Macron, le poil à gratter du deal Orange-Bouygues Telecom

Par Pierre Manière  |   |  682  mots
« Macron veut pousser Orange à acheter Bouygues Telecom le moins cher possible, tout en valorisant au plus fort l’opérateur historique », explique dit une source à La Tribune.
Si Orange et Bouygues ont décidé de se donner plus de temps pour tenter de boucler le mariage entre l’opérateur historique et Bouygues Telecom, c’est surtout parce qu’ils butent sur les desiderata du ministre de l’Economie. Explications.

Le rapport d'Emmanuel Macron à l'égard des industriels des télécoms a toujours été compliqué. Mi-décembre, le ministre de l'économie a provoqué l'ire de SFR, alors que les rumeurs de « discussions préliminaires » concernant un mariage entre Bouygues Telecom et Orange étaient de plus en plus pressantes. Pourquoi ? Parce que dans ce contexte, le locataire de Bercy a rétorqué qu'il n'avait « pas de position de principe » contre un retour à trois opérateurs en France. Dans l'entourage de Patrick Drahi, propriétaire de SFR, cette sortie a suscité une sacrée grogne. Et pour cause : en juin dernier, le ministre s'était montré bien moins enthousiaste lorsque l'opérateur au carré rouge voulait racheter Bouygues Telecom. « La consolidation n'est pas aujourd'hui souhaitable », avait-il déclaré à l'AFP, avant de mettre de l'eau dans son vin.

Aujourd'hui, l'ombre du ministre plane lourdement sur le possible mariage entre Orange et Bouygues Telecom. Et si les négociations patinent, obligeant les acteurs à se donner ce jeudi quelques jours de plus pour trouver un terrain d'entente, c'est en grande partie à cause de ses desiderata. De source proche du dossier, les discussions avec le ministre de l'Economie se passent « mal ». « Il joue au banquier d'affaires », nous dit-on. De fait, celui-ci a son mot à dire sur le deal, puisqu'avec 23% du capital, l'Etat est le premier actionnaire d'Orange. Dans le cadre de ce mariage, Bouygues vendrait sa filiale télécoms contre du cash et une belle part dans l'opérateur historique. Pour cela, il bénéficierait d'une augmentation de capital réservée, couplée à la possibilité de racheter plus tard des actions de son propre chef. Martin Bouygues ne l'a jamais caché : il brigue 15% d'Orange. L'Etat, de son côté, ne veut pas voir sa part trop diluée, et veut garder un minimum de 20% de l'ex-France Télécom.

« 10 milliards, c'est bien payé... »

Dans ce schéma, tout dépend donc des valorisations prises en référence des deux opérateurs. Or, actuellement, « Macron veut pousser Orange à acheter Bouygues Telecom le moins cher possible, tout en valorisant au plus fort l'opérateur historique », explique notre source. Il faut dire que, depuis le début des négociations, le prix du rachat de Bouygues Telecom par Orange est fixé à 10 milliards d'euros. C'est-à-dire le montant que Patrick Drahi était prêt à débourser au printemps dernier pour mettre la main dessus. Mais dans les comptes de Bouygues, la filiale télécom n'en vaudrait que 6 milliards. Ce qui fait tiquer Bercy.

« Chez BpiFrance Participations et à l'Agence des participations de l'Etat [qui gèrent la part de ce dernier dans Orange, Ndlr], c'est sûr qu'ils ne sont pas chaud, tout simplement pour des raisons patrimoniales, dit une autre source. Bouygues a eu l'habilité d'invoquer le chèque de 10 milliards d'euros de Patrick Drahi, qui voulait à tout prix faire cette opération. Il y a donc cette référence de marché. Mais c'est objectivement bien payé... »

Un problème de gouvernance

Un autre proche du dossier, lui, juge que le prix de Martin Bouygues se défend :

« On ne peut pas lui demander de vendre son actif à prix coûtant, sans que cela ne lui rapporte rien, ça n'a pas de sens. »

Un autre gros sujet de préoccupation, à Bercy, concerne la gouvernance d'Orange. « L'Etat veut limiter l'influence de Bouygues en mettant une clause de 'standstill' (visant à l'empêcher d'accroître sa participation, Ndlr) sur plusieurs années », nous explique-t-on. En plus, il souhaiterait que Bouygues renonce à ses droits de vote double. D'après nos informations, ces mesures seraient inadmissibles pour la maison-mère de l'opérateur, qui ne veut pas être considérée comme « un actionnaire de seconde catégorie ». Bouygues ne serait pas opposé à un plafond. Mais dans ce cas, celui-ci devrait être plus limité dans le temps. Contacté par La Tribune, le cabinet d'Emmanuel Macron se refuse à tout commentaire. Quoi qu'il en soit, les négociations s'annoncent mouvementées entre le ministre, Orange et Bouygues d'ici dimanche, la nouvelle date butoir que se sont fixée les opérateurs.