèches et met en place une instance de concertation sur l’installation d’antennes-relais de téléphonie mobile. Les opérateurs redoutent un effet anxiogène qui ralentirait le déploiement de la 4G notamment.

On l'appelle « loi Abeille », du nom de la députée EELV qui a défendu le texte, déposé initialement en décembre 2013. La proposition de loi « relative à la sobriété, à la transparence et à la concertation en matière d'exposition aux ondes électromagnétiques » vient d'être définitivement adoptée, en deuxième lecture à l'Assemblée nationale, sans modification par rapport à la version approuvée par le Sénat en juin dernier. Ce texte interdit par exemple l'installation du Wifi dans les établissements d'accueil d'enfants de moins de trois ans (crèches et garderies), et non les maternelles comme prévu dans le texte initial. Toutefois, dans les écoles primaires, le Wifi devra être désactivé en dehors des activités pédagogiques numériques. Tout établissement proposant au public un accès Wifi devra le signaler clairement à l'entrée au moyen d'un pictogramme.


Une campagne de sensibilisation et d'information concernant « l'usage responsable et raisonné » des terminaux mobiles ainsi que les précautions d'utilisation des appareils utilisant des radiofréquences (kit mains libres) sera lancée dans un délai d'un an. La publicité pour un téléphone mobile devra mentionner la recommandation de l'usage d'un dispositif limitant l'exposition de la tête aux émissions radioélectriques.


Plus de sobriété et plus de dialogue


La loi pose le principe de la « sobriété de l'exposition du public aux champs électromagnétiques », qui devient un des objectifs de la politique des télécoms (il sera inscrit dans le code des communications électroniques), et durcit le cadre réglementaire d'installation des antennes-relais de téléphonie mobile. Elle prévoit la création d'un « comité national de dialogue relatif aux niveaux d'exposition du public aux champs électromagnétiques », associant les différentes parties prenantes, au sein de l'Agence nationale des fréquences (Anfr).

Le gendarme des fréquences devra aussi établir un recensement national des « points atypiques », lieux où le niveau d'exposition du public aux champs électromagnétiques «dépasse substantiellement celui généralement observé à l'échelle nationale », et définira la « trajectoire de résorption » de ces poches de surexposition.

« La juriste que je suis trouve satisfaction avec cette version de la proposition de loi » avait déclaré Axelle Lemaire, la secrétaire d'Etat au Numérique, en juin dernier au Sénat. « Il faut créer des espaces de dialogue pour que le numérique soit compris, et non anxiogène » avait-elle estimé.

 La dernière étude du Credoc, qui remonte à juin 2014, montre une certaine défiance de la population à l'égard des antennes-relais et des téléphones mobiles : à la question de l'éventuelle nocivité des équipements, 74% des Français interrogés ont répondu qu'ils jugeaient les antennes "plutôt pas sûres pour la santé humaine", 73% ont le même sentiment à l'égard des portables et 62% pour le Wifi.

Une « première avancée » pour les anti-antennes

« La loi permet d'introduire un peu plus de transparence et de démocratie dans le développement des nouvelles technologies. Elle ouvre la voie à une réduction de l'exposition de la population aux radiofréquences, classées cancérigènes possibles par l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) » s'est félicitée l'association Robin des Toits.

« C'est peu par rapport à l'ambition initiale de la proposition de loi de Laurence Abeille (EELV). C'est pourtant une première avancée qui a une grande portée symbolique dans un contexte où le lobbying industriel a été spectaculaire contre ce texte de loi - le parcours législatif de ce texte a pris plus de 2 ans ! »indique Robin des Toits dans un communiqué.


L'association, qui bataille régulièrement contre l'installation d'antennes-relais et la généralisation du Wifi, salue aussi la demande d'un rapport sur l'électro-hypersensibilité prévue par la loi. « Première avancée » parce que l'abaissement des valeurs limites d'exposition en vigueur à 0,6 Volt/m a disparu du texte initial.

Frein à la dynamique numérique ?


Sur l'interdiction du Wifi dans les crèches, l'association française pour l'information scientifique (AFIS) estime que « cette mesure dénuée de fondement objectif, que les professionnels de la petite enfance n'ont d'ailleurs pas réclamée, va inquiéter inutilement la population et légitimer des discours alarmistes », poussant les parents à s'interroger sur le wifi à la maison, celui des voisins, etc.

De leur côté, les opérateurs mobiles ont fait part de leurs préoccupations. La Fédération française des télécoms (FFT) regrette l'adoption de cette proposition de loi qu'ils ont âprement combattue et redoute un retour de la violente polémique de 2009 qui avait conduit au démontage d'une antenne-relais sur décision de justice, une première.

« Ce texte risque d'entretenir dans la population une inquiétude infondée et développer un effet anxiogène tout en discréditant le travail des agences sanitaires et des scientifiques » écrit la FFT dans un communiqué, « alors que le seul effet sanitaire reconnu par la totalité des agences sanitaires sur la base de milliers d'études scientifiques publiées depuis plus de 40 ans est celui d'un effet thermique. »


La loi « multiplie les obstacles à l'équipement de la France en réseaux à très haut débit, pourtant indispensables à l'attractivité des territoires », à l'heure où les opérateurs font la course pour terminer le déploiement de la 4G (un peu plus de 70% de la population couverte par Orange et Bouygues Telecom). Cela devrait les inciter à accélérer la mutualisation des réseaux, comme l'ont fait Bouygues et SFR en dehors des grandes villes. Mais cette loi risque plus généralement d'être un frein « au développement des usages et des équipements numériques qui sont essentiels pour la croissance économique de notre pays. Le ralentissement qui en résultera pèsera négativement sur le développement et la dynamique du numérique, notamment dans le domaine des objets connectés. »


Un argument inaudible pour le camp des « anti-ondes » : Robin des Toits a ainsi fustigé « la désinformation de certains députés » et leur « frénésie pour le tout-connecté. » Les élus sont souvent pressés de demandes contradictoires des citoyens, entre méfiance à l'égard des ondes et problématique d'aménagement numérique du territoire et de compétitivité.


La députée UMP Laure de la Raudière, spécialiste des questions numériques, a, elle, parié une tournée de champagne que le gouvernement supprimerait certains passages de la loi d'ici un an...

>> L'intégralité du texte de loi