Bras de fer à Bruxelles sur la concurrence dans les télécoms

Par Pierre Manière  |   |  732  mots
Margrethe Vestager, la commissaire européenne à la Concurrence, juge que la consolidation ne débouche pas forcément sur davantage d'investissements.
Depuis plusieurs mois, Günther Oettinger, le commissaire à l’Economie numérique, plaide pour une consolidation des télécoms à l’échelle européenne. A contrario, Margrethe Vestager, son homologue à la Concurrence, balaye l'idée, craignant que les consommateurs en fassent les frais.

Mais que diable veut Bruxelles pour les télécoms européennes ? Faut-il pousser encore à la consolidation à l'œuvre sur le Vieux continent (et même dans le monde), ou faut-il lever le pied ? Depuis quelques mois, les déclarations discordantes des pontes de la Commission suscitent des interrogations sur la politique communautaire à ce sujet. Ce mardi, lors d'une intervention à Copenhague, Margrethe Vestager, la commissaire à la Concurrence, a loué les vertus de conserver un maximum d'acteurs sur les marchés européens pour maintenir des prix bas. D'après elle, « il est important que les consommateurs puissent accéder à des équipements et infrastructures modernes [des smartphones, des connexions Internet haut débit, un abonnement mobile avec de la data, Ndlr] à des prix abordables ».

Puis d'embrayer : « quand nous constaterons qu'une fusion d'opérateurs mobiles est susceptible de réduire de manière significative la concurrence, nous insisterons sur les remèdes à mettre en œuvre » pour que les consommateurs ne soient pas lésés. La commissaire a ensuite illustré son propos, en revenant sur le mariage avorté entre Telenor et TeliaSonera au Danemark. En septembre, Bruxelles a bloqué ce projet, qui aurait accouché du plus gros opérateur télécoms du pays. Pour la commissaire, les deux protagonistes n'ont pas proposé suffisamment de concessions pour calmer ses craintes d'une distorsion de concurrence.

« Besoin d'entreprises compétitives »

Reste qu'à Bruxelles, tout le monde n'est pas d'accord avec la doctrine de « la dame de fer du numérique européen », comme on la surnomme. A commencer par son homologue Günther Oettinger, le commissaire à l'Economie numérique. Lui souhaite a contrario favoriser les rapprochements entre acteurs. En témoigne ses déclarations à Reuters, en marge d'une conférence à Francfort fin octobre : « Je crois que le processus de consolidation va se poursuivre », a-t-il indiqué, soulignant que le marché européen des télécoms est très fragmenté, avec plus d'une centaine d'opérateurs.

Interrogé sur la position opposée de sa collègue à la Concurrence, Günther Oettinger en remet une couche :

« Elle tient beaucoup à ce que l'offre demeure étoffée grâce à la concurrence. C'est un point important. Mais nous avons aussi besoin d'entreprises compétitives et qui soient assez grandes dans un contexte concurrentiel mondial. »

Le lobbying des opérateurs

Ce faisant, le commissaire à l'Economie numérique reprend peu ou prou l'argumentaire des opérateurs télécoms. Depuis longtemps, ceux-ci font d'ailleurs pression sur Bruxelles. Ils arguent que la consolidation, au moins à un niveau national, permettrait de remonter les prix, d'accroître leurs marges, et ainsi de consacrer davantage d'argent aux investissements - notamment dans le très haut débit fixe (avec la fibre, par exemple) ou mobile (la 4G).

Lire aussi : Télécoms : les opérateurs européens renforcent leur pression sur Bruxelles

De son côté Andrus Ansip, vice-président de la Commission, en charge du marché unique du numérique, semble davantage soutenir la position de Vestager. Au mois d'octobre, il a fait part de ses doutes quant aux bénéfices de la consolidation sur l'amélioration des infrastructures : « Assouplir les règles de la concurrence n'est pas la réponse » pour attirer l'investissement dans les réseaux télécoms, a-t-il indiqué, selon l'agence financière Dow Jones Newswires. Avant d'ajouter que la consolidation n'était « pas nécessairement » une solution. Des propos qui tranchent avec ceux qu'il a tenus il y a plus d'un an aux députés européens, où il plaidait pour un marché des télécoms moins fragmentés. Et ce, « pour augmenter la demande et inciter les entreprises privées à mettre en œuvre les investissements nécessaires ».

Favoriser des mariages transfrontaliers ?

A ses yeux, des mariages transfrontaliers pourraient, en revanche, constituer une alternative pour créer un marché paneuropéen des télécoms. Mais aujourd'hui, de tels mariages ont moins la cote que des rapprochements nationaux auprès des opérateurs télécoms. De fait, ils doivent composer avec des régulations différentes dans chaque pays, ce qui constitue un frein côté synergies. C'est notamment la raison pour laquelle la Commission veut rapidement « casser les silos » règlementaires entre les 28 pays membres dans le cadre de la création d'un marché unique du numérique. A ce sujet, les premières propositions législatives sont attendues dans le courant de l'année prochaine.