"L'argent du consommateur européen ne doit plus remonter uniquement aux Etats-Unis"

Par Pierre Manière  |   |  627  mots
Olivier Roussat craint notamment que des Facebook ou Amazon se muent en MVNO pan-européens.
Quelques jours après l'adoption par le Parlement européen de la fin des frais d'itinérance d'ici à juin 2017 et d'un texte controversé censé garantir la neutralité du Net, Olivier Roussat, le Pdg de Bouygues Telecom, appelle l'UE à se montrer moins "fleur bleue" sur le plan économique vis-à-vis des géants américains du Net.

A ses yeux, l'Union européenne doit se montrer davantage protectrice de ses intérêts économiques. Et ce, sans traîner. Jeudi, lors d'une intervention à l'initiative de l'Association des journalistes économiques et financiers (AJEF), Olivier Roussat, le Pdg de Bouygues Telecom, a appelé Bruxelles à se montrer moins "fleur bleue" vis-à-vis des géants américains du Net. Interrogé sur le récent vote du Parlement bannissant les frais d'itinérance à compter de juin 2017, il a fait part de ses craintes pour l'industrie des télécoms européennes. D'après lui, "le côté positif pour les clients est indéniable", sachant que tous les frais supplémentaires facturés pour les appels, les SMS ou l'Internet mobile seront supprimés à l'étranger.

Mais "le vrai danger", selon lui, c'est que cette "disparition complète" constituerait "la porte ouverte à des acteurs avec des marques très fortes" qui pourraient se muer en MVNO "pan-européens" avec "des coûts et prix de reviens assez bas". "Ils n'auraient que des coûts d'achats à la minute, sans aucune contrainte d'investissements", déplore Olivier Roussat. Le Pdg de Bouygues Telecom cible directement les géants américains du Net, comme Facebook, Amazon, Apple et Google. Dans ce scénario, il redoute que ceux-ci lancent leurs propres services de téléphonie sur le Vieux continent, lesquels viendraient concurrencer les opérateurs traditionnels.

Le lobbying des Gafa sur la neutralité du Net

Olivier Roussat souligne avoir "expliqué" cette crainte à la Commission européenne "à plusieurs reprises", regrettant qu'elle n'en mesure pas bien "les problématiques économiques". En clair, le Pdg juge que la régulation actuelle favorise trop les géants américains du Net - ou "Gafa" (pour Google, Amazon, Facebook et Apple). Or, d'après lui, "l'argent du consommateur européen ne doit plus remonter qu'uniquement aux Etats-Unis".

Dans la même veine, il prend en exemple le débat sur la neutralité du Net. En effet, le Parlement vient également de voter un texte censé la garantir, mais la présence de nombreuses "exceptions" suscite l'émoi de nombreux acteurs, à l'instar de La Quadrature du Net, l'association de "défense des droits et libertés des citoyens sur Internet". Pour Olivier Roussat, la sacralisation de la neutralité du Net "part d'un principe louable: tout le monde doit pouvoir avoir accès à Internet, et ce, sans discrimination". Mais "quels sont ceux qui sont les plus attentifs au fait qu'il n'y ait pas de priorisation (du trafic, Ndlr)? Ce sont précisément les Gafa".

Cesser de "copier" les États-Unis

L'argumentaire est connu: aux yeux des opérateurs européens, il serait juste que ces grands consommateurs de bande passante participent au coûteux financement des infrastructures télécoms, sans lesquelles ils ne seraient rien. Mais ce desiderata "peut se trouver en opposition avec le principe d'un Internet ouvert", constate Olivier Roussat. Le problème, juge Olivier Roussat, réside dans le fait que Bruxelles a tendance à "recopier ce que font les Etats-Unis", qui ont adopté des règles strictes concernant la neutralité du Net en février dernier.

Mais, d'après le PDG, cette décision américaine n'a que peu d'impact sur son économie, dans la mesure où l'argent déboursé par les opérateurs télécoms locaux (comme AT&T ou Verizon) ou les géants du Net ne quitte pas le pays de l'Oncle Sam. Or la situation est bien différente dans l'UE, argue de nouveau le patron de Bouygues Telecom, où une large part des profits des Google ou Facebook sont rapatriés chez-eux. Cette fronde d'Olivier Roussat en témoigne: la bras de fer entre les opérateurs télécoms et les GAFA est loin d'être terminé.