Haine sur Internet : après Charlottesville, la Silicon Valley agit contre les néonazis

Par Sylvain Rolland  |   |  938  mots
Les géants de la Tech ont décidé d'en finir avec les réactions tièdes et de traiter les groupes néonazis et suprémacistes sur la Toile avec la même rigueur que celle qu'ils appliquent pour les groupes terroristes ou faisant l'apologie du terrorisme.
En plus de condamner les violences de Charlottesville et la gestion de la crise par Donald Trump, les entreprises technologiques américaines abandonnent la logique de non-responsabilité et multiplient les actions contre l'expression de la haine sur leurs plateformes.

Jusqu'à l'élection de Donald Trump, les entreprises technologiques américaines, à commencer par les tout-puissants Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon), tenaient à afficher une certaine neutralité par rapport à la politique et aux mouvements sociétaux, visible par leur volonté de financer les campagnes électorales de candidats de tous bords et par leur réticence à s'engager dans la modération des contenus sur la Toile, pour ne pas être accusés de limiter la liberté d'expression.

Ce n'est plus le cas. Désormais, la Silicon Valley assume incarner une certaine vision de la société et de la politique, qui va au-delà de la défense de ses intérêts. Ses puissants dirigeants, de Mark Zuckerberg (Facebook) - qui prépare son entrée en politique -, à Tim Cook (Apple), en passant par Jeff Bezos (Amazon) ou Jack Dorsey (Twitter), ainsi que la plupart des grandes entreprises technologiques du pays, n'hésitent plus à mener ouvertement la fronde contre la politique de Donald Trump et à défendre des valeurs libérales et progressistes, malmenées par la montée des nationalismes et du repli sur soi.

Airbnb exclut des néonazis, Apple et PayPal les attaquent au portefeuille

Les violences néonazies de Charlottesville marquent ainsi un tournant dans l'engagement de la Silicon Valley. Avant même la manifestation, Airbnb avait décidé d'exclure de sa plateforme les comptes liés à au mouvement Unite the Right Free Speech, qui organisait le rassemblement, et avait annulé les réservations de logements déjà effectuées pour y assister. Malgré les critiques, Airbnb a tenu bon, expliquant que ses membres signaient "un engagement d'accepter les gens indépendamment de leur race, religion, origine, ethnie, handicap, sexe, orientation sexuelle ou âge", et que le rassemblement de Charlottesville, mené pour "la défense des intérêts" des suprémacistes blancs, était opposé à ses valeurs.

Mais c'est surtout depuis la manifestation que la Silicon Valley réagit. Au-delà des condamnations des violences, unanimes, et même des critiques sur la gestion des événements par Donald Trump, les géants de la Tech ont décidé d'en finir avec les réactions tièdes et de traiter les groupes néonazis et suprémacistes sur la Toile avec la même rigueur que celle qu'ils appliquent pour les groupes terroristes ou faisant l'apologie du terrorisme.

Ainsi, Tim Cook, le Pdg d'Apple, a non seulement critiqué Donald Trump, mais a aussi décidé d'attaquer les néonazis au portefeuille, en bloquant son système de paiement Apple Pay sur les sites liés aux suprémacistes blancs, qui proposent l'achat d'accessoires et de vêtements avec des logos nazis. PayPal a aussi désactivé son système de paiement pour certains groupes. Le site de financement participatif GoFundMe a supprimé les campagnes destinées à soutenir le conducteur qui a écrasé une manifestante. Enfin, Apple a également annoncé un don d'un million de dollars à deux associations, la Southern Poverty Law Center et l'Anti-Defamation League, et a proposé à ses employés de doubler le montant de leurs dons aux associations de défense des droits de l'Homme, jusqu'au 30 septembre.

Google, Facebook, Reddit, Cloudfare et GoDaddy multiplient les sanctions

Poussés par la mobilisation d'une partie de leurs utilisateurs, les plateformes sur Internet ont aussi pris position, décidant (enfin) de sortir de l'ambiguïté liée au respect de la liberté d'expression et à leur fameuse "non-responsabilité" par rapport aux contenus qu'elles hébergent.

GoDaddy, un hébergeur de sites web américain, a ainsi décidé lundi 14 août d'annuler l'hébergement du site d'extrême-droite Daily Stormer, auteur d'un article polémique et viral de soutien aux manifestants de Charlottesville. Dans la foulée, Google a refusé de l'enregistrer sur Google Domains, empêchant son référencement et le poussant à s'exiler dans le dark net, où il sera beaucoup moins accessible. Pour finir, le Pdg de Cloudfare a mis fin à sa protection antivirus, expliquant au site Gizmodo que les dirigeants du Daily Stormer sont des "trous du cul", tout en précisant que cette décision ne reflétait pas la politique de Cloudfare à partir de maintenant.

Les réseaux sociaux ont aussi décidé de muscler leur réponse. Facebook, qui avait servi de plateforme pour l'organisation de la manifestation de Charlottesville, a annoncé l'intensification de sa lutte contre les "groupes de haine". L'entreprise justifie sa décision par un "manquement à la charte" du site. Le forum Reddit, qui vient de lever 200 millions de dollars, a aussi supprimé des sous-sections utilisées par les suprémacistes blancs pour promouvoir la haine.

Des actions fortes symboliquement, mais pour quelle efficacité ?

Les réactions fortes des plateformes web ont le mérite de trancher avec le laxisme qui leur a été si souvent reproché. Elles sont donc hautement symboliques de la nouvelle volonté des géants du Net américains d'accepter leur rôle sociétal et d'assumer leur impossible neutralité.

En revanche, ces réactions s'inscrivent aussi dans un contexte, celui des manifestations dramatiques de Charlottesville, qui déclenchent une forte émotion dans l'opinion - et donc parmi l'immense majorité de leurs utilisateurs. Reste à savoir si Facebook et Reddit notamment, très utilisées par l'extrême-droite, maintiendront leurs efforts dans la durée. Et surtout, si ceux-ci sont efficaces pour réduire la propagation des discours de haine. Car malgré l'identification et la suppression de certains groupes, de nouvelles pages se créent en permanence et il demeure extrêmement facile de trouver du contenu raciste / haineux / antisémite sur ces plateformes, tout comme sur d'autres sites très populaires comme le forum 4chan.